Pourquoi l'essence est plus chère qu'en 2008 avec un prix du pétrole plus bas

Par Olivier Lamotte et Thomas Porcher, professeurs à l'ESG MS.
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Le prix de l'essence a atteint un nouveau record historique en France. L'origine de cette flambée des prix des carburants paraît évidente : la hausse du prix du pétrole. Et pourtant, le prix du baril est aujourd'hui à 113 dollars contre 148 dollars en 2008 alors que le prix moyen du super 95 est aujourd'hui de 1,5469 euro le litre contre 1,4902 euro le litre en juillet 2008, le dernier record. Étrange situation. Comment peut-on expliquer cette flambée des carburants alors même que le prix du baril est loin de son niveau de 2008 ?

Le prix de l'essence est calculé en fonction des gisements aux coûts d'extraction les plus élevés. Au XIXe siècle, l'économiste David Ricardo (1772-1823) mettait en évidence à travers la théorie de la rente différentielle que "le prix du produit de la terre (le blé) est fixé par les conditions de production des plus mauvaises terres". Ce constat de Ricardo semble être pertinent dans l'analyse de l'envolée des prix à la pompe.

En effet, la différence de prix du carburant entre 2008 et 2011 provient pour une bonne partie de la différence de coûts d'exploitation des gisements : une production identique de barils de pétrole ne nécessite pas les mêmes coûts selon les gisements. Conformément à la théorie de la rente différentielle de Ricardo, le prix de l'essence est calculé en fonction des plus mauvais gisements aux coûts d'extraction les moins rentables, car le prix de l'essence doit permettre de couvrir les salaires et profits nécessaires pour exploiter ces gisements. Le prix de l'essence permet ainsi de réaliser un profit maximum sur les gisements les plus rentables, c'est-à-dire ceux dont les coûts sont moindres.

Or depuis 2009, avec l'augmentation de la demande mondiale de pétrole tirée par la Chine et prévue à 88,8 millions de barils/jour en 2011 contre 87,4 millions en 2010, les compagnies pétrolières mettent en production des gisements dans des zones de plus en plus difficiles d'accès, produisant souvent un pétrole de mauvaise qualité et nécessitant des coûts de transformation élevés. Les coûts d'extraction augmentent et pour assurer une rentabilité à ces gisements, les compagnies reportent la hausse des coûts sur le prix des carburants. D'où les certitudes de Christophe de Margerie, PDG de Total, sur la hausse inéluctable des prix des carburants.

Le prix de l'essence ne dépend donc pas du prix du pétrole dans son ensemble (coût + profit + spéculation), ni d'un coût moyen d'extraction sur l'ensemble des gisements exploités par la compagnie mais uniquement du coût d'extraction du plus mauvais gisement, c'est-à-dire le plus élevé. C'est pour cela que le prix du pétrole de 2008, largement alimenté par la spéculation, a été moins reporté sur le prix de l'essence qu'actuellement. Une question reste en suspens : la hausse des coûts de production du pétrole a-t-elle été reportée équitablement sur le prix du carburant ? En dehors des compagnies pétrolières, nul ne peut répondre. D'ailleurs le coût d'extraction ne figure même pas dans les contrats pétroliers signés entre pays producteurs et compagnies pétrolières. Il est le plus souvent remplacé par un coût flottant appelé "cost oil".

L'effet du taux de change euro/dollar est à relativiser. L'évolution du taux de change euro/dollar a été avancée à plusieurs reprises pour expliquer la différence du prix de l'essence entre 2008 et 2011. En effet, au début de l'augmentation des prix de l'essence, début 2009, le dollar était plus fort face à l'euro qu'en 2008.

Le pétrole libellé en dollars coûtait donc plus cher quand on l'achetait en euros, expliquant la différence de prix des carburants entre 2008 et 2011. Malheureusement, cet argument ne tient pas. Si c'était le cas, la dépréciation du billet vert depuis cinq mois consécutifs aurait en effet dû se reporter sur les prix des carburants et donc conduire à une baisse du prix du litre de sans-plomb 95. Or, depuis début janvier 2009, celui-ci a augmenté de plus de 7%.

La baisse du dollar face à l'euro jouerait donc déjà le rôle d'amortisseur. Dans ce cas, la hausse récente du dollar pourrait avoir des effets négatifs. En effet, si le dollar revenait au niveau de mai 2010, le prix de l'essence pourrait augmenter et s'approcher encore plus du seuil de 2 euros, frappant encore plus fortement le pouvoir d'achat des ménages.

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