1981 : ce que le devoir d'inventaire n'a pas effacé

1981 - Nationalisations, politique de relance : François Mitterrand multiplie les promesses et se fait élire. Trente ans plus tard, le projet socialiste conserve ses accents keynésiens.
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"Ni trahir, ni périr." C'était le mot d'ordre que faisait circuler le Ceres, le courant de Jean-Pierre Chevènement, au sein du Parti socialiste, en 1981. À l'époque, on disait aussi "ni Allende, ni Mollet". En référence à l'ancien dirigeant socialiste chilien, mort le jour du coup d'État du 11 septembre 1973, et à l'ancien chef de la SFIO, accusé d'avoir trahi ses idéaux sous la IVe République. Candidat socialiste - pour la troisième fois - à l'élection présidentielle de 1981, François Mitterrand a beau cultiver son indépendance, il n'oublie pas les leçons du passé au moment de bâtir son projet. Avec une chance historique : après vingt-trois ans d'opposition, l'alternance politique est à portée de main, au moment où Valéry Giscard d'Estaing titube dans les sondages. Fin politique, l'ancien ministre de la IVe République a conscience que, pour être élu, il lui faut user de symboles forts. C'est pourquoi il charge les hiérarques du PS de lui concocter un programme anticrise, subtil dosage de relance économique et de mesures sociales.

Trente ans plus tard, ses héritiers sont confrontés aux mêmes défis, ou presque. La crise financière de 2007 est passée par là. Chômage, désespérance sociale, exportations en berne : pour vaincre les démons du passé, le Parti socialiste, piloté par Martine Aubry, veut relancer la machine et rallumer les feux de la croissance française. "C'est le point commun avec le projet de 1981 : trois décennies après, les socialistes français restent très keynésiens", analyse aujourd'hui André Gauron, ancien conseiller de Pierre Bérégovoy.

C'est ainsi que parmi les 30 propositions du projet socialiste pour 2012, qui vise à concilier l'aile gauche et l'aile réformatrice du parti, figurent la création d'une banque publique d'investissement, la baisse de l'impôt sur les sociétés, la création de 300.000 emplois d'avenir ou la mise en place de pénalités financières pour dissuader les licenciements boursiers. Le projet du PS prône également des écarts de rémunérations de 1 à 20 maximum dans les entreprises à participation publique. Un programme à gauche toute ? Plutôt un inventaire de mesures destinées à ne pas hérisser les proches de Dominique Strauss-Kahn tout en satisfaisant les partisans de Benoît Hamon. Surtout, un projet passé sous les fourches Caudines des experts-comptables du PS qui assurent, calculette à la main, que les dépenses se limiteront à 25 milliards d'euros sur cinq ans.

En 1981, François Mitterrand s'était bien gardé de livrer une estimation précise de son projet. Dans son for intérieur, le candidat socialiste ne prisait guère les questions économiques. Certes, il disposait d'un véritable arsenal de mesures (350 au total), mis au point par le PS. Un bric-à-brac dans lequel les têtes pensantes du parti de la rose - elles s'appellent alors Laurent Fabius et Jacques Attali - font le tri, faisant émerger les fameuses 110 propositions, retenues par le candidat : parmi celles-ci, la moitié concerne le domaine économique et social. Face à un pays sonné par les deux chocs pétroliers et la montée du chômage, François Mitterrand a parfaitement conscience de leur portée politique. "Il y avait d'un côté les nationalisations, élément essentiel du programme commun de la gauche, et de l'autre, les mesures de relance de la consommation", commente André Gauron. Le traité de Maastricht n'existe pas encore, l'euro non plus, et le candidat socialiste multiplie les promesses : création de 150.000 emplois dans les services publics, auxquels il faut ajouter 60.000 emplois d'utilité collective ; relance des filières industrielles ; programme de grands travaux publics ; nationalisation de 9 groupes industriels ; réduction progressive de la durée du travail à 35 heures ; cinquième semaine de congés payés ; relèvement du Smic ; annulation de la TVA pour les produits de première nécessité ; mise en place d'un impôt sur les grandes fortunes ; retraite à 60 ans... La plupart des mesures annoncées vont être tenues... et creuseront d'autant les déficits.

Deux ans plus tard, l'économie française est au bord du gouffre, le franc vacille, et le gouvernement de Pierre Mauroy est contraint d'opérer le grand virage de la rigueur, sonnant le glas de la politique de relance. "Les choix économiques de 1981 ont obéi à une logique de politique intérieure, analysera plus tard François Stasse, qui fut conseiller économique à l'Élysée de François Mitterrand de 1981 à 1984. Il s'agissait, notamment par une forte revalorisation du pouvoir d'achat des ménages à faibles revenus, de montrer que la gauche accomplissait sa tâche historique [...]." Reste, trente ans plus tard, un parfum d'utopie, qui flotte toujours au-dessus de la rue de Solferino. Avec, pour 2012, un double impératif : ni trahir l'esprit de mai 1981, ni périr, comme en 1995, 2002 ou 2007.

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