Cette gestion désastreuse du personnel gouvernemental

Le "phénomène bureaucratique", dénoncé il y a 50 ans par Michel Crozier, a malheureusement de beaux jours devant lui. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Il y a une cinquantaine d'années, le sociologue Michel Crozier étudiant les organisations publiques (« Le Phénomène bureaucratique » « L'acteur et le système ») avait mis en valeur la notion du « face à face ».  Dans les systèmes de relations humaines, l'évitement était la règle, la négociation rare et limitée. Le recours à l'autorité supérieure - donc à la centralisation et à l'unicité des solutions- était la voie normale pour résoudre, au moins provisoirement les conflits, sans véritable adaptation de l'organisation.

Les écrits de Michel  Crozier n'ont malheureusement pas pris une ride. Le développement du téléphone, puis du courriel et du texto, permet au contraire de prendre des décisions, de trancher sans s'être confronté avec l'intéressé. La recherche de la productivité, le souci de faire est invoqué pour limiter le dialogue et limiter les rencontres.

Pour être honnête, cette tendance ne concerne pas le seul secteur public. Dans la plupart des organisations, les relations directes  entre les personnes sont source d'insatisfaction. Beaucoup se plaignent de ne pas être reconnus à leur juste valeur et leur travail reconnu. Le matériau humain est par nature plus difficile à manipuler que  des outils techniques ou commerciaux.

Tous ceux qui ont vécu une expérience de notation le savent. Comment dire vrai sans bloquer l'interlocuteur et en l'aidant à progresser? Comment être clair en mettant des nuances ? Combien de fois, n'a-t-on pas cru être clair, alors que l'autre n'a entendu que ce qu'il voulait entendre? L'autojustification est le penchant naturel de tout individu appelé à se justifier. Le dialogue se fait dans une semi obscurité et incompréhension où les parties prenantes sont complices. Quelques mois plus tard tombera la décision que le supérieur considérera comme ayant été préparée et l'exécutant comme le fruit de l'arbitraire et de la mauvaise foi.

Dans l'administration centrale, le mode de nomination et de révocation est un exemple caricatural du refus du face à face.

L'Etat, maître des horloges

S'agissant des postes les plus élevés, l'impétrant ne sait pas à qui s'adresser, ignorant si la décision au final sera prise par son ministre, Matignon ou l'Elysée. Le sage se contentera de faire connaître sa candidature à son supérieur hiérarchique et attendra. Le pressé fera le tour de toutes ses connaissances dans les cabinets. A aucun moment, il ne proposera un plan d'action. Plus tard, s'il a été nommé, un document énonçant des orientations précises, voire chiffrées, pourra lui être demandé. Celui qui croit que la nomination interviendra avant le départ du titulaire du poste se trompe, les nominations se faisant souvent en bloc, ce qui permet des compromis entre les différents lobbys administratifs ou politiques. Un poste peut rester plusieurs mois sans titulaire, sans que personne ne s'émeuve. Les administrés et les affaires attendront. L'Etat, maître des horloges, dispose. Quant à des périodes de recouvrement entre le titulaire et le promu, elles sont exceptionnelles, voire inexistantes. La continuité de l'Etat et du Service public sont des principes intangibles sans que des conséquences concrètes en soient tirées.

La direction du Trésor, un exemple caractéristique

Un des exemples caractéristiques est la direction du Trésor, moins puissante qu'il y a trente ans mais toujours à forte capacité d'intervention. La rotation des chefs de bureau- jeunes pour la plupart et impatients sur la suite de leur carrière- est rapide, souvent moins de deux ans. Ils ne préviennent pas de leur changement de fonctions et leurs correspondants, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'administration, apprennent au hasard d'un appel téléphonique le changement intervenu. Ils devront informer, voire former leur successeur, dans le domaine qui est le leur. Heureusement, ces jeunes gens sont des « rapides »

S'agissant des postes nommés en conseil des ministres, la fin peut être très brutale. L'intéressé peut ne pas être prévenu. Il apprendra son départ par l'intermédiaire de l'AFP ou d'un journaliste ou par une « fuite » venant généralement des cabinets. Certes, l'Etat est dans son droit, il peut révoquer ad nutum et l'intéressé le sait. Son amertume vient du fait que le motif lui est rarement donné. A-t-il démérité ou commis quelque maladresse, dont la connaissance pourrait lui être utile pour la suite de sa carrière ? Il l'ignorera, son ministre s'abstenant de le recevoir. Souvent, sa mutation est due au fait qu'un autre voulait la place, alors qu'accaparé par ses fonctions il n'en était nullement conscient.

