Transformer ces gilets jaunes en gilets verts

ÉDITO. En dépit des blocages qu'il peut susciter, le mouvement des gilets jaunes a le mérite de mettre la focale sur le débat, essentiel, sur la fiscalité écologique et la responsabilité de chacun face à la lutte contre le réchauffement climatique. Pour sortir de ce conflit social par le haut, le gouvernement doit faire preuve de davantage de pédagogie quant à l'accès aux aides à la transition énergétique. Les collectivités locales devront, pour leur part, également endosser leurs responsabilités afin de trouver des solutions alternatives de mobilités. Par Philippe Mabille, directeur de la rédaction.
Le mouvement des gilets jaunes, qui dure depuis une semaine, refuse toute récupération politique.
Le mouvement des gilets jaunes, qui dure depuis une semaine, refuse toute récupération politique. (Crédits : Stephane Mahe)

Il faut dire merci à ces « gilets jaunes » dont la mobilisation spontanée constitue un événement politique majeur qu'on a bien tort de brocarder ou de moquer avec arrogance. Car c'est bien une partie du peuple qui vient de se soulever et de se rappeler au bon souvenir de ses dirigeants, au nom d'une colère sourde qui avait besoin de s'exprimer et de montrer son visage, un peuple de travailleurs, aussi masculin que féminin à l'image de son icône, Jacline, cette « France qui se lève tôt » modèle de Nicolas Sarkozy, et qui explose à la figure d'un Emmanuel Macron qui vient seulement de prendre conscience qu'il va payer cher le manque de considération qu'il a eu à son égard.

Par sa dimension « anarchique » et mal encadrée, c'est aussi une révolte dangereuse pour l'ordre public, qui a déjà causé la mort absurde de deux personnes et fait des centaines de blessés. Le mouvement des « gilets jaunes » a aussi un impact économique réel sur l'économie, avec une chute du chiffre d'affaires de la grande distribution, pénalisée par les blocages qui parsèment le territoire. Il est donc temps de négocier et, comme le disait Thorez, de savoir terminer cette grève.

Les "gilets jaunes" : un mal pour un bien

Car, s'il se niche dans ce mouvement nombre d'ultras dont les revendications disparates n'ont rien à voir avec le prix de l'essence, on trouve surtout une très grande majorité de braves gens qui n'ont pas l'habitude de manifester et qui sont sortis de leur vie tranquille pour dire leur souffrance. Bien sûr, ils ciblent en premier lieu le chef de l'État parce que c'est Emmanuel Macron, et personne d'autre, qui a pris la décision de mettre en oeuvre la hausse des taxes sur les carburants.

Une hausse que pourtant on ne peut pas feindre de découvrir puisqu'elle est programmée depuis la loi sur la transition énergétique de 2015. Si Macron ne recule pas, d'ici à 2022, les taxes sur le diesel auront augmenté de 30 centimes et celles sur l'essence de 15,5 centimes, TVA incluse (car en France, on paye aussi de la TVA sur les taxes, un coup de génie du monstre fiscal bercyen qui permet à l'État de s'enrichir quand les cours du pétrole montent !)...

Il faut dire merci aux gilets jaunes car grâce à eux, on a enfin un vrai débat sur la fiscalité écologique et sur notre responsabilité individuelle et collective pour contribuer à lutter contre ce que les économistes appellent froidement les externalités négatives et qui en vrai se nomment pollution (qui tue en France 48.000 personnes par an) et réchauffement climatique dont les transports sont l'une des causes

Un manque cruel de pédagogie

Grâce aux gilets jaunes, Bercy va enfin être contraint de dévoiler quelle est la part de la fiscalité écologique qui revient à l'écologie, dans un rapport qui devra être remis chaque année lors du vote du budget. Aujourd'hui, c'est le plus grand flou et c'est à se demander si Bercy ne fait pas exprès de rendre ces aides si complexes pour que peu de gens les utilisent. C'est inacceptable car cela nourrit le sentiment d'injustice et c'est inefficace, l'objectif étant au contraire de faire connaître et d'amplifier les mesures permettant de nous adapter à des changements de toute façon inéluctables.

Qui comprend quelque chose au crédit d'impôt de transition écologique censé nous aider à changer de chaudière ? Il n'inclut même pas les dépenses de remplacement des fenêtres alors qu'on sait que les logements anciens sont des trous à carbone faute d'isolation. Comment choisir une nouvelle voiture alors que l'on ne sait même pas, sauf pour les électriques, si on pourra rouler avec en ville dans cinq à dix ans ?

Les collectivités locales doivent prendre leurs responsabilités

La décision de la Métropole du Grand Paris d'interdire les vieux diesels en juillet 2019 laisse présager un durcissement progressif des réglementations à Paris comme dans toutes les grandes métropoles. Certes, les collectivités locales ont raison de promouvoir des mobilités douces et des alternatives à la voiture. Mais c'est aussi de leur responsabilité de donner de la visibilité sur les changements à l'oeuvre et de créer les infrastructures de la transition écologique. Les Parisiens ne sont pas les plus mal lotis en transports publics. Du coup, moins de 40% d'entre eux possèdent désormais une voiture individuelle. Mais les zones rurales et périphériques ont l'impression d'être livrées à elles-mêmes dans une sorte d'abandon qui nourrit le populisme ambiant.

