Comment sauver "le soldat Défense" ?

La loi de programmation militaire pourra être difficilement respectée. Un effort d'innovation, de réflexion sur l'équipement des armées, est plus que jamais nécessaire. Par le Général (2S) Robert Creuzé
(Crédits : DR)

Aujourd'hui, dans le prolongement du Livre Blanc, de la LPM et du budget, chacun dans son rôle joue sa partition : le Ministre de la défense en assurant que tout va pour le mieux dans un contexte économique et budgétaire certes difficile, le Chef d'Etat major des armées en assurant que les capacités sont maintenues à un niveau conforme aux ambitions de la France et aux orientations du Livre Blanc, le Délégué général de l'armement en déclarant que la LPM « préserve globalement » les neufs grands secteurs industriels »…Tout ceci dans une symphonie bien organisée pour …ne pas faire de bruit ! Attention au premier industriel qui se livrera sans autorisation !

Un exercice de communication

Mais tous sont bien conscients que tout ceci relève d'un exercice de communication et que, comme les gouvernements et administrations précédentes depuis les années 80, le but est de cadrer avec les échéances électorales et de repousser au-delà les décisions qui s'imposent ! Mais la situation se dégrade avec le temps et une conjoncture économique et financière particulièrement difficile.

Le Livre Blanc ne répond pas aux vrais problèmes de demain. Il est empreint de l'actualité et est le reflet des différentes thèses qui se sont opposées pendant les travaux et qui ont été arbitrées autour d'un consensus « mou ». En quoi, par exemple, le Livre Blanc va faire progresser la réflexion sur le développement d'une Europe de la défense, en quoi le Livre Blanc propose des solutions pour une consolidation de l'industrie européenne d'aéronautique et de défense, condition « sine qua non » de la pérennité d'une Europe de la défense indépendante et souveraine ?

Les bases fragiles de la loi de programmation militaire

La Loi de programmation militaire repose sur des bases très fragiles qui mettent sa crédibilité en cause. Le financement est assuré par le recours à des « artifices » comme les ressources exceptionnelles, qui, comme leur nom l'indique et comme l'expérience l'a montré dans le passé, sont exceptionnelles et n'ont jamais été respectées : six milliards d'euros sur la période 2014-2019, dont la moitié dans la première partie d'exécution (niveau jamais atteint !), avec une hypothèse de ressources dégagées grâce à l'export du Rafale (les dernières informations en provenance de l'Inde ne poussent pas à un optimisme sur le calendrier !).

Des reports de charges insupportables

Sans parler du report de charges qui devient « insupportable » et représente plus de 30% des crédits d'équipement annuels du chapitre 146 ! La révision des engagements sur les contrats en cours (cible et calendrier de livraisons) va peser sur les ressources disponibles avec les pénalités qui vont se généraliser pour rupture de contrats vis à vis des industriels. Enfin, la LPM est bâtie sur des prévisions de ressources qui n'ont pas de crédibilité sur la durée : elle s'inscrit dans des prévisions de budget de l'Etat « glissantes »  sur trois ans, alors qu'elle est basée sur une période de cinq ans !

Alors, au-delà de ce constat plutôt pessimiste, à défaut d'être sans doute réaliste, quelques orientations pour l'avenir : respect de l'institution militaire, crédibilité et transparence, innovation et perspective, maintien de l'outil industriel.

Le respect de l'institution militaire

Elle repose sur un climat de confiance entre le « politique » et le « militaire ». Or cette confiance ne s'impose pas mais elle s'acquière. Lesrécentes réunions du conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), organisme de concertation dans les armées, ont confirmé le malaise existant. Comment motiver les personnels quand, d'un côté on leur demande de faire preuve de disponibilité pour représenter la France dans les opérations extérieures, parfois au risque de leur vie, souvent au détriment de leur vie familiale, et que, dans le même temps, ils voient les conditions de leur vie quotidienne se dégrader par manque de crédits ou du fait de restructurations qui répondent souvent davantage à des décisions « technocratiques » de recherches d'économies qu'à des besoins opérationnels ?

