Restauration de l'« exit tax » : la chasse aux sorcières est ouverte !

Le projet de loi de finances rectificatif réformant la fiscalité du patrimoine, qui sera présenté ce mercredi, réintroduit dans le droit français une taxe visant à lutter contre l'évasion fiscale. Un projet complexe à mettre en oeuvre tant pour le rendre compatible avec le droit européen que sur les modalités pratiques.
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Dans le cadre de sa réforme de la fiscalité du patrimoine qui sera présentée le 11 mai en Conseil des ministres, Bercy envisage un certain nombre de mesures. Parmi celles-ci figure la création d'une « exit tax » visant à lutter contre l'évasion fiscale des contribuables français qui s'exilent à l'étranger pour y bénéficier d'une fiscalité avantageuse sur la cession de leurs titres.

Cette taxe aurait pour objet d'imposer les plus-values latentes sur les titres détenus par les contribuables lors du transfert de leur domicile fiscal hors de France. Le dispositif serait applicable aux participations directes ou indirectes d'au moins 1 % dans une société soumise à l'impôt sur les sociétés, ou dont la valeur excède 1,3 million d'euros.

Le projet de texte prévoit cependant un mécanisme de sursis de paiement. Ce sursis serait automatique en cas de transfert dans un pays situé au sein de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen. Dans les autres cas (incluant notamment la Suisse), il serait en revanche conditionné à la désignation d'un représentant fiscal et à la constitution de garanties, ce qui ne manquera pas d'engendrer des frais significatifs pour le contribuable, alors même que, à défaut de cession, celui-ci n'aura pas reçu les liquidités nécessaires pour financer ces coûts.

Le texte prévoit le remboursement ou le dégrèvement de l'« exit tax » au cas où la cession des titres n'interviendrait pas dans un délai de huit ans. En cas de sursis de paiement, le dispositif prévoit de prendre en compte la diminution de valeur intervenue, le cas échéant, entre la date du transfert du domicile hors de France et la date de la cession des titres.

Inspirée du dispositif applicable en France de 1999 à 2004 et invalidée par la CJCE, l'« exit tax » version 2011 est justifiée par Bercy comme ayant pour seul objectif de lutter contre l'évasion fiscale.

Néanmoins, la création de l'« exit tax » suscite un grand nombre de questions, juridiques et pratiques. D'un point de vue juridique, le dispositif va à l'encontre des clauses contenues dans les conventions fiscales internationales signées par la France. L'objet de ces conventions est de répartir entre deux pays le droit d'imposer un même revenu. Ces normes doivent en principe primer sur les normes nationales. En matière de plus-values, la plupart des conventions stipulent que l'impôt est dû dans le pays de résidence du bénéficiaire. Or, le dispositif, tel qu'il est envisagé, rattache à la France le droit d'imposer des plus-values réalisées par un contribuable domicilié à l'étranger, en contradiction avec les règles contenues dans les conventions fiscales. La double imposition sera toutefois évitée grâce à l'octroi en France d'un crédit d'impôt correspondant à l'impôt supporté à l'étranger.

L' « exit tax » dans sa version antérieure avait été invalidée par la CJCE comme étant contraire au principe de la liberté d'établissement. La Cour européenne ne condamne pas de manière globale les mécanismes du type « exit tax », à condition que les mesures appliquées n'aillent pas « au-delà du nécessaire ». Parmi ces mesures figure notamment l'obligation de constituer des garanties. Le gouvernement a donc pris soin dans le nouveau dispositif de prévoir un sursis automatique pour les transferts de domicile vers les pays de l'Union européenne, afin d'éviter toute contestation sur le fondement des principes communautaires. D'un point de vue pratique, la mise en oeuvre effective de l'« exit tax » version 2011 ne manquera pas de s'avérer extrêmement complexe. En effet, lorsqu'ils transféreront leur résidence hors de l'Union européenne, les contribuables devront réaliser les démarches nécessaires pour solliciter un sursis de paiement, désigner un représentant fiscal et constituer des garanties. Par ailleurs, ils devront informer l'administration fiscale du transfert de leur domicile hors de France, et déposer, chaque année, une déclaration spécifique destinée à assurer le suivi de l'impôt en sursis. À défaut, cet impôt deviendra immédiatement exigible. Cette sanction sera appliquée de manière automatique, sans mise en demeure préalable de la part de l'administration fiscale, ce qui paraît particulièrement sévère.

Une autre difficulté du dispositif consiste à déterminer le montant de la plus-value potentielle afférente aux titres détenus dans l'hypothèse où ces derniers ne seraient pas cotés (ce qui, en pratique, sera souvent le cas). En effet, à défaut de cession, et donc de prix de référence immédiat, les contribuables devront être en position d'évaluer la société dans laquelle ils détiennent une participation, et également de pouvoir justifier cette valeur auprès de l'administration fiscale, le cas échéant.

Le dispositif tel qu'il est envisagé crée donc une insécurité juridique pour les contribuables partant s'installer hors de France, et ce d'autant plus qu'il sera applicable de manière rétroactive aux transferts réalisés à compter du 3 mars 2011. Le gouvernement se justifie en rappelant que des dispositifs similaires existent dans d'autres pays, notamment européens. Néanmoins, les conditions d'application de ces systèmes étrangers sont plus strictes que celles prévues par le projet de texte (seuil de détention plus élevé, exonération des actifs professionnels...), de telle sorte que leur portée effective reste plus limitée que celle du dispositif français.

Par ailleurs, Bercy fonde son instauration sur la lutte contre l'évasion fiscale. Néanmoins, aucune clause de sauvegarde n'est prévue en l'état actuel du texte, si ce n'est la possibilité pour celui qui transfère son domicile hors de l'Union européenne de ne pas avoir à constituer de garantie pour bénéficier du sursis de paiement s'il justifie qu'il part pour des « raisons professionnelles ». Celui qui part est donc présumé rechercher l'évasion fiscale, sans possibilité de preuve contraire. Enfin, si l'instauration de l'« exit tax » a pour objet de lutter contre les départs hors de France, on peut se demander si elle n'aura pas comme effet pervers de rendre la France moins attractive, et de dissuader les résidents étrangers de venir s'installer dans notre pays...

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