Thierry Breton, PDG du groupe ATOS : "l'instabilité fiscale est un drame pour l'économie"

L'ancien ministre de l'Économie et des Finances juge sévèrement le volet fiscal du projet de budget 2013. Selon lui, la société française aura besoin de plus de temps pour accepter les réformes nécessaires au retour à l'équilibre budgétaire. Le patron d'Atos livre aussi sa vision de l'avenir du numérique : nous sommes à l'aube d'une révolution dans l'usage des réseaux sociaux, prédit-il.
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Les chefs d'entreprise sont très inquiets. Faites-vous partie de ceux qui pensent que 2013 sera pire que 2012 ?
Depuis trois ans, j'anticipe que 2013 sera l'une des années les plus difficiles de la crise. Peut-être pas pire que la récession de 2009, mais sans aucun doute très difficile. Pour étayer cette crainte, je me fondais sur un fait prévisible : la France sera en 2013 le premier émetteur de dette de la zone euro, sans doute devant l'Italie. Il suffisait pour s'en convaincre de regarder la maturité du stock de la dette, en hausse de 50% sur les cinq dernières années. Nous allons entrer, en 2013 et dans les années qui suivent, dans la phase de refinancement de cette bulle d'endettement, une période très délicate qui va exposer la France à ses créanciers comme jamais au cours de son histoire récente. Je dis « nos créanciers » parce que je n'aime pas ce terme trop facile de « marchés financiers ». Cette dépendance à l'égard des investisseurs bride toute marge de man?uvre économique, et ce au moment où l'économie mondiale ralentit nettement et où, pour ce qui la concerne, l'Europe est menacée d'une nouvelle récession.

François Hollande a donc raison de vouloir ramener le déficit public à 3% du PIB dès l'an prochain, en dépit du risque récessif que cela implique ?
Avions-nous le choix ? C'est la crédibilité de l'engagement pris par la France qui est en jeu. Et c'est sur cette base que nos créanciers ont calé le taux d'intérêt, pour l'instant très favorable, qu'ils acceptent de recevoir pour détenir notre dette. Il était impossible d'y renoncer sans remettre en cause leur jugement. François Hollande a donc eu raison de se battre pour faire adopter le Traité budgétaire européen et la règle d'or. On peut bien sûr s'interroger, compte tenu du ralentissement de la croissance, sur notre capacité à tenir nos engagements budgétaires. Mais, même s'il s'appuie sur une prévision de croissance de 0,8% dont doutent les économistes, il faut maintenir cet objectif des 3% en 2013.

L'essentiel est d'avoir pris l'engagement, pas de le tenir ?
Ce que les « marchés », et donc nos créanciers, vont regarder avant tout, c'est la fermeté de la volonté politique. Ce qu'il faut consolider, c'est le consensus politique en faveur de la réduction des déficits dans notre pays, qui vit à crédit depuis 35 ans. En revanche, on peut reprocher au gouvernement d'avoir fondé l'ajustement budgétaire à 100% sur la hausse des impôts. Je dis bien 100% car, en 2013, les dépenses de l'Etat, loin de baisser, vont au contraire augmenter de 1,1 milliard d'euros pour atteindre 370,9 Mds?. Présenter un budget aussi déséquilibré, c'est courir le risque d'une récession d'autant plus vraisemblable que tous les signaux adressés aux entreprises ne sont que négatifs.
L'autre objectif important est la date de retour à l'équilibre. Elle ne figure dans aucun Traité mais elle a pourtant fait l'objet d'une surenchère pendant la campagne présidentielle puisque Nicolas Sarkozy a voulu en raccourcir l'horizon à 2016 tandis que François Hollande s'est, de son côté, engagé sur 2017. Soyons réalistes. Il est impensable, dans l'état actuel de la société française, et compte tenu de l'hypertrophie de notre sphère publique, de réaliser un tel atterrissage en trois ans. Cela l'est plus encore dans un climat durable de faible croissance. Il serait donc opportun de fixer cet objectif d'équilibre structurel à une échéance plus « réaliste », je songe à 2019 ou 2020. De fait, il faut donner au gouvernement le temps de mener les réformes nécessaires pour faire reposer désormais l'effort de baisse du déficit non plus sur la seule hausse des prélèvements mais également sur les dépenses publiques.

