Quand Canal Plus tente de fausser le marché des droits du foot

Par Pascal Perri, économiste.
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Si la renégociation actuelle des droits audiovisuels du championnat de Ligue 1 est vitale pour le football français, elle remodèle également durablement le paysage audiovisuel français en permettant à de nouveaux acteurs d'émerger. Elle est, de surcroît, essentielle pour le financement de tout le football français et pour la solidarité avec le sport amateur. Les discussions se sont engagées dans un contexte en pleine mutation : le football est devenu un spectacle de dimension mondiale. Jusqu'à une période récente, les compétitions de football touchaient les publics européens et une grande partie du public latino-américain. La mondialisation a aboli les frontières et ce sont désormais des dizaines de millions de téléspectateurs en Asie et au Moyen-Orient qui manifestent un intérêt croissant pour nos championnats européens. La Ligue de football professionnel vient d'ailleurs de confier à Al-Jazira la commercialisation internationale du championnat de Ligue 1 en dehors du marché français.

Cette petite révolution n'est pas sans conséquences : non seulement les droits obtenus sont supérieurs à ce que proposait le sortant, Canal Plus Events (une filiale de Canal Plus), mais surtout ce sont les territoires de l'Orient lointain qui seront ainsi touchés, ouvrant de nouvelles perspectives pour le marché des droits audiovisuels. Le rachat par un fonds qatarien du PSG ou l'ambition affichée de Jean-Michel Aulas de créer une marque internationale vont dans le même sens. Si tous les grands acteurs du football ont compris la marche de l'histoire, c'est, comme souvent, de l'intérieur que vient le danger...

En France, la chaîne Canal Plus tente à chaque appel d'offres d'éliminer toute concurrence pour casser les prix de la Ligue 1. Ce prix correspond pourtant à une valeur économique tangible : celle qui fait le succès de Canal Plus et sans laquelle la télévision payante n'existerait pas. Les dirigeants de Canal Plus répètent à l'envi que leur entreprise n'a pas vocation à devenir la Sécurité sociale du football français. Mais le football n'a pas non plus vocation à être bradé en dessous de sa valeur de marché. Et celle-ci ne peut être révélée qu'en situation de concurrence sur le marché de l'acquisition des droits.

On a appris lundi 20 juin que la chaîne qatarienne Al-Jazira avait déposé une offre pour l'acquisition d'une partie des droits de Ligue 1 sur le territoire français, c'est-à-dire en dehors du champ international, pour la période 2012-2016. C'est une excellente surprise pour la Ligue 1 qui montre ainsi son attractivité internationale. Dans le contexte de mondialisation du football, les réflexes protectionnistes sont infondés, d'autant que l'arrivée du groupe qatarien répond opportunément à la stratégie de verrouillage de certains groupes audiovisuels français, comme si ce marché du football était leur chasse gardée. Sans Al-Jazira, le groupe Canal Plus se serait retrouvé en situation de monopole. Les dirigeants de la chaîne n'ont jamais caché leur intention de proposer une enveloppe globale très en retrait par rapport au prix actuel. On peut comprendre les règles de l'offre et de la demande sur un marché libre mais comment interpréter les récentes déclarations de Xavier Couture, directeur des activités de croissance d'Orange, faisant valoir les réserves... de Canal Plus sur l'arrivée de nouveaux entrants (La Tribune, 31 mai 2011).

Qu'apprend-on à travers ces déclarations ? Que Canal Plus ferait pression sur Orange pour qu'il interdise l'arrivée d'un nouvel entrant sur le marché des droits sportifs via le blocage de distribution sur les offres ADSL d'Orange, Canal Plus bloquant de son côté l'entrée de nouveaux diffuseurs sur ses propres offres de distribution. Il n'est pas besoin d'être économiste pour y voir un bien curieux fonctionnement du marché, proche d'une entente affichée. Les téléspectateurs français autant que la communauté du football devraient se réjouir de l'entrée en lice de nouveaux partenaires. Il en va non seulement du modèle économique du football français mais aussi de la transparence et de l'efficacité du marché audiovisuel français. Depuis maintenant quelques années, tous ceux qui observent ce marché savent que la survie ou la création de nouvelles chaînes dépendent du bon vouloir de Canal Plus. Le dernier épisode de ce feuilleton devrait pour le moins appeler l'attention des autorités de régulation.

 

Pascal Perri va publier, à l'automne, un essai sur les onze idées reçues du "foot business".

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