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Réunis cette année au OuiShare Festival à Paris, dont La Tribune est partenaire, les acteurs de l'économie du partage se sentent pousser des ailes.
Cette « share economy » a une double face. La première, porteuse d'un joyeux échangisme, traduit la prise du pouvoir par un « consomm-acteur » écologiste.

Réunis cette année au OuiShare Festival à Paris, dont La Tribune est partenaire, les acteurs de l'économie du partage se sentent pousser des ailes. C'est dans leurs rangs que l'on trouve les seules entreprises milliardaires qui n'existaient pas il y a cinq ans. Uber, le service de VTC mondial, pourrait s'introduire en Bourse pour une valeur de 50 milliards de dollars. Airbnb, qui permet de se loger partout, est valorisé près de 15 milliards de dollars. Le français Blablacar, qui permet de louer une place dans une voiture pour du covoiturage de longue distance, a réussi une levée de fonds record de 100 millions de dollars pour s'étendre à l'international. Cette nouvelle économie n'a pourtant plus grand-chose à voir avec l'économie collaborative qui l'a inspirée. Ces nouveaux géants sont désormais des marques mondiales. Et parce que leur modèle d'affaires repose sur un effet d'échelle

L'économie collaborative transforme le monde et le capitalisme à grande vitesse, que ce soit au niveau mondial ou au niveau local, voire microlocal. Face aux grandes plateformes qui proposent des services très standardisés et très rentables (20 % simplement pour offrir l'accès à leur « appli »), une myriade d'initiatives poussent dans une logique plus proche de l'inspiration saintsimonienne et fouriériste de l'économie du partage. Avec la crise, le numérique a fait naître de nouveaux liens sociaux de voisinage qui séduisent de plus en plus d'utilisateurs. C'est le voisin qui prête sa tondeuse à gazon dans le lotissement, sa perceuse dans l'immeuble, ou sa voiture dans le quartier. Il s'agit d'un renversement complet de la logique capitaliste qui s'appuie sur la redéfinition des besoins.

Cette « share economy » a une double face. La première, porteuse d'un joyeux échangisme, traduit la prise du pouvoir par un « consomm-acteur » écologiste. On cherche à économiser des ressources rares en optimisant des biens sous-employés. L'économie du partage, c'est l'économie de la famille à une échelle plus large. Plus grande est l'échelle, plus le coût de transaction diminue et plus le profit, collectif pour tous et individuel pour les actionnaires de ces nouvelles entreprises, est grand. Et, de fait, est-il efficace qu'une voiture soit au parking pendant 95 % de sa durée de vie ? Qu'un appartement soit vide quand son propriétaire est absent ? Chacun, propriétaire de ce capital, peut à bon droit se dire que c'est un moyen de compléter ses revenus.

Ces évolutions ont des effets positifs évidents, même si elles restent sous le radar des statistiques économiques. On met moins l'accent sur la face plus sombre de cette nouvelle économie numérique, qui est double : elle creuse les inégalités, en favorisant ceux qui détiennent un capital au détriment de ceux qui n'en ont pas ; et, en se massifiant, elle exerce un effet malthusien pour la croissance et l'emploi. On consomme moins, on produit moins, donc on croît moins. Et donc on crée moins d'emplois, ce qui engendre, des déficits publics et sociaux qui eux-mêmes contribuent à freiner la croissance. On a là en germe tous les ingrédients d'un cercle vicieux dont se nourrissent les géants de l'économie du partage, qui prospèrent sur les cendres d'une crise économique qui n'en finit plus et d'un chômage endémique qui précarise le travail. Sait-on qu'aux États-Unis, une part croissante de la population active est purement et simplement sortie du marché du travail ? Et que ce que l'on appelle la « free-lance economy », c'est-à-dire les entrepreneurs individuels, représente plus du tiers des travailleurs, soit 53 millions de personnes.

Il est encore difficile de dire si cette tendance s'aggrave ou s'est accélérée du fait de l'explosion concomitante de l'économie du partage. Mais quand on voit que l'immense majorité des chauffeurs Uber sont d'anciens chômeurs ou des travailleurs précaires ou à temps partiel, on mesure bien le danger, celui de la fin du salariat, en tout cas sous la forme où nous-mêmes et nos parents l'avons connu depuis les « trente glorieuses ».

En soi, c'est plutôt une bonne chose que d'offrir à chacun un travail pour obtenir un revenu. Mais on constate bien que les règles du jeu changent et que le financement de la protection sociale, des retraites et même de l'État (une part importante de l'économie du partage échappe à l'impôt) vont devoir être repensés.

Conçue à l'origine comme une réponse au capitalisme, la « share economy » est capable de produire le meilleur - un grand mouvement de solidarité -, comme le pire, à l'image de la plateforme TaskRabbit, qui proposait de louer de la force de travail selon un système d'enchères inversées, poussant donc à écraser les salaires vers le bas.

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