«Il faut une remise à plat de la stratégie nationale de santé» Nicolas Vuillerme (enseignant chercheur)

À la tête d’une équipe de gérontechnologie et e-santé à la faculté de médecine de Grenoble, Nicolas Vuillerme, enseignant chercheur, membre de l’Institut universitaire de France, annonce une santé du futur personnalisée, participative, préventive et pluri-experte. Mais, cela implique la remise à plat de notre système de soins…
Nicolas Vuillerme, enseignant chercheur, membre de l’Institut universitaire de France./ DR

LA TRIBUNE - Comment les technologies s'installent-elles dans la pratique médicale ?

NICOLAS VUILLERME - Les freins à leur déploiement et leur utilisation effective sont multiples. L'e-santé introduit un vrai changement de paradigme pour notre système de soins.

Jusqu'ici, après les consultations de ville, tout se passait à l'hôpital. Le patient y était confronté à son seul médecin, qui prenait en charge son problème de santé. Mais avec le vieillissement de la population, l'augmentation des maladies chroniques, on ne peut pas envoyer tout le monde tous les trois jours à l'hôpital.

Les technologies de contrôle et surveillance à distance existent. Par exemple, lorsqu'un syndrome d'apnée du sommeil est diagnostiqué chez un patient, des solutions sont proposées afin de veiller sur son état respiratoire et de prévenir ses crises, mais aussi de vérifier que la machine qui assiste sa respiration nocturne est bien utilisée ! On passe donc à une pratique nécessaire de télésurveillance et télédiagnostic pour améliorer la qualité des soins et pour réduire les séjours à l'hôpital.

Quel est l'apport de ces technologies dans les nouveaux enjeux de politique de santé ?

Dans une population européenne vieillissante, les actions de prévention sont vitales. Elles permettent de préserver et/ou d'améliorer la qualité de vie, l'autonomie, le bien-être et d'augmenter l'espérance de vie en bonne santé (ou espérance de vie sans incapacité). L'e-santé représente un défi social et industriel majeur, en termes de services comme de dispositifs.

En quoi cela modifie-t-il le travail des médecins ?

Cette « médecine connectée » ne concerne plus seulement le patient et son médecin, mais aussi une équipe plus large. Celle qui gère les dispositifs installés à domicile, plus celle qui reçoit les alertes en cas de détection de situations anormales. En bout de chaîne, différents acteurs de santé peuvent être concernés par le suivi du même patient. Les maladies chroniques entraînent généralement plusieurs types de complications à surveiller.

Or, une grande partie de ces médecins sont habitués à être en face-à-face avec le patient. Dans ce nouveau cadre, ils doivent accepter de partager leurs informations et de travailler avec d'autres disciplines médicales. Ce travail collégial n'est pas toujours très apprécié. Certains ont l'habitude de gérer leurs soins sans que d'autres viennent y mettre leur nez. Et n'ont pas très envie que cela change.

Et puis ce ou ces médecins font désormais face à des patients de mieux en mieux informés. Des patients exigeants et qui ne s'en laissent pas conter facilement. Pour une profession qui a toujours été experte en son domaine, cette culture médicale des patients, glanée sur Internet, peut quelquefois paraître déstabilisante. De plus, sur les technologies employées en e-santé, tous les professionnels ne sont pas équipés et formés de la même manière. Leurs sensibilités et aptitudes technos sont aussi très hétérogènes.

agim
Les chercheurs de l'équipe du laboratoire AGIM, réfléchissent à de nouvelles solutions de maintien à domicile des personnes fragilisées et dépendantes./ DR

Est-ce cette facette technophobe qui pose problème ?

