«Monsieur le Premier ministre, il y a urgence pour la démocratie»

.
(Crédits : Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)

Monsieur le Premier ministre,

Depuis plusieurs semaines, nous, sociétés de journalistes et de rédacteurs de la presse nationale, régionale, de l'audiovisuel et du Web, n'avons eu de cesse d'alerter - tout comme les syndicats de la profession, des collectifs, des directeurs de rédaction, des éditeurs de presse - quant aux graves menaces que fait peser l'article 24 de la proposition de loi «pour une sécurité globale» sur la liberté d'informer.

Ce diagnostic rejoint celui de sociétés de réalisateurs, d'associations de défense des droits humains, d'autorités administratives indépendantes, et de trois rapporteurs spéciaux des Nations unies. La Commission européenne elle-même s'en inquiète.

Même amendée, cette disposition, qui vise à pénaliser la diffusion de l'image de membres des forces de l'ordre si elle a pour «but manifeste qu'il soit porté atteinte à [leur] intégrité physique ou psychique», est dangereuse. Elle laisse augurer, en amont des magistrats, des interpellations préventives - qui, sur le terrain, décidera qu'une diffusion en direct est susceptible de constituer une infraction, sinon les policiers eux-mêmes ? - ainsi que des procédures bâillon à l'encontre des médias ou des citoyens qui diffuseraient des images d'interventions houleuses. La ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a elle-même reconnu ce risque.

Cela alors que, dans le même temps, l'article 21 prévoit que les enregistrements des caméras piétons des forces de l'ordre puissent être diffusés aux fins d'«information du public» : d'un côté, donc, l'entrave à la liberté d'informer, de l'autre un récit à la discrétion des autorités. Quant à l'article 22, qui généralise l'autorisation des drones, il ouvre la porte à une surveillance massive et invisible, notamment des manifestations.

Filmer ou photographier les policiers et les gendarmes en intervention dans l'espace public est un droit démocratique. Ce sont bien les vidéos exposant les violences commises par des membres des forces de l'ordre - qu'elles aient été tournées par des journalistes titulaires ou non d'une carte de presse, des citoyens, des militants d'associations - qui ont permis d'inscrire ce sujet dans le débat public. Lundi soir, ce sont bien les images de la très brutale évacuation d'un campement éphémère de migrants, place de la République à Paris, diffusées sur les réseaux sociaux, qui ont fait réagir jusqu'au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.

Nos inquiétudes sont d'autant plus vives qu'en septembre, le nouveau «Schéma national du maintien de l'ordre» est venu aggraver la dégradation, déjà importante, de nos conditions de travail dans la couverture des manifestations. Sous couvert de «rappeler» que «le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception», ce texte est en réalité un feu vert donné par le ministère de l'Intérieur aux forces de l'ordre pour empêcher les journalistes de rendre compte pleinement des rassemblements jusque dans leurs dispersions. Les événements survenus lundi soir, qui ont vu des reporters eux aussi molestés, en sont l'amère illustration.

Monsieur le Premier ministre, la liberté de la presse et la liberté d'informer sont mises à mal en France. Vous aviez accepté d'entendre à ce sujet, ce jeudi, des représentants de la profession. La décision du préfet de police de Paris d'interdire le parcours de la «Marche des libertés» prévue samedi dans la capitale, attentant à une autre liberté fondamentale, celle de manifester, nous a conduits, à l'instar des syndicats de journalistes, à décliner cette invitation. Nous vous le disons ici solennellement : il y a urgence à sortir de cette spirale délétère pour la démocratie.

Nous demandons le retrait de l'article 24, ainsi que des articles 21 et 22, du projet de loi «pour une sécurité globale», et la réécriture du Schéma national du maintien de l'ordre dans un dialogue véritable avec les journalistes.

Signataires : les sociétés des journalistes, des rédacteurs et/ou des personnels de l'AFP, Arrêt sur images, Arte, BFM TV, Challenges, Courrier internationalles Echos, Europe 1, l'Expressle Figaro, France Culture, Franceinfo, Franceinfo.fr, FranceinfoTV, France Inter, France 2, France 3 National, l'Humanitéle JDD, Konbini, LCP, LibérationMarianne, le Média, MediapartMidi librele Monde, M6, NRJ Group, l'ObsParis Matchle Parisien-Aujourd'hui en France, Premières Lignes, Public Sénat, RFI, RTL, Sud Ouestla Tribune, TV5Monde, la Vie20 Minutes.
Avec le soutien des rédactions de Basta !Politis et Slate.fr.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 27/11/2020 à 12:34
Signaler
deux ans et toujours pas de publication des cahier de doléances la encore ont perçoit que la macronie n'est que des illusions pire il ne sont meme pas consultables par les francais encore des promesses envolé a si il avait etait mis en place vou...

à écrit le 27/11/2020 à 9:53
Signaler
Les "journalistes" sont en premières lignes et ne voient rien venir! Comment voulez vous que les "informés" soient surpris? Vous commencez a sentir la suite de l'histoire?

à écrit le 27/11/2020 à 6:42
Signaler
Votre protestation est louable, mais c'est trop tard. Il est quand même inquiétant que des journalistes n'aient pas vu, ou pas voulu voir, le petit jeu de Macron depuis 2017, alors qu'une grande partie des français, à commencer par les gilets jaunes...

à écrit le 26/11/2020 à 23:56
Signaler
On ne peut que s'associer à la démarche, mais comme j'aimerais qu'on s'abstienne d'utiliser la circonlocution de "forces de l'ordre"; elle laisse trop entendre qu'il y a désordre... C'est peut-être vrai qu'il y a désordre, après tout, ! A qui la faut...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.