Le nouveau monde passerait-il par l'ancien ? On pourrait le penser à voir resurgir le projet de conseiller territorial, cet élu hybride appelé à siéger à la fois au département et à la région, et que pourrait proposer Emmanuel Macron à l'issue du grand débat national pour donner plus de proximité à la décentralisation. Nicolas Sarkozy avait réussi, bon gré mal gré, en 2011 à imposer ce projet aux sénateurs de droite, en arguant que cela permettrait de supprimer des milliers de mandats locaux, à l'époque pour la plupart tenus par des apparatchiks de feu le parti socialiste. François Hollande, à peine arrivé à l'Elysée, s'était empressé d'abandonner ce projet « PS-killer », ce qui n'a d'ailleurs, ironiquement, pas empêché l'ancien président de finir son quinquennat en fossoyeur de la gauche !
Pourquoi Sébastien Lecornu, élu LR de l'Eure, prise de guerre du macronisme et cheville ouvrière du Grand débat national, évoque-t-il donc pour la première fois publiquement dans La Tribune le retour de ce conseiller territorial ? Au regard des enjeux de la décentralisation, le jeune ministre agite en apparence un gadget dont l'importance échappera au citoyen lambda, qui réclame surtout une décentralisation plus efficace. Notre sondage exclusif BVA le montre : les Français ne veulent pas d'un « grand soir » de la décentralisation. Aux questions posées par Emmanuel Macron sur l'organisation de l'Etat et des collectivités locales, ils répondent avec bon sens leur désir d'un système qui marche et au service de tous, sur tout le territoire.
C'est là que l'idée du conseiller territorial est un brin machiavélique. Car quel meilleur exemple de gaspillage que ces élus locaux innombrables, rendus inefficients par un millefeuille territorial kafkaien où plus personne ne comprend plus qui fait quoi, qui est responsable de quoi et qui finance quoi. Le jugement pourrait sembler sévère, mais c'est pourtant bien le diagnostic qu'avait établi le candidat Macron dans son livre « Révolution », où il avait étrillé « ces élus locaux qui ne remplissent pas leurs missions ». Il faut relire le chapitre 11 du livre-programme du futur président : d'une certaine façon, il avait prédit la crise des gilets jaunes, compris le sentiment d'abandon des territoires où vivent des assignés à résidence obligés de prendre leur voiture faute de transports publics locaux. Le mystère, c'est pourquoi le président a-t-il ensuite oublié ce qu'avait écrit le candidat ?
De sorte que, au terme du Grand débat national, c'est par une prise de judo habile qu'Emmanuel Macron tente de renverser la charge de la preuve. Le conseiller territorial, c'est un moyen de renvoyer les élus locaux à leur propre impuissance, eux qui réclament toujours plus de décentralisation et de moyens, mais qui n'ont pas su régler nombre des problèmes du quotidien dont ils ont pourtant la charge, tout autant que l'Etat vers qui les "gilets jaunes" se tournent. Ne nous y trompons pas : ce n'est pas un hasard si Emmanuel Macron brandit le conseiller territorial. Toutes les associations d'élus, d'Hervé Morin (Régions) à François Baroin (Maires) en passant par Dominique Bussereau (Départements) se sont prononcés contre : un tel unanimisme est suspect. Si cela se trouve, si cela les dérange tant, c'est peut-être que l'idée n'est pas si mauvaise... Son intérêt principal, outre de supprimer 2000 mandats improductifs, qui sont autant de clientélismes et de coûts superflus, est remettre un acteur de proximité entre les cantons et des régions XXL, devenue ingouvernables. A quand des « gilets jaunes » conseillers territoriaux ?
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