Pourquoi la bourse de Moscou a perdu 15% en seulement un mois

OPINION. Les regards se tournent rarement vers la place moscovite. Mais le retournement qui se produit depuis quelques jours, à contrario des tendances des principales places boursières du monde, vaut que l'on s'y attarde. Quels sont les facteurs spécifiques qui créent un tel repli ? Par Gérard Vespierre (*) Président de Strategic Conseils.
Gérard Vespierre.
Gérard Vespierre. (Crédits : Valérie Semensatis)

La bourse de Moscou a connu lors de la séance de lundi 22 novembre un repli spectaculaire de 5,55%,l'indice RTS terminant à 1.628, par rapport au niveau de clôture de vendredi dernier à 1.717 points. Depuis 4 semaines, le repli atteint 15%. Certes, l'envolée, inattendue, du cours du baril à plus de 85 dollars avait euphorisé la bourse moscovite, puisqu'elle atteignait son plus haut historique, à 1.919 le 25 octobre. La sensibilité de l'économie russe aux matières premières énergétiques est connue, à la hausse, comme à la baisse.

Le retournement du prix du baril

La gestion par l'OPEP + de l'offre en pétrole, maintenant les robinets peu ouverts, associée aux perspectives de reprise économique post-Covid avait maintenu le marché sous pression et alimenté la hausse des prix du baril. Il atteignait 86 dollars le 26 octobre. La fébrilité des acteurs, l'envolée pas forcément justifiée du prix, et l'annonce d'une possible baisse coordonnée des stocks stratégiques des 3 grands pays consommateurs (Etats-Unis, Chine, Japon) ont retourné la tendance.

Le baril est en effet revenu de son plus haut de 86 dollars à 78 dollars lors de la séance du 22 novembre, soit une baisse proche de 10% !

Nous avons ici une des causes de la baisse de la bourse moscovite. Mais naturellement le seul cours du pétrole n'est pas suffisant pour expliquer ce repli, même s'il y contribue de façon significative. La Russie d'un point de vue économique traverse une passe difficile, liée en partie à la situation sanitaire dans le pays.

Le drame russe du Covid-19

L'identification du problème de détresse respiratoire inexpliquée a eu lieu en Russie dès l'été 2019... ! L'ensemble des rouages du vaste appareil scientifique russe s'est donc mis très tôt à travailler sur des résultats d'examens pratiqués sur des centaines de patients, avant fin 2019. La Russie s'est donc retrouvée en tête des recherches sur la mise au point d'un vaccin, ce qui fut réalisé avec le Sputnik V.

Mais cette avancée ne s'est pas traduite par un développement rapide de la vaccination, puisqu'à ce jour moins de 40% de la population a reçu deux doses. L'état d'esprit de méfiance, voire de défiance, des citoyens vis-à-vis des recommandations de vaccination du gouvernement, a pour racine la profonde méfiance des Russes à l'égard du « système en place ».

Ce faible taux de vaccination et la faible intensité des mesures appliquées ont abouti à une quatrième vague infligeant au pays un nombre record de cas et de décès. Depuis 5 semaines, la Russie connaît plus de 30.000 nouveaux cas chaque jour. Sur cette même période plus de 1.000 morts journaliers !

Les villes de Moscou et de Saint-Pétersboug, principaux foyers économiques, sont également les principaux foyers de l'épidémie. Les mesures récentes de jours chômés payés n'ont pas pu être sans effet sur la consommation et l'investissement des presque 25 millions d'habitants de ces 2 agglomérations. De plus, l'économie Russe est mise en difficulté par une résurgence de l'inflation.

L'inflation intérieure après l'inflation importée

La conjugaison de la crise ukrainienne, dès 2013, et les soubresauts du marché pétrolier depuis 2014 ont directement impacté la valeur du rouble. Sa valeur a été divisée par 2 ces 7 dernières années.

Cette dépréciation a naturellement créé une « inflation importée » significative étant donnée la forte part des importations des biens de consommation dans la vie économique russe.

A l'opposé, la remontée rapide et forte du prix du baril cette année a conduit la monnaie russe à se réapprécier vis-à-vis de l'euro. Le rouble est ainsi passé en 2021 du taux de 92 roubles pour 1 euro à 82, soit un redressement de 11%. On aurait donc dû assister à une baisse de l'inflation, or c'est le contraire que l'on observe depuis le début de l'année.

Le taux d'inflation est en effet passé de 5% début 2021 à plus de 8% en octobre. Comment l'expliquer ?

La désorganisation de l'économie par la pandémie a conduit les producteurs, surtout dans le domaine agroalimentaire, à augmenter leur prix de façon significative, mais aussi avec l'idée de rattraper, par la hausse de prix, une partie du manque à gagner antérieur. Ce phénomène se constate d'ailleurs dans plusieurs autre pays. Mais, en Russie, l'inflation se situait déjà à un niveau élevé.

Cette progression régulière de l'inflation tout au long de l'année 2021 a conduit la Banque centrale à réagir.

La Banque centrale russe en tête dans la hausse des taux.

Depuis 2014, la Banque centrale a été très réactive dans sa politique monétaire. L'an dernier a vu la poursuite d'une baisse du taux directeur de 6,25% à 4,25%. L'objectif était clairement de continuer à favoriser l'investissement dont l'économie a grand besoin.

Mais la naissance d'une « inflation intérieure » persistante tout au long de l'année a poussé l'institution bancaire centrale a inversé cette politique. Le taux directeur a ainsi été remonté du seuil de 4,25% en début d'année à... 7,50%, le 22 octobre.

D'incitation à l'investissement, les taux sont devenus des freins! Un total retournement, là aussi.

L'économie russe cumule donc en cette fin d'année 2021 une « quadruple peine », une baisse du prix du pétrole, si important pour son économie et le budget de l'Etat, une augmentation de son taux d'inflation, une augmentation parallèle du taux directeur de la banque centrale, dans un pays plus durement touché que jamais par la pandémie Covid-19.

Ce cumul, non anticipé, et non anticipable, fait comprendre la grise mine de la bourse de Moscou, car tous les agents économiques sont en position négative.

L'Etat voit se profiler de moindres ressources budgétaires. Les entreprises anticipent un plus faible niveau d'activité, des charges en augmentation, et des investissements plus difficiles. Les consommateurs sont soucieux de leur quotidien et donne priorité à leur... survie.

Les manœuvres militaires à la frontière ukrainienne peuvent faire regarder ailleurs, mais l'essentiel est justement ailleurs, nullement dans les mouvements de chars.

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(*) Gérard Vespierre, diplômé de l'ISC Paris, Maîtrise de gestion, DEA de Finances, Paris Dauphine, fondateur du web magazine : www.le-monde-decrypte.com

Chroniqueur géopolitique sur idFM 98.0

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Commentaires 2
à écrit le 24/11/2021 à 7:58
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Les banques tiennent moins Poutine et Ki Jinping que les autres dirigeants mondiaux et ça les banques elles n'aiment pas ça de ne pas avoir des dirigeants de pays entièrement sous contrôle, la souveraineté des pays les effraie.

à écrit le 23/11/2021 à 19:20
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Depuis deux ans qu'on en parle, de cette crise financière à venir, elle va bien finir par arriver pour de bon. Si la Russie ouvre le bal, c'est sans doute parce qu'elle est plus réaliste dans sa gestion que les USA et l'Europe. Mais la correction va ...

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