Ne pas enterrer trop vite les pays émergents

Certes, le changement de pied de la Fed a mis en lumière les déséquilibres des pays émergents. Mais ils sont loin d'avoir dit leur dernier mot... par Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique

La réunion des ministres des finances du G20, qui s'est tenue à Sydney les 22 et 23 février, a été le théâtre d'une confrontation entre deux blocs (Etats-Unis contre pays émergents) concernant le resserrement de la politique monétaire américaine. Alors que de nombreux commentateurs notent la faiblesse des pays émergents, le G20 de Sydney marque en réalité leur affirmation sur la scène internationale et dans les enceintes économiques et financières.

Les déséquilibres des pays émergents mis en lumière

 Depuis que la FED a mis en œuvre la décélération de sa politique de quantitative easing, les grands pays émergents sont entrés dans une crise financière qui a mis en lumière leurs déséquilibres structurels. La politique de la FED est un révélateur davantage qu'une cause de la crise actuelle des pays émergents. Mécaniquement, la décision de la FED a conduit à un afflux de capitaux aux Etats-Unis. L'anticipation du relèvement des taux directeurs, le retour de la croissance et la rareté monétaire qui se profile ont convaincu les investisseurs de rapatrier leurs fonds.

A contrario, les grands pays émergents, qui ont des besoins de financement liés à leur déficit extérieur (notamment l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud), connaissent une crise financière. Cette crise se traduit par une forte remontée de leurs taux obligataires, ainsi que par une chute de leur parité monétaire. Ainsi, la roupie indienne a subi une chute de 20% de sa valeur depuis le début de l'année. La Banque centrale indienne, qui procède à des rachats massifs de sa propre monnaie, a difficilement enrayé la chute de la roupie.

 L'émergence des BRICS va se poursuivre

Cependant, la crise financière des pays émergents doit être analysée sur le temps long et au regard de leur trajectoire de croissance. Dans la dernière décennie, l'émergence des BRICS sur la scène internationale est le fait le plus marquant. Il y a lieu de penser que cette émergence se poursuive avec une croissance plus modérée des BRICS et une nouvelle vague de pays émergents autour des BENIVM (Bangladesh, Ethiopie, Nigéria, Indonésie, Vietnam, Mexique).

Le "tournant de Lewis", de l'exportation vers la consommation intérieure

En effet, les BRICS ont atteint une certaine maturité de croissance après une décennie triomphante. Ils ont atteint le « tournant de Lewis », concept forgé par Arthur Lewis, prix Nobel d'économie en 1979. Ce tournant se définit comme le moment où, dans une économie en développement, une main-d'œuvre abondante se raréfie, entraînant une augmentation des revenus, une contraction des marges bénéficiaires des entreprises, puis une chute de l'investissement.

Les BRICS sont actuellement dans ce tournant, lequel a pour conséquence de créer une nouvelle classe moyenne, dotée de revenus intermédiaires, qui fait basculer le moteur de la croissance de l'exportation vers la consommation intérieure. Les BRICS doivent désormais affronter les défis de sociétés développées : équilibre des retraites, mise en œuvre d'une protection sociale, réduction des inégalités, atterrissage de leur modèle de croissance, diversification de leurs économies et traitement de la pollution dans les grandes villes.

Ces défis expliquent les émeutes sociales qui se sont déroulées il y a quelques mois au Brésil ou en Turquie. Les nouvelles classes moyennes ont, légitimement, des aspirations sociales et démocratiques. A cet égard, la Chine reste pour l'instant préservée en raison de ses immenses réserves de change, de son excédent commercial et de la nature de son régime. Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a ainsi déclaré « qu'il était improbable que la Chine connaisse un atterrissage difficile ».

Un accélérateur de la transition économique et sociale

Le changement de cap de la politique monétaire américaine agit ainsi comme un accélérateur de la transition économique et sociale des BRICS, en plus de révéler leurs faiblesses structurelles. Il faut désormais s'habituer à un ralentissement de la croissance économique des BRICS et à l'arrivée de nouveaux grands émergents avec les BENIVM.

Globalement, les pays émergents conservent des fondamentaux macroéconomiques solides sur le long terme. Les pays émergents qui sont membres du G20 sont ainsi crédités d'un taux de croissance de 5,5% en 2014 et de 5,7% en 2015 sous réserve que le contexte financier soit stabilisé. Cet enjeu premier du G20 de Sydney démontre ainsi que les Etats-Unis doivent désormais tenir compte non seulement de la Chine mais aussi des autres pays émergents. Ce qui constitue, en soi, un changement radical dans les relations économiques et monétaires mondiales.

 

Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, est membre du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique

 

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