Un spoil system qui ne dit pas son nom

Le spoil system, qui contrairement à ce qu'on dit, est pratiqué en France, mais avec hypocrisie. De Gaulle au début de la Quatrième République, Giscard, Mitterrand l'ont pratiqué en leur temps. Si vous aviez déplu au Président, le plus sage est de chercher à pantoufler, c'était particulièrement fondé lorsque le mandat présidentiel était de sept ans.

Il n'est pas anormal que, pour des postes stratégiques, par exemple la Préfecture de Police ou la Direction du Budget, les ministres soient en situation de «  complicité » avec les responsables. N'a-t-on pas dit que la fâcheuse dissolution de l'Assemblée Nationale décidée par Jacques Chirac avait pour origine une note alarmiste du directeur du Budget, qu'il n'avait pas su décoder ? Ce qui serait souhaitable, c'est de mettre un peu de clarté dans notre spoil system et d'établir une liste limitative des postes stratégiques impliquant une certaine « complicité » politique.

Pour les ministres, une improvisation sans limites

Quant à la nomination ou à la révocation des ministres, non seulement le « face à face » est souvent exclu mais l'improvisation est sans limites.

Rappelons qu'en France la constitution des gouvernements se fait en 48 heures. Impossible dans un tel délai pour le Président ou le Premier Ministre d'avoir un échange approfondi avec le titulaire éventuel et son adéquation au poste. Vivent le téléphone et la valse entre hommes et structures relativement malléables.

Rappelons que des pays comme l'Allemagne ou les Pays- Bas peuvent mettre des mois à constituer un gouvernement. J'écris bien des mois. Ces pays sont-ils en état de sous- développement ? En France, au bout de 48 heures, les médias hurlent à la crise si le gouvernement n'est pas nommé. Les chaines d'information permanente multiplient les interviews- fiction de tous ceux qui croient détenir quelques secrets. Le Président est sommé d'accoucher.

Plusieurs semaines pour constituer un gouvernement?

Faisons un rêve : les candidats à l'élection présidentielle annoncent qu'ils mettront plusieurs semaines à composer un gouvernement de salut public, correspondant à ses engagements et aux urgences et à préparer les orientations qui seront présentées à l'Assemblée nationale. Pendant ce temps, ses collaborateurs et lui- même n'auront aucun contact avec la presse politique et il demande aux leaders de sa majorité et à des candidats éventuels à des fonctions ministérielles de faire de même. Un tel délai n'est-il pas celui que l'on observe dans la plupart des institutions qui renouvellent leurs équipes et leurs plans d'action ?

Comment occuper les journalistes politiques durant cette période de viduité ? Ils pourraient partir en province et s'intéresser à la vie politique des régions, des départements et des grandes villes ou traiter de sujets qui ne relèvent pas de la stricte actualité. Ils pourraient aussi partir pour l'étranger. Si des missions de cette nature ne leur conviennent pas, l'on pourrait les faire bénéficier du régime des intermittents du spectacle.

Des ministres révoqués avec désinvolture

Pour ce qu'il faut bien appeler des « révocations » de ministres, la désinvolture est croissante. Selon la presse, le ministre de la Culture. Fleur Pellerin, a été informée par un appel sur son portable qu'il était inutile de se rendre au Sénat pour défendre son projet de loi, puisqu'elle n'était plus ministre. Certes, étant fonctionnaire, elle ne se retrouvera pas chômeuse. Mais quel employeur se comporterait de cette manière ? Quelle femme de ménage accepterait-elle d'être traitée ainsi ? Il ne semble pas que la ministre de la Fonction Publique ait été mieux traitée. Coïncidence, dans les deux cas, il s'agit de femmes.

Pour gagner quelques minutes, les licenciements pourraient au prochain remaniement se faire par texto. Suggérons à nos ministres lorsque le temps des licenciements reviendra de laisser chez eux leurs portables.

Pierre-Yves Cossé

Février 2016

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Commentaires 3
à écrit le 07/03/2016 à 20:41
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Notre monarchie républicaine n'a rien à envier aux faits du Prince de notre monarchie absolue des siècles passés. Elle est plus hypocrite car elle met le peuple sous le pouvoir de multiples roitelets anonymes, plus nombreux que les SEIGNEURS d'autref...

à écrit le 02/03/2016 à 10:34
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Nous sommes revenus à une forme de monarchie où le pouvoir appartient au courtisan qui a l'oreille du monarque.

à écrit le 01/03/2016 à 22:11
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Hollande en bon économiste dit que ça coûte rien C est de argent public ! Voilà comment depuis 40 ans nos gouvernant nous ruine et le socialiste ont la palme de L incompétence économique faut dire !

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