"Abenomics", la grande illusion ?

La politique monétaire japonaise, à grand renfort de liquidités, a réussi à apaiser les marchés, faisant presque oublier sa dette à quinze zéros. Mais pour l'économiste Michel Santi, les tours de magie de Shinzo Abe et de Haruhiko Kuroda ne peuvent pas durer...
Michel Santi (c) DR

Oublions la Grèce, l'Irlande ou l'Islande. La dette publique japonaise est aussi importante que celles de la France, de la Grande Bretagne et de l'Allemagne réunies ! Même si, pour le moment, les marchés et les investisseurs ont délibérément fait le choix d'ignorer les faits, qui sont potentiellement catastrophiques. Et qui se déclinent en une dette publique invraisemblable - voire inhumaine -, en une population vieillissante et une inclination de ce pays et de ses dirigeants à la paralysie politique.

Dernière chance

L'économie globale - et le monde entier - subiraient une secousse sans précédent si d'aventure les marchés décidaient d'analyser froidement les données nippones. A moins que cette ignorance des fondamentaux japonais ne soit volontaire afin d'éviter - ou de retarder - ce qui pourrait s'avérer être la mère de toutes les crises de la dette…
 
Voilà pourquoi les investisseurs, les marchés financiers, le Japon, l'Asie et le reste du monde ont intérêt à ce que l'expérience japonaise réussisse, et à ce que l'illusionniste Haruhiko Kuroda, Président de la Banque du Japon, parvienne à ses fins. Car, et de l'aveu même du vice-Ministre de l'Economie nipponse, Yasutoshi Nishimura, ceci est « la dernière chance pour l'économie japonaise ». Et pour le Japon tout court, devrai-je ajouter ! Le sempiternel argument contre le krach est certes que nulle fuite massive des capitaux ne saurait mettre le pays en danger puisque 90% de sa dette publique est détenue par ses nationaux. Pour autant, il faut reconnaître à Kuroda une maestria éblouissante. Lui qui, après un bref épisode de volatilité avant l'été 2013, a pu maintenir sous un contrôle quasi parfait les rendements de sa dette obligataire qui se tiennent docilement autour de 0.74%. Quand au même moment les États-Unis - détenteurs de la première monnaie de réserve au monde, d'une notation supérieure de la part des agences et d'une démographie dynamique - doivent payer presque 3% pour se financer !
 
Ensorceleur
 
Kuroda est-il doté de pouvoirs surnaturels ? Toujours est-il que, six mois après son accession à la tête de la banque centrale nippone, les faits sont incontestables : plus il imprime de yens et plus il semble apaiser les marchés et nourrir la bête. Ou gonfler la bulle, diraient d'autres, car il est vrai que la dette nationale japonaise atteint désormais 15 chiffres, pour s'établir à 1,000,000,000,000,000 de yens ! Quel est le secret de Kuroda ? Comment ensorcèle-t-il des marchés pourtant généralement impitoyables et alertes, mais qui réagissent en baissant le coût de financement de la dette japonaise juste après que celle-ci soit annoncée à 1 quadrillion de yens, soit plus de 10 trillions de dollars américains ? En réalité, et évidemment sans jamais l'admettre, le Japon opère un transfert massif de richesses depuis ses citoyens en direction de l'État tout en monétisant à outrance sa dette publique.
 
Cet arsenal de répression financière utilisé par la courroie de transmission de la politique monétaire de la Banque du Japon se déploie donc au nez et à la barbe des 125 millions de japonais et des marchés financiers, des hedge funds qui poursuivent leurs acquisitions de bons du Trésor de ce pays, comme des agences de notation qui feignent de l'ignorer. L'objectif des responsables japonais étant de donner le temps au gouvernement de Shinzo Abe de mener à bien ses mesures fondamentales de dérégulation de l'économie de son pays. Certes, Kuroda remplit sa mission de noyer les marchés - et l'économie de son pays - sous une quantité absolument titanesque de liquidités fraîchement créés puisqu'il s'est engagé à doubler la base monétaire en circulation. Pour autant, le rendement de la dette obligataire n'est bien maîtrisé que parce que les japonais eux-mêmes jouent à fond le jeu de la solidarité nationale.

>> Lire aussi : Au Japon, les Abenomics n'ont pas sauvé la croissance
 
Dynamique solidaire
 
Ce n'est effectivement qu'à ce prix que la répression financière peut réussir : grâce aux banques, aux assurances, aux entreprises, aux fonds de pension, aux universités, à l'immense système de l'épargne postale, aux agences de l'Etat, enfin aux privés qui - suite à la flambée de ce taux de financement en mai-juin derniers et loin d'en avoir été ébranlés-, ont accéléré leurs achats afin de soutenir cette politique de la dernière chance conduite et voulue par Shinzo Abe. Dans l'objectif (qui profiterait à l'ensemble de la communauté) d'éviter impérativement l'escalade des frais de financement de la dette publique japonaise, élan de solidarité qui - soit dit en passant - aurait été précieux de la part des riches investisseurs grecs, espagnols, portugais et autres dans le cadre de la crise européenne périphérique… Toujours est-il que cette dynamique opère une redistribution phénoménale des richesses depuis la société civile japonaise vers son Etat.

Accompagnée de taux d'intérêt réels négatifs, qui autorisent du même coup le gouvernement à se financer toujours moins cher. Cette monétisation étant du reste substantielle puisque la Banque du Japon achète pas moins de 70% de la dette publique de son pays !

Bulle historique

Ces actes lourds de répression financière et de monétisation excessive sont certes stigmatisés quotidiennement par la caste des orthodoxes, des monétaristes et des hayékiens. Pour autant, qui aurait pu sérieusement imaginer et prétendre qu'un pays à la démographie catastrophique et dont la dette approche 250% de son P.I.B. serait bien un jour capable de rembourser ses dettes? Tout peut encore aller mal. Abe aurait en effet initié la plus grosse bulle spéculative de l'histoire mondiale si ses promesses de réformes structurelles ne sont pas concrétisées. La panique globale et la dévastation généralisée pourraient succéder à la sérénité apparente de marchés, pour l'instant peu préoccupés de ce qui se passe au Japon. Il est donc dans l'intérêt de la planète que l'action du magicien Haruhiko Kuroda soit couronnée de succès.

 

*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. « Finance Watch ». Viennent de paraître : une édition étoffée et mise à jour des "Splendeurs et misères du libéralisme" avec une préface de Patrick Artus et, en anglais, "Capitalism without conscience".

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Commentaires 5
à écrit le 16/09/2013 à 12:15
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très bonne analyse , le désastre s'approche , si le japon explose , la grece comparé au japon ce sera du pipi de chat , là le FMI sera incapable de ressoudre le problème japonais , la contagion sera bien mondiale et tout le monde dira a quoi bon paye...

à écrit le 11/09/2013 à 14:16
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"la mère de toutes les crises de la dette"... c'est beau, on dirait du Saddam Hussein !

à écrit le 09/09/2013 à 18:40
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la boj et la fed fonctionne de manière identique.... attention au réveil !

à écrit le 09/09/2013 à 15:52
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M Santi un homme plein de contradictions qui mise sur l'absence de mémoire de ses lecteurs/contradicteurs. Mais comme on dit : "Il n'y a que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis." Après nous avoir vanté les mérites de la dette japonaise, il ém...

à écrit le 09/09/2013 à 14:40
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Monsieur Santi. Hou hou... Vous n'avez pas encore réalisé que le Japon ainsi que la GB sont protégés économiquement par les US..?? Reviendez sur terre, Camarade.

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