L'un des principaux reproches fait à la fiscalité française, c'est que les règles du jeu changent tout le temps. Qu'en pensez-vous ?
L'instabilité fiscale est un drame pour l'économie, mais il faut reconnaître qu'elle n'a pas commencé avec ce gouvernement. Au cours des cinq dernières années, la France a été soumise à une cadence effrénée de réformes fiscales : une tous les dix jours. C'est contre-productif dans un monde ouvert où la compétition pour attirer les investisseurs fait rage. Au cours des cinq dernières années, la France est ainsi passée du deuxième au onzième rang dans le classement des pays qui attirent le plus d'investissements directs étrangers : il y a peut-être un lien de cause à effet. L'instabilité fiscale est l'ennemi de l'investissement, de la confiance et donc de la croissance.
Ce que je déplore, dans le budget 2013, c'est l'impact de l'ensemble des mesures prises sur les entreprises et sur l'investissement. L'alignement de la fiscalité du capital et du travail va avoir des effets redoutables pour la mobilisation de l'épargne en direction des entreprises, alors que nous souffrons déjà d'un manque d'actionnaires stables et de capitaux à long terme. Je regrette aussi la stigmatisation, venant de tous bords, des chefs d'entreprises pendant la campagne électorale. Depuis qu'il est élu, François Hollande a envoyé des signaux d'apaisement mais cela a laissé des traces.

Sur la compétitivité, que conseilleriez-vous de faire ?
Le plus important, c'est d'avoir un cap et de s'y tenir. Les entreprises ont besoin de visibilité. Il est donc impératif de mettre fin à la dérive haussière des impôts. Sur deux ans, l'économie française a subi un choc fiscal sans précédent. Aux 28,7 milliards d'euros de prélèvements votés en 2011-2012 s'ajoutent les 27 milliards de 2012-2013 : comment ne pas craindre un effet récessif et une démotivation des entrepreneurs ? Le problème central, plus que jamais, est celui de la compétitivité et de la réduction du poids de la dépense publique. A un choc de compétitivité, je préfère une trajectoire : mieux vaut étaler cette réforme sur plusieurs années, comme l'avait fait Gerhardt Schroeder en son temps. Nous devons aussi avancer plus vite sur la réforme du marché du travail afin de permettre des négociations plus souples, branches par branches.

Le gouvernement prépare un grand plan du numérique. Une bonne nouvelle pour Atos ?
Le numérique est un des rares secteurs en forte croissance. Atos prévoit d'embaucher 10.000 personnes en 2013, dont environ 1000 en France. Le cloud computing et l'infogérance se portent bien, mais s'industrialisent. Il faut donc de très grands acteurs au bilan solide. L'intégration de systèmes et le consulting sont plus sensibles aux aléas conjoncturels. Depuis le rachat des activités informatiques de Siemens, Atos a deux sièges : Paris et Munich. Je constate que de plus en plus de jeunes ingénieurs français préfèrent désormais traverser le Rhin pour travailler dans l'industrie informatique en Bavière, plutôt que la Manche pour travailler dans la finance à la City. C'est un signe positif pour l'Allemagne compte tenu de la qualité de la formation mathématique en France. Je regrette qu'il n'y ait plus, dans notre pays, assez d'entreprises industrielles pour valoriser ce véritable atout.

Où en est le projet d'entreprise Zéro-Email que vous avez lancé ?
Il est en passe de devenir une réalité. Nous avons déposé la marque « Zéro-mail » en 2011 pour en faire un nouvel axe de développement d'Atos. Nous avons mobilisé des centaines d'ingénieurs pour mener à bien ce projet. La première année, nous avons identifié la technologie. La deuxième, nous avons acquis Blue Kiwi, le leader européen des réseaux sociaux d'entreprise. Nous sommes désormais en train de développer les applicatifs les plus performants du marché et d'organiser le basculement pour être, en 2013, la première entreprise au monde « zéro mail » interne. Nous avons d'ailleurs entrepris d'écrire un livre pour raconter cette aventure moderne qui consiste à libérer l'entreprise de la pollution informationnelle.

Comment voyez-vous l'avenir des technologies de l'information ?
Les réseaux sociaux vont bouleverser l'organisation de notre vie, dans l'entreprise, dans la société, et même le cadre de notre vie démocratique. On a pu en voir des prémisses avec le printemps arabe. Mais aussi, dans un tout autre ordre d'idées, avec des succès foudroyants d'actions de lobbying pour telle ou telle cause. Le gouvernement en sait quelque chose. Dans le monde d'aujourd'hui et encore plus celui de demain, chacun aura la possibilité d'être au centre de son propre réseau d'influence, de ses communautés de circonstance, en un mot d'être un acteur de son propre univers informationnel. Cela va bouleverser le savoir, mais aussi les organisations sociales, économiques, culturelles et politiques.

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Il est comme ça

- Iphone ou Blackberry ? Ni l'un ni l'autre...
- Lève-tôt ou couche-tard ? Lève très tôt.
- Travail le week-end ou détente ? Travail.
- La qualité que vous préférez chez un collaborateur ? Qu'il tienne ses engagements.
- Le défaut que vous ne pardonnez pas chez un collaborateur ? Faire deux fois la même erreur.
- Votre plus grand regret professionnel ? D'avoir dû quitter France Télécom pour entrer au gouvernement.
- Votre plus grande satisfaction professionnelle ? Etre entré au gouvernement et avoir, comme ministre de l'Economie et des Finances, fait baisser significativement l'endettement de notre pays pour la première fois depuis 30 ans.
 

