Pourquoi l'investissement de défense peut lutter contre l'abstention ?

OPINION. Seul un électeur sur trois est allé voter aux élections régionales et départementales. Après avoir versé quelques larmes de crocodile, les commentateurs en sont revenus à leur sport favori, les paris sportifs sur le prochain vrai match qui se tiendra en 2022. La « présidentialisation » de ces élections locales a sans doute joué son rôle dans la démobilisation de l'électorat, mais il faut peut-être en chercher des causes plus profondes. Le groupe MARS souhaite apporter sa contribution au débat par une réflexion d'ordre politique qui débouche sur une proposition relative aux questions de défense.
Un euro investi par la dépense publique est rapidement remboursé par le retour fiscal et social, et il continue à produire des effets productifs avec le temps. Il n'y a donc rien de plus rentable que l'investissement de défense (Le groupe de réflexions Mars)
"Un euro investi par la dépense publique est rapidement remboursé par le retour fiscal et social, et il continue à produire des effets productifs avec le temps. Il n'y a donc rien de plus rentable que l'investissement de défense" (Le groupe de réflexions Mars) (Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

Seul un électeur sur trois est allé voter aux élections régionales et départementales. Parmi les causes de « fatigue démocratique » dont les commentateurs parlent peu (et pour cause) figurent deux sentiments convergents. Le premier peut s'analyser comme une manifestation de fatalisme : « à quoi bon aller voter, de toute façon ma vie ne changera pas, les politiciens font tous la même politique et servent les mêmes intérêts qui ne sont pas les nôtres ». Difficile de nier l'existence de ce sentiment diffus depuis la crise des « gilets jaunes ». La crise de la représentation touche tous les partis qui jouent le jeu démocratique, y compris ceux qui se situent aux extrêmes. Cela est dangereux pour la stabilité des institutions et l'avenir à court terme de la démocratie.

Le second sentiment concerne l'offre politique : « à quoi bon aller voter, de toute façon mes opinions ne sont représentées par aucun candidat ». Le problème ne tient donc pas au mode de scrutin, majoritaire ou proportionnel, mais au débat d'idées. Une fraction grandissante de l'électorat ne se reconnaît dans aucune proposition politique, en dépit de l'apparente diversité des listes offertes à leurs suffrages, y compris à la proportionnelle.

Comment réduire la fracture démocratique

L'offre politique tarde à s'adapter à la demande de l'électeur parce que le débat est verrouillé. L'émergence d'idées neuves est le plus souvent bridée par le recours à l'anathème, sous le prétexte de complotisme ou de sympathie à l'égard des « gilets jaunes ». Cela a pour effet de détourner cet électorat de la rationalité démocratique et de le livrer à l'irrationnel des réseaux sociaux.

A cet égard, le "macronisme", dont les résultats électoraux montrent la réalité de ce qu'il représente dans l'opinion, a non seulement échoué à protéger la République contre l'extrémisme de droite ou de gauche, mais il a surtout détourné de la démocratie une fraction grandissante de l'électorat en méprisant le Parlement, les élus locaux et toutes les institutions intermédiaires qui facilitaient l'attachement du citoyen à la vie de la cité.

Comment réduire cette fracture démocratique ? La seule solution est d'écouter les Français qui se détournent ainsi des urnes et de leur offrir une proposition politique nouvelle susceptible de répondre à leurs craintes et à leurs attentes. Pour cela, il ne faut pas contenter d'être sincère et de prétendre « parler vrai », il faut analyser avec lucidité les causes de la désaffection des électeurs.

Tournant historique en 1974

Pour commencer, il convient de ne pas mépriser le sentiment de fatalisme en l'assimilant au complotisme, mais y répondre par une véritable solution politique alternative à la « pensée unique ». Oui, la France est victime depuis près de 50 ans d'une idéologie libérale qui a pour effet d'affaiblir petit à petit sa puissance et ses valeurs. Non, ce n'est pas le résultat d'un complot mondial contre notre pays, mais la conséquence d'orientations politiques validées par l'électorat... jusqu'à ces dernières années où il exprime, par son abstention, son refus de valider la continuité de cette politique.

Nous sommes un certain nombre à considérer que le tournant historique date de la trahison par Jacques Chirac en 1974 de Jacques Chaban-Delmas, dont le projet politique (il faut relire sa déclaration de politique générale du 16 septembre 1969) n'a pas pris une ride parce qu'il n'a pas été mis en œuvre. A partir de ce moment-clé, la vie politique de la Ve République est marquée par la trahison. Le « tournant de la rigueur » de 1983 parachève cette orientation politique, en détruisant les derniers espoirs de « changer la vie ».

L'Europe, le plus vaste marché intérieur du monde

Simultanément, le projet européen lui-même change de direction en se limitant à l'ambition de devenir le plus vaste marché intérieur de la planète, au détriment des politiques communes d'une Europe qui protège vraiment en garantissant la sécurité alimentaire et le développement harmonieux de tous ses États membres dans un voisinage apaisé par des accords commerciaux préférentiels.

Au lieu de cela, le marché unique a organisé la guerre économique intérieure en consacrant les déséquilibres régionaux. Cette situation a ensuite été figée dans la monnaie unique, dont les effets déstabilisateurs du fait du choix d'un euro fort n'ont pas été compensés par une politique budgétaire commune. Tout cela est simplement logique et conforme au libéralisme, qui est la doctrine du renard libre dans le poulailler libre. Il n'est pas nécessaire de crier au complot.

