La France doit créer une industrie logicielle forte pour rétablir sa balance commerciale

L'Hexagone ne manque d’aucun talent dans la création de logiciels, mais de l’écosystème qui leur permet de ne pas se vendre à des entreprises extra-européennes. Pour le développer, des initiatives comme un Small Business Act et un Buy European Tech Act sont indispensables. (*) Par Quentin Adam, CEO de Clever Cloud.
Quentin Adam, CEO de Clever Cloud, le 6 avril 2023 au Grand Rex de Paris lors de l'événement Tech for Future, organisé par La Tribune.
Quentin Adam, CEO de Clever Cloud, le 6 avril 2023 au Grand Rex de Paris lors de l'événement Tech for Future, organisé par La Tribune. (Crédits : Georges Vignal)

Si l'on vous demande de citer des entreprises qui créent et exploitent leurs propres logiciels, vous aurez certainement en première pensée les noms de Microsoft, Google, Apple, Adobe, IBM ou encore Meta. Avec un peu de chance, vous aurez aussi songé à l'entreprise française Dassault Systèmes qui est une championne mondiale du logiciel de conception 3D, ou au géant allemand SAP. Mais vous aurez certainement bien du mal à citer beaucoup d'autres entreprises européennes, alors que les noms d'entreprises américaines créatrices et exportatrices de logiciels viennent facilement.

Dans les travées du salon VivaTech, vous croiserez beaucoup de très belles entreprises françaises venues présenter leurs solutions commerciales de services, mais beaucoup moins mettre en avant l'excellence de leur ingénierie pour vendre à d'autres startups leurs solutions technologiques logicielles. La France n'a pas une industrie du logiciel forte, et c'est un problème vital pour l'économie française et le financement de notre modèle social. Notre déficit commercial ne fera que s'aggraver si l'on ne réalise pas à quel point la valeur ajoutée s'est déplacée vers le logiciel et donc vers ses fournisseurs, et que l'on ne peut pas se contenter d'importer les technologies créées par d'autres.

Au contraire de l'Europe, les Etats-Unis d'Amérique ont compris depuis plusieurs décennies qu'un bouleversement économique accompagnait la révolution industrielle du numérique. Après les travaux de Turgot au 18e siècle, les économistes avaient coutume d'analyser le développement économique des entreprises et des nations  au travers de la loi des rendements décroissants du capital, qui veut que la productivité diminue avec l'ajout de facteurs de production supplémentaires. Ainsi les nouvelles terres cultivées sont généralement moins fertiles que les premières mises en culture, les machines dans les usines s'usent avec le temps, les ouvriers se fatiguent avec l'ajout d'heures supplémentaires de travail, etc. Or, le logiciel ne connaît ni l'usure des machines ni la fatigue des hommes, et sa production dépend peu de la fertilité de l'ordinateur qui le fait tourner. Les gains permis par les nouveaux logiciels ou leurs nouvelles fonctionnalités  viennent s'ajouter aux gains permis par les anciens. Ce n'est plus un rendement décroissant du capital, mais au contraire un rendement croissant du capital.

Statista Graph1

Pour constater le reflet de cette réalité, il suffit d'observer le classement des grandes valeurs boursières mondiales qui a radicalement changé ces quinze dernières années. Entre 2005 et 2022, le palmarès des plus grosses sociétés du monde s'est largement renouvelé. Excepté Saudi-aramco, seules les valeurs technologiques se maintiennent ou font leur entrée, tous les autres secteurs industriels sont balayés. La valorisation cumulée est huit fois supérieure à l'ancienne constitution. En tout juste 15 ans, tout est bouleversé.  Cette réalité irrigue l'ensemble du tissu économique, et l'on observe que sur cette période, le NASDAQ dopé au rendement croissant du capital bénéficie d'une courbe clairement exponentielle, là où notre CAC40 est presque égal à lui-même. Le constat est simple : nous sommes en train de décrocher.

CAC vs Nasdaq

[Evolution du CAC 40 (en bleu foncé) vs Nasdaq (en bleu clair) depuis 2008]

Une explication majeure est que le logiciel entre dans tous les champs de l'économie et de l'industrie et s'en fait une composante qui capte l'essentiel de la valeur. Assembler du métal pour en faire des voitures n'aura qu'une valeur marchande résiduelle par rapport à la vente des logiciels qui permettent les services dont Tesla et Uber se font déjà les champions. Dans le cloud,  louer des serveurs sans intelligence et des connexions réseau n'a que peu de valeur par rapport aux services logiciels utilisés par les développeurs qui permettent de les orchestrer. Partout, le logiciel devient central. Avec ChatGPT et les autres IA génératives, il promet de s'installer encore plus comme l'outil premier de productivité du 21e siècle.

Il est donc urgent de créer et de soutenir en France une culture de l'entrepreneuriat par les ingénieurs qui créent du logiciel, d'assurer qu'ils aient la confiance des investisseurs pour piloter eux-mêmes leurs entreprises (comme avant eux Steve Jobs, Mark Zuckerberg, Bill Gates, Larry Page,...), de faciliter leur accès aux financements, et d'aider à remplir leur carnet de commandes. La France ne manque d'aucun talent dans la création de logiciels, mais uniquement de l'écosystème qui leur permet de ne pas se vendre à des entreprises extra-européennes.

La genèse d'un tel écosystème commence par prendre conscience de l'immense valeur des logiciels et de l'importance de les inclure pleinement dans une stratégie de reconquête industrielle. Ensuite, il s'agit de passer commande aux PME qui créent du logiciel dans notre pays, pour leur offrir l'expérience et les moyens dont elles ont besoin pour leur développement, par exemple par la création d'un Small Business Act et d'un Buy European Tech Act. Enfin, il s'agit d'optimiser la stratégie d'accompagnement de l'investissement pour que les capitaux se portent plus prioritairement sur les entreprises qui développent elles-mêmes leurs propres technologies logicielles. Tout cela ne peut plus attendre !

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Commentaires 3
à écrit le 17/06/2023 à 3:07
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Et tous les pays qui ne peuvent plus vendre de logiciels à cause d'un "Buy European Tech Act" aussi protectionniste, que croyez-vous qu'ils feront ? Le commerce ne fonctionne pas comme ça, et le commerce a infiniment amélioré la capacité des Français...

à écrit le 14/06/2023 à 16:42
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Si tout le monde fait la même chose, on n'y voit pas l'intérêt ! On sature dans l'inutile ! ;-)

le 15/06/2023 à 18:13
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Non, on lutte à armes égales

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