Emmanuel Macron main dans la main avec le président Lula en pleine forêt amazonienne... Il n'en fallait pas plus pour que l'image évoquant un mariage entre le président français et son homologue brésilien fasse le tour des réseaux sociaux à l'issue cette semaine de la visite d'Etat du premier au Brésil. Une moquerie qui a conduit Emmanuel Macron à répondre sur le réseau social X (ex Twitter) : « certains ont comparé les images de ma visite au Brésil à celles d'un mariage, je leur dis : c'en était un ! La France aime le Brésil et le Brésil aime la France ».
Ce clin d'œil ne serait qu'anecdotique si le Brésil, qui préside cette année le G20, n'était pas résolu à trouver d'ici juillet un consensus pour taxer les multinationales et les super-riches... Rien d'extraordinaire pour l'ancien syndicaliste Luiz Inácio Lula da Silva. Mais pas vraiment la ligne d'Emmanuel Macron, le président qui a supprimé l'ISF, allégé la taxation des dividendes et abaissé l'impôt sur les sociétés au nom de la compétitivité.
Pourtant, le débat sur la fiscalité des riches a resurgi en France depuis que l'Insee a révélé mardi l'ampleur des dérapages du pays : 5,5% du PIB en 2023 (au lieu de 4,9%), et une impasse évaluée par l'OFCE entre 65 et 80 milliards d'euros pour tenir l'objectif du retour du déficit sous les 3% du PIB en 2027. Personne n'y croit, sauf à accepter des hausses d'impôts. Même le Medef semble s'y résigner, conscient que cette catastrophe budgétaire dégrade l'image du pays en Europe et à l'étranger. Il n'est jamais bon pour les affaires d'apparaître comme un mauvais élève récalcitrant.
« La voie brésilienne » d'un impôt mondial minimum sur les plus riches
Des impôts peut-être, mais comment ? Qui va payer quoi ? Face à la pression de sa majorité, de François Bayrou à Gaël Braun-Pivet, le Premier ministre Gabriel Attal a affirmé mercredi « ne pas avoir de dogme ni de tabou sur les profits exceptionnels liés aux situations de crise ». Une première brèche qui entrouvre la porte à une taxation des fameux « superprofits », ciblant notamment les énergéticiens. Sa seule « ligne rouge » : ne pas augmenter les impôts des classes moyennes. Mais sa promesse de leur baisser l'impôt sur le revenu de 2 milliards d'euros a, comme par enchantement, disparu des radars...
A gauche, ce retour du débat fiscal est pain bénit, si l'on ose dire en cette journée de Pâques : Raphaël Glucksmann, le candidat PS aux Européennes, réclame une taxation des super-riches à l'échelle européenne. Il a un allié inattendu en la personne de Bruno Le Maire qui s'est dit en février lors du G20 Finances à Sao Paulo favorable à « la voie brésilienne » d'un impôt mondial minimum sur les plus riches. Macron en a-t-il parlé avec son ami Lula ?
Selon Gabriel Zucman, un brillant économiste français spécialiste des inégalités, si les 3000 milliardaires de la planète payaient au moins l'équivalent de 2% de leur fortune, cet impôt rapporterait 250 milliards d'euros au niveau mondial. Un calcul similaire a été fait au niveau français par l'économiste Jean Pisani-Ferry dans son rapport sur le financement de la transition écologique. Partout dans le monde, pour payer la facture du Covid, de l'inflation et du climat, le débat sur la fiscalité des plus fortunés, appelés à faire preuve de solidarité, monte en puissance. Pendant le forum économique mondial de Davos, en janvier dernier, 250 millionnaires et milliardaires de toutes nationalités membres du mouvement « Tax the Rich » ont plaidé pour que les gouvernements mettent en œuvre sans délai une telle mesure.
Pas question de toucher à notre cagnotte...
Pour l'heure, il n'y a pas de consensus au G20 pour créer un impôt mondial sur les riches. Autant dire tout de suite que c'est un vœu pieux. Ce sera au débat politique dans chaque pays de trancher. En attendant un très improbable accord mondial, le gouvernement français propose d'autres « voies » pour boucler son budget pour échapper à la dégradation des agences de notation au printemps. Les chômeurs, les retraités, les malades en ALD sont dans le viseur de mesures d'austérité qui toucheront de plein fouet les classes moyennes que Gabriel Attal prétend épargner. Un drôle de pari pour espérer regagner des points lors des élections européennes du 9 juin. Quant à la volonté réitérée de l'Elysée de ponctionner les excédents des retraites complémentaires Agirc-Arrco, elle revient ni plus ni moins qu'à piquer dans la caisse des salariés du privé, ce contre quoi s'élèvent en chœur syndicats et patronat. Pas question de toucher à notre cagnotte, ont-ils répliqué, provoquant la colère du Château.
Dans son livre Le Diable Rouge, Antoine Rault imaginait une conversation entre Colbert et Mazarin qui dit tout : « Colbert, tu raisonnes comme un fromage. Il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres ni riches. Des Français qui travaillent, rêvant d'être riches et redoutant d'être pauvres ! Ce sont ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux-là, plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser. C'est un réservoir inépuisable. »
Même inventé, le propos n'a pas pris une ride : à la recherche de 20 milliards d'euros d'économie pour 2025, le ministère des finances réfléchit à des solutions pour augmenter les impôts de la façon la plus invisible possible. La piste d'une « année blanche » fait son chemin à Bercy : elle consiste à ne plus indexer le barème de l'impôt sur le revenu, comme l'avaient fait Nicolas Sarkozy et François Hollande en 2012-2013 pour payer la crise financière. Autre idée, évoquée page 68 du livre de Bruno Le Maire, la TVA sociale, consistant à remplacer une partie des cotisations sociales salariales par 5 points d'imposition de la consommation. Le grand avantage : taxer les importations, mais au risque de relancer l'inflation. Le concours Lépine fiscal est lancé et n'est pas près de s'arrêter.
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