L'illusion d'une Europe puissance

L'Europe puissance n'existera donc jamais. C'est une illusion française dans laquelle nos partenaires européens nous entretiennent autant que de besoin. Mais fondamentalement, en Europe, personne d'autre que la France n'en veut, soit parce qu'on est prêt à financer le protectorat américain à n'importe quel prix, soit parce que l'on a intérêt à garder un euro fort et une UE faible qui favorisent les excédents commerciaux.

Les débats au sein du Conseil européen fin 2020 ont été instructifs à cet égard. Les « frugaux » l'ont emporté, au détriment d'une occasion historique de faire avancer la cohésion européenne. Les Allemands parce que leur prospérité dépend des excédents commerciaux qu'ils réalisent avec les Etats-Unis, la Chine et leurs principaux partenaires européens. Les Néerlandais parce que leur prospérité dépend des excédents commerciaux qu'ils réalisent avec leurs principaux partenaires européens en réexportant les marchandises chinoises importées à bas coût (grâce à l'euro fort) via Rotterdam. A ce jour, 15 mois après le déclenchement de la crise, le plan de relance « Next GenerationEU » n'a pas encore déboursé le moindre euro.

Subir ou orienter un projet européen contraire à nos intérêts

Dès lors que l'on a compris cela, l'alternative paraît simple : « remain or leave ». Tel était le choix offert aux électeurs britanniques il y a exactement cinq ans. En réalité, en France, où le projet européen n'a jamais été contesté comme il l'était en permanence au Royaume-Uni, l'alternative se pose en des termes différents : continuer à subir un projet européen contraire à nos intérêts ou bien le forcer à se réorienter vers un projet plus équilibré, moins libéral, en réalité plus conforme au projet fondateur.

Telle est l'offre politique nouvelle contraire au fatalisme « TINA » (« thereis no alternative ») qu'il convient de proposer en France au citoyen, afin qu'il revienne aux urnes, attiré par la nouveauté d'un projet susceptible de répondre à ses aspirations profondes, le plus souvent non formulées.

La politique de défense protégée des exigences du marché unique

En quoi la défense est-elle concernée ? La crise de 2020 a révélé les fragilités d'un système économique fondé sur une excessive dépendance aux importations. Or, si l'industrie de défense française demeure encore aujourd'hui un fleuron, c'est qu'elle est en partie préservée des exigences du « marché unique » (art. 346 TFUE) et de la prohibition des « aides d'État », exigences contraires à la mise en œuvre d'une vraie politique industrielle. Il s'agit de ce fait du secteur le moins ouvert (même s'il l'est sans doute trop actuellement) aux importations, donc aux « fuites » de ressources hors du circuit économique, ce qui y rend efficient le multiplicateur d'investissement.

Ainsi, un euro investi par la dépense publique est rapidement remboursé par le retour fiscal et social, et il continue à produire des effets productifs avec le temps. Il n'y a donc rien de plus rentable que l'investissement de défense, qui favorise en outre l'export, l'innovation, le financement de notre modèle social et le développement équilibré du territoire. Ce modèle aurait vocation à s'étendre à tous les secteurs stratégiques : énergies, transports, réseaux, alimentation et, bien-sûr, la santé.

Seulement, un tel projet suppose de changer les règles du marché unique et donc d'affronter l'hostilité de tous ceux qui y ont intérêt. Voilà cependant une véritable solution alternative à proposer à l'électeur français, afin de préserver la démocratie et sauvegarder la République en assurant la prospérité à long terme de notre pays. Et en redonnant de surcroît un peu de fierté et d'espoir au peuple français pour éviter qu'il ne sombre dans des illusions funestes.

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* Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

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Commentaires 5
à écrit le 01/07/2021 à 19:22
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Pour réduire l'abstention il faudrait commencer par ne pas en créer en inscrivant à leur insu les jeunes de 18 ans puis en radiant les inscrits inactifs. Malheureusement la volonté politique n'y est pas au risque de motiver le vote blanc et for...

à écrit le 01/07/2021 à 18:51
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"Le problème ne tient donc pas au mode de scrutin, majoritaire ou proportionnel" Et bien si justement !!! Le système français à 2 tours, c'est la confiscation du scrutin par des magouilles "entre 2 tours". Combien de fois a t-on vu une liste en tête ...

à écrit le 01/07/2021 à 12:05
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Mon dieu, mais que vous arrive t il? Vous vous laissez pousser les oreilles ou quoi? Bon, pas trop d'accord avec votre définition et mise en accusation du libéralisme, il y a en europe que des pays "libéraux" et aucun autre n'a notre situation de re...

à écrit le 01/07/2021 à 10:58
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Parce qui dit défense impose souveraineté nationale tandis que l'UE entité supranationale dont la constitution en plus a été imposée contre le votre des citoyens français est totalement dénuée de souveraineté et donc de crédibilité populaire et citoy...

à écrit le 01/07/2021 à 10:46
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Dans le cadre de l'UE de Bruxelles, tout ce petit monde fait taire ses convictions, si elles existent, pour mieux être miscible dans les directives!

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