Don't Brex our heart !

Un divorce par décision unilatérale, tel est donc le choix des Britanniques après quarante-trois ans de participation au projet européen. Le choc est à la mesure de la surprise créée jeudi 23 juin par le Brexit, auquel personne ne voulait croire, et que personne, visiblement, n'avait vraiment préparé.
Philippe Mabille

Après un moment de flottement, notamment entre Paris et Berlin, le Conseil européen de mercredi 29 juin a choisi d'adopter visà-vis de Londres une ligne dure. Le Royaume-Uni a été sommé de déclencher le fameux article 50 du Traité de l'Union, qui prévoit les voies et moyens de la sortie. Tant pis pour ceux qui espèrent encore un revirement de dernière minute, un « Breturn » : bien que le peuple britannique soit profondément divisé par ce vote aux conséquences imprévisibles, son choix semble irréversible. Pas question non plus pour les capitales du continent d'accepter une Europe à la carte, offrant au Royaume-Uni des aménagements au cours de la longue négociation à venir : on ne peut pas coucher et rester vierge, ont répondu en substance Hollande et Merkel à Cameron, qui restera dans l'Histoire celui qui a joué l'avenir de son pays sur un coup de dé, pour des raisons politiciennes.

Cet événement majeur ouvre pour l'Europe une période d'incertitude avec la menace réelle de voir les économies plonger dans une nouvelle récession. À commencer par le Royaume-Uni, où le Brexit gèle à court terme tous les projets d'investissement et d'embauche, sans compter ceux qui pourraient se reporter vers le continent. Un nouveau tour de vis budgétaire a d'ailleurs été annoncé par le chancelier de l'Échiquier, George Osborne, pour contrer les effets inflationnistes d'une livre dévaluée. À la confusion politique, qui va durer au moins jusqu'à l'arrivée d'un successeur à David Cameron, en septembre, s'ajoute l'inconnue sur l'avenir de l'Écosse, qui souhaite rester dans l'UE, plaçant l'Angleterre face au danger de devenir une « petite » Bretagne.

Le coup d'Albion est perfide pour l'avenir de UE

Si la Grande-Bretagne démontre qu'elle s'en sort mieux dehors que dedans, le Brexit risque bien de faire des petits, dans une zone Euro où des années de crise et d'impuissance politique ont fait naître un populisme dont Nigel Farage, le leader de l'Ukip, n'a pas hélas le monopole. Il a d'ailleurs prédit que la Grande-Bretagne « ne sera pas le dernier État à quitter l'Union ».

Face à ce risque de désintégration de l'Europe, les dirigeants de la zone euro sont placés devant une responsabilité historique. Pour convaincre des peuples de plus en plus sceptiques qu'ensemble, on fait mieux que séparément, il va leur falloir prendre des initiatives fortes et apporter des solutions aux maux dont souffre l'Europe : chômage, migrants, faible croissance. Certains se raccrochent à l'espoir d'un new deal franco-allemand, qui pourrait prendre corps après les élections qui se tiendront dans les deux pays en 2017 : l'Allemagne accepterait plus de solidarité financière si la France convenait à des progrès dans l'intégration politique. Pas sûr que ce pacte emporte facilement l'adhésion démocratique dans les circonstances actuelles. D'autant que l'Allemagne conservatrice, tendance Merkel-Schaüble, est déterminée à monnayer très cher, par un pacte de stabilité budgétaire durci, son soutien à une réforme institutionnelle de l'Europe. Le plus probable est donc qu'il ne se passe rien, ou pas grand chose, faute de consensus politique sur une nouvelle Europe. Et que le Brexit consacre un retour à une Europe des nations où chaque pays jouerait sa propre carte dans la compétition économique. Donnant in fine raison à la vision anglaise d'une Europe libérale, se résumant à un grand marché conforme aux intérêts de la City.

Le « wake-up call » salutaire

Pour la France qui s'est souvent laissée abuser par une vision trop romantique d'une Europe à son image, le Brexit sonne comme un « wake-up call » salutaire. Et si l'on veut bien écouter Michel Sapin, pour lequel Paris peut à son tour dérouler le « tapis rouge » aux financiers de la City, encore faut-il que les actes soient mis en cohérence avec les mots. En 2012, quand David Cameron, allié à l'époque à son rival le maire de Londres Boris Johnson (pro-Brexit), avait dit « tapis rouge » pour les exilés fiscaux français, c'était dans un contexte où François Hollande avait annoncé une taxe de

75 % sur les « riches », et où le Royaume-Uni au contraire baissait massivement l'impôt sur les sociétés. Quatre ans plus tard, si la place de Paris veut espérer tirer profit du Brexit, cela doit s'accompagner d'une politique fiscale plus attractive pour les capitaux et les talents étrangers. En clair, supprimer l'ISF et baisser l'impôt sur les entreprises. Car si Londres peut être déstabilisée, à court terme, par le Brexit, on peut compter sur les Anglais, peuple tourné vers toutes les mers du monde, pour rebâtir sur le chaos actuel une stratégie conforme à leurs intérêts. Quitte s'il le faut à se transformer en une Singapour aux portes de la zone Euro.

Philippe Mabille

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.