Non, car au fond, dans l'e-santé, la technologie n'est que le support dont se servent les professionnels. Ce dont souffre son développement, c'est l'absence de véritable remise à plat de la stratégie nationale de santé. Le comité des Sages, chargé de préfigurer cette stratégie, n'a pas dit autre chose :

« La réussite des parcours de soins et de santé dépendra de notre capacité à repenser en profondeur les modalités de rémunération, de tarification, de remboursement, pour inciter à une prise en charge mieux coordonnée des malades chroniques, et valoriser la qualité du soin et de l'accompagnement. »

Dans un contexte économique pour le moins tendu, c'est l'efficience qui doit primer. Ce n'est qu'après ces réformes du financement du système de santé et des modes de rémunération que l'e-santé pourra contribuer pleinement à l'efficacité et à la qualité des soins délivrés et à la maîtrise des dépenses de santé.

Quels sont les principaux bénéfices de cette e-santé ?

À l'heure actuelle, ils sont encore maigres car l'outil n'est rien s'il n'est pas mis au service d'une véritable réforme du fonctionnement du système de santé. À ce sujet, le cas de la télémédecine est assez révélateur. On ne peut pas dire que celle-ci souffre d'absence de cadre législatif précis. On ne peut pas dire non plus qu'elle n'a pas été expérimentée, même si certains observateurs font remarquer que les cohortes de patients sont trop limitées et les aires géographiques trop réduites.

De la même façon, des objectifs ont été établis, l'un des plus nobles étant de réduire les inégalités de santé en compensant les insuffisances sur certaines parties du territoire. Mais au final, seuls quelques actes de télémédecine sont entrés dans la nomenclature des actes médicaux. Et ce, en partie à cause de l'assurance maladie, de sa réticence et de sa lenteur à coder les actes de télémédecine afin qu'ils soient pris en charge. Ce à quoi, l'assurance maladie répond, non sans argument, qu'elle attend qu'on lui fasse la démonstration d'une véritable amélioration des soins sans dérive budgétaire.

Encore une fois, sans remise à plat du système de santé et de sa gouvernance, ce genre de débat s'éternisera.

Quel pourrait être le visage de la médecine en 2030 ?

L'apparition récente de l'imagerie et de l'« omique » numériques augmente considérablement les masses de données personnelles sur un patient. Le diagnostic, puis l'intervention thérapeutique sur les maladies chroniques exigent désormais une modélisation informatique et mathématique qui permettra d'entrer dans la médecine « T5P » du futur :

  • Translationnelle (du chercheur au patient-citoyen) ;
  • Personnalisée (le patient-citoyen au coeur de l'e-santé) ;
  • Participative (le patient-citoyen acteur de l'e-santé) ;
  • Prédictive (la gestion du patrimoine santé à partir de la connaissance de soi et de son génome) ;
  • Préventive (éviter la maladie en l'anticipant) ;
  • Pluri-experte (la synergie, à distance, des spécialistes réunissant toutes les connaissances nécessaires à la santé du patientcitoyen).

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Commentaires 4
à écrit le 19/01/2014 à 11:56
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L'avenir à mon sens ce sont les hôpitaux de jour avec check up complet de la PA (imagerie, cs auprès des spécialistes : gériatre, ergo, kiné, as, diet, psycho...) afin d'assurer une prise en charge efficiente et un retour à domicile dans les meilleur...

à écrit le 15/01/2014 à 7:09
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Je ne vous suis pas du tout M. Vuillerme Vous revez d'une santé connecte et dependante ou la personne est controlée alors meme qu'il faut viser a renforcer son autonomie Philippe Galipon Twitter: @p_galipon

à écrit le 14/01/2014 à 7:34
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La médecine connectée a sans doute beaucoup d'avantages. Mais la sécurité sociale ne devrait-elle pas en premier lieu prendre en charge une visite par an pour tout citoyen. Une visite gratuite pour toute personne n'étant pas allée chez le médecin dan...

à écrit le 13/01/2014 à 19:43
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Houla ! la génération des nonagénaires et des centenaires n'a pas eu besoin d'être connectée pour y arriver ! Encore une histoire de fric et de volonté de nous mettre un fil à la patte pour faire payer à la sécu de la surveillance à distance ! Et ...

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