Comment justifier auprès de ces mêmes personnels que les primes pourraient être remises en cause, alors même qu'ils ne se sentent pas spécialement privilégiés, que les tableaux d'avancement vont être réduits…tout cela pour réduire la masse salariale, alors même que tout un chacun sait que les restructurations et déflations successives entraînent des surcoûts initiaux avant stabilisation ! Il est donc temps de redonner cette confiance indispensable en reconnaissant la spécificité de la fonction militaire et une priorité accordée aux exigences d'efficacité opérationnelle par rapport aux seuls aspects de rentabilité.

La crédibilité et la transparence

Ou deux ingrédients nécessaires au développement d'un climat de confiance.

D'un côté, les responsables militaires doivent être responsabilisés sur leurs gestions financières avec des outils de décision mis en place, et être aptes à rendre des comptes. Pour cela, revenons aux comptes analytiques, largement développés en particulier dans l'armée de l'air dans les années 85, seuls outils permettant de vraies bases de comparaison et de décision. Il sera alors possible de mettre en perspective les options entre maintien en service de matériels anciens et acquisition de nouveaux matériels et d'éviter des « non-décisions » qui se payent très cher quelques années plus tard.

D'un autre côté, les décideurs politiques doivent assumer leurs responsabilités en respectant les engagements financiers pris lors du vote de la loi. Comment comprendre qu'aujourd'hui que les crédits soient votés par le Parlement alors que les annulations (successives) ne font l'objet ni de débat ni de vote? Ce système est très pénalisant pour les opérationnels qui recherchent une cohérence opérationnelle et très pénalisant pour les industriels qui ont besoin d'une visibilité pour adapter leur outil de production, …sans parler des surcoûts occasionnés par les étalements de programmes ou réductions de cibles.

L'Innovation et la perspective

Dans un contexte financier plus contraint et face à des menaces plus diversifiées et souvent asymétriques, la pire des solutions serait de recopier le modèle existant et de ne pas faire preuve d'imagination pour préparer l'avenir. Les programmes de défense demandent du temps entre la définition des spécifications opérationnelles, les négociations de contrats, l'industrialisation et la livraison aux forces (souvent au compte-goutte pour des raisons financières).

Nous restons prisonniers des schémas présents

Or ces délais ne sont pas compatibles avec les échéances électorales ou les temps de commandement et les décideurs ne sont plus en fonction au moment de la mise en service des matériels. Cela n'incite pas à des efforts d'innovation, même si certains travaux sont menés dans ce sens. Culturellement, nous restons prisonniers des schémas présents : on remplace un char par un char, un avion par un avion, une frégate par une frégate…toujours avec des matériels plus coûteux à l'achat et en fonctionnement…avec des budgets en décroissance !

Réfléchir à notre force de dissuasion

Une réflexion a-t-elle été menée pour analyser les fonctions opérationnelles (indiscutables) apportées par les drones et les capacités actuelles auxquelles ils pourraient se substituer (à budget constant) ? Sur un sujet encore malheureusement tabou, a-t-on réfléchi et tiré les conséquences de l'existence de missiles de croisière et de l'arrivée prochaine d'un bouclier anti missile sur notre force de dissuasion (sans en préjuger des conclusions) ?

L'arrivée des BPC (bateau de projection et de commandement) a-t-elle généré une réflexion sur l'utilité du maintien d'un porte-avion dans la perspective des menaces développées dans le Livre Blanc ? De même, il est utile d'amorcer une réflexion complète en configuration pluridisciplinaire associant, EMA, DGA, DAS, industriels sur le combat du futur : guerre en réseau, combat urbain, armes non létales (qui auraient été bien utiles à Abidjan novembre 2004), …

Le maintien d'un outil industriel performant

Dépassons les réflexes purement nationalistes, en vogue malheureusement en période de crise et réfléchissons à une dimension européenne de l'industrie de défense pour pouvoir exister dans un monde industriel en pleine évolution avec l'arrivée des pays émergents. Pour cela il faut développer l'idée, auprès de nos partenaires, que faute d'une solide Industrie européenne de l'aéronautique, de l'espace et de la défense, il n'y aura pas ou plus, à terme, de Défense européenne.

