Matières premières : la spéculation démythifiée

Le récent krach sur les matières premières illustre avec force la nouvelle dynamique endogène des marchés financiarisés. Les fondamentaux n'arrivent plus à expliquer les fluctuations de prix et la compréhension des comportements spéculatifs devient un enjeu majeur.
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Après plusieurs mois de flambée des énergies, métaux et denrées, les marchés de matières premières viennent de connaître deux semaines marquées par des chutes de prix brutales sur l'ensemble du secteur. Quelles sont les dynamiques spéculatives sous-jacentes derrière ces mouvements ?

L'investissement dans les matières premières a certes été stimulé depuis un an par les tensions récurrentes sur l'offre mondiale : crise du blé russe dans un premier temps au cours de l'été 2010, printemps arabe depuis janvier 2011 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où pas moins de dix pays ont connu un changement de régime, une guerre civile ou des troubles sociaux. Mais une autre dynamique - strictement financière celle-là - se cache derrière l'engouement spéculatif pour les matières. Depuis l'annonce du « quantitative easing 2 » (QE 2) par la Fed pendant l'été 2010, les thématiques spéculatives les plus jouées sur le marché ont été l'achat de matières premières et la vente de dollars. Ces vues sont étroitement connectées : les investisseurs empruntent à court terme en dollars (à un taux d'intérêt maintenu artificiellement bas par la Fed) pour investir simultanément dans les matières premières, les devises émergentes, les devises de pays producteurs de matières premières, l'euro, les actions.

Si les investisseurs ont confiance dans la poursuite de la politique laxiste de la Fed et dans la poursuite de la hausse des actifs risqués, le dollar baisse tandis que les actifs risqués financés en dollars augmentent de concert. Une spirale vertueuse de hausse de prix et des positions s'enclenche et un château de cartes de positions spéculatives financées par de la dette à court terme en dollars se construit. Si, au contraire, les actifs financés en dollars fléchissent ou si les investisseurs craignent une hausse des taux d'intérêt de la Fed ou la fin du QE 2, la spirale change de sens : la chute des actifs achetés à crédit oblige les investisseurs à les vendre précipitamment pour rembourser leur dette en dollars, aggravant leur effondrement et provoquant la hausse du billet vert. Des mécanismes de contagion entre actifs financés en dollars se mettent en branle.

L'annonce par le gouverneur de la Banque centrale européenne que les taux de la zone euro ne seraient finalement pas relevés en juin a provoqué une chute importante de la monnaie unique. C'est certainement l'événement déclencheur des débouclages en chaîne frappant matières premières, devises et actions, le 6 mai. Absolument aucune nouvelle fondamentale n'est venue étayer l'effondrement des prix observé sur les matières premières. Si, une semaine après le krach du 6 mai, l'Agence internationale de l'énergie révisait à la baisse la demande mondiale de pétrole, elle alertait néanmoins sur la diminution plus grande encore de l'offre consécutive à l'interruption de la production en Libye et au Yémen.

Ces mécanismes de « physique financière » déconnectés de la « physique de l'offre et de la demande » illustrent la nouvelle dynamique endogène des marchés financiarisés. Les comportements spéculatifs prennent une part de plus en plus importante dans l'évolution des prix. Les facteurs fondamentaux sont certes déterminants pour la fixation des prix sur le très long terme (à l'échelle de la décennie) mais ne parviennent plus à expliquer les fluctuations de prix pourtant d'ampleur considérable sur le court et moyen terme (à l'échelle du mois ou de l'année).

Des supercycles d'investissement sont apparus (caractérisés par une hausse tendancielle des actifs risqués et une baisse tendancielle du dollar), émaillés de fortes secousses de débouclements systémiques. Ceux-ci sont soit ponctuels (comme celui que nous venons de connaître), soit massifs et sauvages (comme celui qui a suivi la bulle du pétrole de 2008).

Les modes d'investissement moutonniers ont bel et bien un impact sur les cours. La compréhension et l'anticipation de ces comportements spéculatifs deviennent un enjeu majeur pour les acteurs économiques soumis aux fluctuations des devises et des matières, mais aussi pour les régulateurs, chargés de les contrôler.

Or, des outils existent pour cela. L'analyse des flux d'investissement dans les commodités (via les rapports de la Commodity Futures Trading Commission) permet de dire, par exemple, que les investisseurs ont plus encore investi dans les matières entre 2009 et aujourd'hui qu'ils n'ont investi entre 2006 et le pic de la bulle des matières premières en 2008. La réplication de certaines stratégies d'investissement stéréotypées permet par ailleurs de décrypter le positionnement des acteurs. Des outils sont également disponibles pour évaluer le comportement exagérément régulier des prix : une hausse trop régulière signale en effet un emballement spéculatif (une « bulle ») synonyme d'instabilité. Ainsi, une bulle massive sur l'argent était identifiée avant son éclatement la semaine dernière, doublée de bulles majeures sur un certain nombre de devises (comme le real brésilien ou le dollar australien) et d'une bulle significative sur le complexe pétrolier. En outre, l'analyse des relations des dépendances entre les actifs permet de mieux anticiper l'enchaînement des scénarios susceptibles de se produire au cas où une bulle locale implose. Ce type d'analyse permettait, par exemple, de prévoir que l'implosion de la bulle de l'argent ou du pétrole ne serait pas sans conséquence sur des marchés connexes également très présents dans les portefeuilles des investisseurs, comme les métaux de base ou les actions.

La modélisation probabiliste a jusqu'à présent mobilisé l'essentiel des efforts des chercheurs et des spécialistes de la gestion des risques. Or, ces modèles sont inopérants dans les phases extrêmes de marché où les interactions des acteurs prédominent. Il importe maintenant de décrypter ces interconnexions pour imaginer leurs effets sur les marchés.

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