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Commentaires 21
à écrit le 24/11/2012 à 15:16
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Ce cher breton tient des propos pleins de bon sens. Dans l'application cela devient discutable. Il ne sait faire qu'une chose: réduire les coûts. La dette public à été réduite d'une paille à court terme pour une perte d'argent à plus long terme (cf. ...

à écrit le 09/11/2012 à 14:54
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Le principal problème de Breton c'est la réduction des budgets informatiques.Il devrait miser sur l'infogérence, mais le fera-t-il en France ? Un bon article sur ce sujet : http://www.silicon.fr/budgets-informatiques-2012-80819.html

à écrit le 25/10/2012 à 11:53
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Notre crise française, provient en grande partie du sous-investissement constaté depuis 10 ans , les entreprises rachètent leurs actions plutôt que d'investir. pourquoi ? parce que nos ânes politiciens n'ont pas compris que pour investir il est néce...

à écrit le 24/10/2012 à 21:11
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Il est comme ça: combien de suicides chez Orange France Telecom sous la docte gestion de M. Breton? Et combien à venir chez Atos, cf la découverte récente du "volant" de collaborateurs à virer chaque année quelles que soient les performances? Bien co...

à écrit le 24/10/2012 à 17:50
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C'est vrai ! Droite et gauche réunies, changer la fiscalité chaque année c'est cela qui est le plus pénible quand on est chef d'entreprise ! Compliqué de prévoir investissements, embauches...quand les dispositifs évoluent chaque année. Thierry Breton...

à écrit le 24/10/2012 à 0:24
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Ils s'en foutent. Ce qui comptent, c'est de se gaver jusqu'à la reprise du contrôle ...

à écrit le 23/10/2012 à 21:42
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Les propos de Breton, aussi alarmant qu'ils soient, me semble être logique. Il y a des propositions, certaines sont intéressantes, d'autres discutables dans les sens positif du terme. Quel contraste, avec les membres du présent et ancien gouvernement...

à écrit le 23/10/2012 à 18:30
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Des chefs d'entreprise au gouvernement ... voila ce qui manque a la bande d'amateurs actuelle...

le 23/10/2012 à 18:57
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@pragmatisme: sauf qu'être chef d'entreprise demande des compétences incompatibles avec celles de la fonction politique. L'entreprise est payée pour services ou produits réels rendus et est donc au service du client. Et si on est pas content de cette...

à écrit le 23/10/2012 à 18:06
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Pourquoi la Suisse se porte si bien ? Traverser le pays sur ses autoroutes dignes d'un film d'anticipation en dit long sur le retard de la France. Surtout quand on passe la frontière !

le 23/10/2012 à 19:00
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@gilles1: on passe la frontière française dans les deux sens, mais la valise des entrants est en carton avec des vieilles fringues, et celle des sortants pleine de billets de banque :-)

le 24/10/2012 à 14:06
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Je connais l'insécurité fiscale, j'en ai payé le prix en 97 quand il fallait faire des efforts pour entrer dans l'Euro ... Mais si j'ai été forcé de partir en Suisse, c'est pas pour les finances, mais pour la sécurité de mes enfants. Quand on est bl...

le 24/10/2012 à 14:41
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Mais pas pour longtemps, à mon avis. Il faudra bien les faire rentrer dans le rang d'une manière ou d'une autre!

à écrit le 23/10/2012 à 17:42
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Il a fait quoi lui quand il était ministre des finances ?

le 24/10/2012 à 13:35
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Juste réduit la dette et augmenté l'emploi. Une paille.

le 24/10/2012 à 22:37
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De respectivement 0;2 et O,4 %...effectivement une paille... Comment peut on glorifier de tels résultats???

à écrit le 23/10/2012 à 16:48
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Thierry Breton a globalement raison, mais c'est dingue de constater que nombre de personnes ont un jugement sain, et qu'il ne se passe RIEN!

à écrit le 23/10/2012 à 16:37
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"Au cours des cinq dernières années, la France est ainsi passée du deuxième au onzième rang dans le classement des pays qui attirent le plus d'investissements directs étrangers " un article chiffré sera la bienvenue

à écrit le 23/10/2012 à 15:50
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Il oublie de dire que cette instabilité fiscale est doublée d'un massacre fiscal à partir de cette année... Bien vu sur les dépenses de l'état, et de nos gentils fonctionnaires qui eux ne font aucun effort et dépensent toujours plus. Irresponsable e...

le 23/10/2012 à 18:02
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Il faisait des efforts à 15h50 pat 34?

à écrit le 23/10/2012 à 15:31
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"mettre fin à la dérive haussière des impôts" C'est surtout ça qui le "gène", plus que l'instabilité... Et il n'embauche que 10% en France en se plaignant du manque d'attractivité. "Normal".. Par contre, facebook est déjà en train d'étudier une versi...

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