Mais attention, si l'État doit amplifier les aides fiscales pour accélérer le passage d'un modèle de transports à un autre, si les constructeurs automobiles doivent arrêter de faire semblant pour écouler leurs stocks de voitures polluantes et accélérer la recherche pour des moteurs sobres (les 3 litres au cent ne sont plus une utopie), d'autres acteurs doivent prendre leurs responsabilités. Ceux qui crient « Macron démission ! » sous les fenêtres de l'Élysée seraient bien inspirés d'aller manifester aussi sous les fenêtres des 34.500 maires de France et des 13 présidents de régions pour réclamer aussi de la cohérence au niveau local.

Investir dans les mobilités du futur

Car, si c'est surtout dans la ruralité et les périphéries des métropoles que vivent ceux qui sont obligés d'avoir une voiture, c'est donc là aussi que doivent être proposées des solutions alternatives : développement de l'autopartage, réseaux de bus électriques, petites lignes SNCF : c'est dans les transports du quotidien que l'on doit désormais investir. C'est justement l'objet de la loi d'orientation des mobilités dont on n'en finit plus d'attendre la présentation. Il est plus que temps de comprendre qu'en la matière, le bon exemple à suivre est l'intuition géniale qu'a eu en 2006 le fondateur du site d'autopartage Blablacar.

Pour transformer les « gilets jaunes » en « gilets verts », Emmanuel Macron devrait nommer Frédéric Mazzella ministre des Transports. Avec son rachat de Ouibus (les « cars Macron » de la SNCF), le patron de la licorne française leader du covoiturage vient de faire un mouvement stratégique majeur pour son entreprise, certes, mais aussi d'adresser un signal très important sur ce que vont devenir les mobilités dans un futur où le prix du carburant va progressivement dépasser les 2 euros et plus au litre. Ne pas se préparer à ce nouveau monde est criminel pour la planète et pour notre liberté de nous déplacer.

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Rendez-vous les 27 et 28 novembre à la Mairie de Paris
pour deux jours de débats sur la ville zéro carbone.
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Commentaires 14
à écrit le 24/11/2018 à 13:22
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La prochaine mode, ce sera les bonnets jaunes ;)

à écrit le 24/11/2018 à 8:57
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J’ai été involontairement et très récemment le témoin d’une hérésie en matière d’autopartage. Une inauguration avec plusieurs « officiels » et leurs voitures de fonction chauffeur à l’interieur,moteur tournant attendant leur patron . C’est bon pour l...

à écrit le 24/11/2018 à 7:40
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Personne n'est à la hauteur des enjeux , ni les politiques , ni les citoyens (blasé ou pas blasé) , encore moins les GJ . Voici ce qui résume mon état d'esprit : https://www.lci.fr/planete/la-fin-d-un-monde-3-6-collapsologie-effondrement-nucleaire-e...

le 24/11/2018 à 18:39
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la France émet 0,9% des émissions de CO2 de l'ensemble des pays , notre voisin allemand 2,7% ... soit trois fois plus (essentiellement à cause de leurs centrales à charbon et d'une industrie la plus importante d'Europe ) la part dévolue aux véhicul...

le 24/11/2018 à 21:49
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tout à fait d'accord avec vous. Rien à ajouter

le 25/11/2018 à 18:26
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"Personne n'est à la hauteur des enjeux , ni les politiques , ni les citoyens (blasé ou pas blasé)" Je suis donc une star, dire que personne n'ose me le dire, on préfère me troller. Puéril.

à écrit le 23/11/2018 à 21:02
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Que masque cet article !Que les parisiens suffoquent sous les polluants alors ils sont contre le diesel et ils embetent tout le reste de la population française .Le monde rural et semi-rural n'a que faire des parisiens et leurs problemes ,l'air est p...

à écrit le 23/11/2018 à 20:21
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"accélérer la recherche pour des moteurs sobres (les 3 litres au cent ne sont plus une utopie)" ma 208eHDi est annoncée pour 3L/100 mais ai jamais pu descendre sous 3,6L à 70km/h. 4,02 sur 78 000km. Eviter les essence à injection directe si ce sont...

à écrit le 23/11/2018 à 20:20
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Parce que 66 millions de gentils français vont sauver le planète face aux 300 millions d'américains , 200 millions de russes , 1 milliard et plus de chinois et autant d'indiens ?? A coté de vos pompes Monsieur .

à écrit le 23/11/2018 à 19:09
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Pour etre credible il fallait EN PREMIER s'attaquer aux GROS polueurs BATEAUX ?CROISIERES avions, courses de voitures ex la SARTHE 24 h auto,,24 camions, course de tracteurs,granD prix motos ,24 h moto, course voitures anciennes ?DEFILES VOITURE...

à écrit le 23/11/2018 à 18:01
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Déjà arrêter les injonctions paradoxales : Ne prenez pas votre voitures mais Fermons de lignes TER , TGV et être capable de proposer des services rapide, confortables et éviter que les salariés arrivent rincés. Cela à un coût mais aussi des ...

à écrit le 23/11/2018 à 17:36
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"on trouve surtout une très grande majorité de braves gens qui n'ont pas l'habitude de manifester et qui sont sortis de leur vie tranquille pour dire leur souffrance." Oui, pour preuve j'en ai un qui m'a demandé tellement gentiment de faire un to...

le 23/11/2018 à 21:28
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Les saigneurs, ces élus corrompus et avides de la pseudo-démocratie n'hésitent pas à stigmatiser les pauvres, mais les pauvres vont enfin mettre les saigneurs a la lanterne.

le 24/11/2018 à 10:15
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"Les saigneurs, ces élus corrompus et avides de la pseudo-démocratie " Non les saigneurs sont ceux qui possèdent tous les outils de production dont nos politiciens par contre en effet. Supprimez un politicien corrompu et un autre prendra immédiat...

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