 Créer une industrie européenne de la Défense

La mise en œuvre de cette Industrie européenne nécessite une approche mixte, à double gestion, entre les dirigeants de groupes industriels à centre de gravité européen et les responsables publics (civils et militaires, professionnels et politiques) de ces domaines (en notant combien leur nature et leur organisation sont diverses selon les pays).

Si les industriels peuvent et doivent être des moteurs de la coopération européenne, des initiatives politiques et administratives sont indispensables pour rendre possible ce projet. A l'heure actuelle, la logique budgétaire et comptable guide trop les choix industriels et administratifs et ne favorise guère les objectifs politiques et opérationnels définis, souhaitables et agréés, pour l'exemple français ceux du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale.

Robert Creuzé (65)

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Commentaires 14
à écrit le 17/11/2013 à 17:37
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663 généraux ou officiers généraux ...

à écrit le 17/11/2013 à 4:24
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Était-il nécessaire d'illustrer cet article avec une photo de la Bundeswehr , l'armée allemande. A l'heure où l'un des derniers (peut-être même LE dernier) régiment français (110eme RI) de la BFA va quitter le sol allemand, c'est révélateur ...

à écrit le 16/11/2013 à 17:27
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Il faut faire enfin comprendre fortement à Bruxelles et aux autres EM frileux qu'il faut exclure les dépenses de défense des Etats membres du cadre du pacte de stabilité budgétaire des 3% . Cela au nom de la sécurité européenne !!

à écrit le 15/11/2013 à 23:15
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Excellent article qui fait la part des choses entre l'opérationnel et le politique. Il y a, à l'évidence une défiance de l'Armée vis à vis du politique. Aux responsables militaires d'en tirer les conséquences. Le courage est une des qualités prem...

à écrit le 15/11/2013 à 20:52
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Mettre la dissuasion entre parenthèse permettrait de dégager les fonds nécessaire à un armée conventionnelle correcte.

à écrit le 15/11/2013 à 17:44
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oui c'est une bonne idée ! supprimons l'armée comme ça Hollande ne pourra plus intervenir ni en Afrique ,ni au moyen Orient . Sa politique extérieure sera réduite à néant et les iraniens doivent sacrément rigoler . Comme aux négociations sur le nuclé...

à écrit le 15/11/2013 à 17:28
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En ces 500 ans depuis Le Prince de Machiavel, la lecture serait une bonne chose : un état sans armée n'existe pas, c'est l'alpha d'un état-nation (mais pas le but).

à écrit le 15/11/2013 à 17:10
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Pour sauver le soldat Défense nationale, une solution simple : serre la ceinture au Ministère de l'Intérieur et transférer les budgets vers la Défense. Le Ministère de l'Intérieur dispose d'une milice politique pléthorique et parfaitement i...

à écrit le 15/11/2013 à 15:56
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On ne sauvera le "Soldat Défense" que par la dépense, évidemment...

à écrit le 15/11/2013 à 14:22
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Du calme les papis, la guerre avec l'Allemagne est terminée depuis 1945.

à écrit le 15/11/2013 à 13:49
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Le soldat défense va mourir de sa belle mort. Depuis J. CHIRAC tout président a pour action "d'économiser " 30 000 soldats" à la défense. Au bout de chaque mandat l'armée francaise va etre bien maigre.

à écrit le 15/11/2013 à 13:11
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En illustrant cet article avec des soldats allemands, on commence mal. @ la Tribune: il y a des tas de photos de l'armée française sur Google images, ça ne doit pas être si dur à trouver.

à écrit le 15/11/2013 à 12:52
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c'est quoi cette photo d'allemands? provocation?

le 15/11/2013 à 17:44
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Mais non c'est notre futur armée vus comme c'est partie.

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