Et si le Vieux Continent réformait plus radicalement ses banques ?

L'idée d'une séparation des activités de banque d'investissement et de détail, comme au Royaume-Uni, commence à s'imposer. La réduction de l'effet de levier et de l'activité sur les produits dérivés est en débat.
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Quatre ans après le début de la crise financière, les politiques et les superviseurs se félicitent de la recapitalisation des banques annoncée mercredi, même si elle ne suffira sans doute pas à réduire le fantastique effet de levier des banques européennes, et plus particulièrement françaises. Car, pas plus les normes prudentielles de Bâle III, que celles de Bâle II encore en vigueur à ce jour, ne semblent suffisantes pour garantir la solidité des banques. Le fameux ratio de solvabilité derrière lequel elles se cachent toutes ? Entre une définition à géométrie variable des capitaux propres selon les établissements, et le calcul totalement opaque de leurs actifs pondérés par les risques, calcul établi selon leurs propres modèles d'évaluation, le fameux ratio est totalement dénué de sens. Pas deux établissements ne sont véritablement comparables à l'aune de ce ratio qui procède d'une obscure cuisine comptable propre à chaque banque ! D'ailleurs, un signe ne trompe pas : les banques ayant affiché le niveau de fonds propres Tier One le plus élevé sont précisément celles qui ont essuyé le plus de pertes pendant la crise. D'où des propositions de réformes plus radicales qui émergent, surtout aux États-Unis et en Grande-Bretagne, pour assurer une grande résilience du système bancaire.

Explosion des dérivés

Elles visent un même objectif : réduire l'assiette de risques de la banque d'investissement. « Les politiques n'ont pas pris toute la mesure des changements qui se sont opérés dans la banque d'investissement, avec notamment l'explosion des produits dérivés », constate, amer, un ancien banquier.

La première solution passe sur une plus grande séparation des activités de banque de dépôts et de banque d'investissement, selon des modalités qui peuvent être très différentes (scission, filialisation, muraille de Chine...). L'idée est ancienne et le système bancaire a longtemps fonctionné de manière séparée, y compris en France (jusqu'en 1967). Elle revient cependant en force depuis la crise et les théories du « narrow banking » (banque sûre) font désormais l'objet d'un intense débat académique. Elles ont d'ailleurs inspiré les « règles Volcker » aux États-Unis et surtout la commission Vickers en Grande-Bretagne. Même l'OCDE s'est déclarée favorable à une plus grande séparation des activités pour réduire les risques. Le postulat est simple : à travers leur activité de banque d'investissement, les banques universelles sont amenées à prendre des risques extrêmes, les « tail risks », en partant du principe que si elles gagnent beaucoup d'argent, ce sera tout bénéfice, tandis que si elles en perdent, les États viendront les sauver parce qu'elles sont aussi des banques de dépôts. On peut ainsi s'interroger de voir la Société Généralecute; Générale, pendant la crise, être exposée à hauteur de 11,9 milliards de dollars, soit 29 % de son capital de l'époque, sur une seule contrepartie, AIG, alors que la banque gère par ailleurs plusieurs dizaines d'autres contreparties équivalentes. Seule la contribution de l'État américain, qui s'est substitué à AIG pour honorer ses engagements, a permis de sauver la banque française.

Ainsi, ce n'est pas en soi la faillite de Lehman Brothers ou d'AIG qui pose problème, mais bien les liens financiers, avec des effets de levier formidables, que les grandes banques ont noué avec Lehman Brothers ou AIG. Séparer les activités devrait donc contraindre les banques à réduire leurs activités de banque d'investissement et notamment l'intense activité qu'elles développent sur les produits dérivés. « Les quatre premières banques américaines concentrent ainsi quelque 200.000 milliards de dollars de contrats notionnels », souligne le professeur Henri Bourguinat. Or, la question de « l'utilité sociale » des produits dérivés, autrement dit, leur contribution au financement de l'économie, mérite au passage d'être posée. « Les grandes banques utilisent surtout les dérivés pour arbitrer les différentes règles prudentielles, voire les contourner, et optimiser leur fiscalité », souligne un professionnel. Voilà aussi pourquoi seulement 15 % du bilan de la Deutsche Bank est consacré au financement de l'économie.

Changer de ratio

Mais, l'utilisation des dérivés nécessite une confiance entre les différentes contreparties, et plus une banque affiche un bilan réduit, ou ne peut se prévaloir d'une licence « too big to fail » (trop grosse pour faire faillite), et moins elle aura la possibilité de trouver des contreparties sur le marché. En résumé, la séparation réduira de facto le volume des transactions sur les dérivés, au plus grand bénéfice de l'ensemble du système.

L'autre grande piste de réforme serait de changer de thermomètre pour mesurer la solvabilité des banques, et prendre un ratio d'engagement (« leverage ratio » en anglais), qui rapporte le capital au total de bilan. Si l'on applique la même règle de calcul aux établissements, les banques françaises en ressortent notoirement sous-capitalisées par rapport à la taille de leur bilan : le total de bilan de BNP Paribas atteint 33 fois ses fonds propres (Core Tier One retenu par Bâle III), et à la Société Généralecute; Générale, 41 fois ! On se souvient qu'à la veille de sa faillite, Lehman Brothers affichait un multiple de bilan de 35 fois ses fonds propres. Pour ramener ce multiple à un niveau moins vertigineux, autour de 20 fois les fonds propres, il faudrait donc injecter près de 400 milliards dans l'ensemble des banques européennes.

Valérie Segond et Eric Benhamou

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