Prix agricoles : forts indices de spéculation

Les études sur l'impact de la spéculation sur la hausse des prix agricoles sont souvent contradictoires. Mais l'inquiétude grandit sur la montée en puissance des fonds indiciels, qui nuirait au bon fonctionnement des marchés à terme.
Copyright Reuters

A l'initiative de la France, un G20 de l'agriculture - une première - se réunit depuis mercredi soir pour tenter de trouver des solutions visant à assurer une meilleure stabilité des prix agricoles. Un sujet devenu très sensible depuis la flambée du prix du blé l'été dernier mais qui est, en réalité, récurrent depuis le premier "pic" des prix agricoles en 2007. La question de la volatilité renvoie naturellement à celle de la spéculation, encore plus difficile à débattre, car mal comprise et souvent assimilée aux marchés à terme. Or ces derniers sont indispensables à double titre : ils permettent aux producteurs de se couvrir contre les variations de prix et ils reflètent les anticipations de prix au comptant. Ils constituent donc une source de liquidité et d'information capitale.

Tout le problème est que les frontières entre couverture et spéculation s'estompent et c'est dans ce flou académique que les politiques se sont emparés du sujet de la spéculation en prenant bien soin de traiter le sujet... plus tard. Car, curieusement, cette question, qui concentre l'essentiel de la controverse sur les prix agricoles, ne sera pas au menu de ce G20 mais tout juste évoquée dans la déclaration finale. Quels sont, en effet, les termes du débat ? Dans sa vision simpliste, il oppose ceux pour qui le "physique" de l'offre et la demande explique l'envol et la volatilité des prix à ceux qui pensent que la spéculation est seule responsable, comme en témoigne le poids croissant des fonds indiciels sur les marchés de matières premières. La controverse est en fait aujourd'hui plus nuancée : les uns reconnaissent une corrélation entre fonds indiciels et volatilité sans démontrer un lien de causalité et les autres admettent le rôle d'amplification des marchés dérivés en soulignant que ce sont toujours des facteurs "physiques" qui sont à l'origine des mouvements de prix. C'est la position de la France.

Malheureusement, les études empiriques sur l'influence des dérivés sont bien souvent contradictoires et les méthodologies contestables.

Mais un consensus émerge peu à peu en faveur d'une responsabilité (à définir) de la spéculation dans la hausse des prix agricoles. Les critiques semblent se focaliser sur le rôle des fonds indiciels et même les organisations internationales (FAO, OCDE) ont retenu à maintes reprises un lien de causalité entre la montée en puissance des fonds indiciels et la montée des prix. Le minikrach de mai dernier en serait d'ailleurs un nouveau témoignage. Dès lors, on peut légitimement s'interroger sur ces fonds indiciels, qui traitent les matières agricoles comme un actif financier parmi d'autres. En cinq ans, ces actifs qui répliquent des indices ont été multipliés par 25, atteignant plus de 300 milliards de dollars. L'objectif de ces indices, constitués par de grandes banques d'investissement pour leurs clients institutionnels, n'est évidemment pas de se couvrir contre une variation des prix, l'investisseur n'ayant aucune obligation de livraison physique. Il s'agit, pour le fonds indiciel, de revendre un contrat à terme avant son échéance et d'acheter un nouveau contrat à l'échéance suivante pour maintenir son exposition sur l'actif sélectionné.

Ce mécanisme de "roll over" (reconduction de contrat) est au coeur de la spéculation des matières premières. Il permet en effet de conserver une position plusieurs mois, voire plusieurs années, sans lien véritable avec les fondamentaux physiques du marché. Les produits agricoles représentent certes à peine 10% des fonds indiciels de matières premières. Mais les sommes drainées dans ces fonds sont telles qu'elles peuvent aisément étouffer le marché des produits agricoles (40 milliards de dollars), qui représente lui-même un faible pourcentage des productions (seul 15% du blé produit est échangé sur le marché). Une simple variation à la marge suffit à décaler les cours. Autre problème, ces fonds détiennent des positions longues (spéculation à la hausse), une asymétrie qui nuit au bon fonctionnement d'un marché.

Enfin, les paniers d'indices, qui sont des agrégats de plusieurs matières premières, ne peuvent plus remplir la fonction propre à un dérivé "d'anticipation" d'un prix. Les marchés dérivés deviennent peu à peu des boîtes noires aux mains des grandes banques. Surtout, comme l'a montré une enquête du Sénat aux États-Unis, les banques développent toute une palette d'instruments financiers complexes (swaps d'indices, ETF...) qui faussent également la fonction d'information du prix à terme. Or, cette distorsion de l'information circule de plus en plus vite et de plus en plus loin, au risque de désorganiser toute la filière, de la production à la distribution. Cette puissance décuplée risque ainsi s'assujettir le monde agricole à la finance. L'agriculture a besoin des marchés à terme mais pas nécessairement des fonds indiciels, nouvelle source d'instabilité.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.