Pays émergents : une crise économique, mais aussi de la démocratie

La crise économique des pays émergents met en lumière leurs problèmes de gouvernance. Par Quentin Gollier, consultant en stratégie

« La probabilité qu'un système particulier - démocratique, autoritaire, ou autre - ait un impact sur le potentiel d'émergence [économique] d'un Etat est plus ou moins 50/50 ». Dans un monde où la démocratie est maintenant en passe de remporter la compétition globale démarrée à la chute du Mur de Berlin entre les divers régimes politiques qui continuent de mener les nombreux Etats du monde, cette phrase résonne de façon étrange, glissée nonchalamment par Ruchir Sharma dans son livre de 2012, Breakout Nations.

Entre par exemple le « modèle sud-américain » qui voit les démocraties de ce large continent stagner dans un clientélisme bien ancré, et le « modèle asiatique » au caractère autoritaire bien trempé, difficile de croire qu'il n'y en aurait pas un plus apte qu'un autre à délivrer le graal de ces économies émergentes : le développement. Force est de fait de constater aujourd'hui que le débat fait rage entre les gardiens inflexibles de la supériorité démocratique et les théoriciens souvent provocateurs des élans centralisateurs propres aux icônes asiatiques, de Park Cheung-Hee (Corée du Sud) à Lee Kwan Yew (à Singapour).

Les démocraties émergentes s'écroulent en cas de difficultés économiques

Organismes en déséquilibre permanent et profondément dysfonctionnels, progressant souvent dans leur législation « deux pas en avant, un pas en arrière », les démocraties émergentes traversent aujourd'hui une crise profonde liée  à l'écroulement de leur gouvernance en cas de difficultés économiques. Francis Fukuyama, pourtant peu soupçonnable de sympathie pour l'autocratie, a récemment conclu que « [croire] que la démocratie et la bonne gouvernance sont mutuellement liés […] tient plus de la théorie que du fait empiriquement démontré ».

Alors que la Thaïlande s'enfonce dans la crise suite aux violentes manifestations contre la premier-ministre en exercice et que le Venezuela continue de porter au pouvoir des politiciens plus préoccupés par la survie de leur appareil clientéliste que du développement de long terme de leur pays, cette considération pourrait s'imposer d'elle-même.

Une contestation de l'intérieur

De fait, la démocratie des émergents est aujourd'hui contestée de l'intérieur, alors que les partis parlementaires, souvent empêtrés dans les contradictions de leurs sponsors entrepreneuriaux et les groupes de population auxquels ils sont liés, peinent à s'imposer. Cet assemblage hétéroclite d'intérêts souvent opposés provoque cette sensation de pilotage « à vue » des Etats qu'il régule, jouant les régions les unes contre les autres, et fait du conflit une source permanente de législation.

Des groupes de pression qui emmènent des pays entiers dans l'impasse

Le pouvoir de ces groupes de pression, capable de déménager leur support d'un parti à l'autre ou, dans le cas des syndicats par exemple, de se mettre en grève en paralysant des agglomérations entières, emmène aujourd'hui des pays entiers dans l'impasse. Pour reprendre l'exemple de la Thaïlande, le gouvernement, après avoir mis en place une politique d'achat massif de riz aux producteurs s'est soudain retrouvé en 2013 avec une ardoise équivalente à 8% du PIB du pays suite à l'effondrement des cours de cette denrée. Si la satisfaction de l'influente communauté des producteurs est assurée, les capacités du pays à se financer en souffrent de façon absolument démesurée.

En Inde, la décentralisation du pouvoir permet de résister aux réformes brouillonnes du gouvernement

La démocratie trouve pourtant des alliés inattendus dans les entrepreneurs, tel que l'indien Nandan Nilekani - un des fondateurs d'Infosys et leader de la première grande vague de créateurs d'entreprise du pays dans les années 1990 -. Pour lui, la capacité de l'Inde à conserver un important dividende démographique face à la Chine (dont la population vieillit extrêmement vite) tient ainsi à la nature « lente, frustrante, et pourtant hautement réactive » de son système démocratique. En permettant au peuple de s'opposer aux diktats du régime central, les indiens auraient réussis à s'affranchir des politiques iniques de contrôle démographique qui mettent aujourd'hui la Chine au bord du gouffre dans son ratio entre actifs et retraités. Cette décentralisation du pouvoir permet ainsi indéniablement la résilience du pays face aux réformes brouillonnes du gouvernement.

Entre autocrates compétents et narcissiques uniquement préoccupés par leur réussite personnelle

En tous les cas, il reste difficile de décrire les démocraties comme les seuls lieux d'expression de ces travers. Si les autocrates des émergents sont parfois très compétents dans leur gouvernance (on peut notamment penser à Deng Xiaoping dans la Chine des années 1990, ou plus récemment à Thein Sein au Myanmar), un pays à l'organisation autoritaire peut tout aussi bien se voir gouverné par un narcissique notoire, plus préoccupé par sa réussite personnelle que par celle de son pays (sans avoir besoin de regarder vers la Corée du Nord, le cambodgien Hun Sen ou la plupart des présidents d'Afrique subsaharienne par exemple).

Poutine oublie les réformes urgentes

De même, certains de ces leaders font parfois preuve de de bonne volonté tout en demeurant profondément incapables de réformer leur pays malgré le besoin urgent de rationalisation de leurs administrations. Vladimir Poutine ne peut pas être soupçonné de négligence dans sa volonté de redresser la Russie, mais son obsession pour des problèmes aussi triviaux que la réintégration de minuscules résidus de l'empire soviétique, de la Géorgie à l'Ukraine prend clairement le pas sur des enjeux bien plus urgents tels que la purge d'un système pénal rongé par la corruption ou la libéralisation de certains secteurs d'activité en pleine déliquescence.

De même en Inde, la campagne électorale de Narendra Modi, un libéral « pro-business » convaincu, reste marquée par l'implication controversée de celui-ci pendant les émeutes antimusulmanes de 2002 dans son état du Gujarat, et permettent donc de douter de la neutralité - et donc de l'efficacité - de ce premier-ministre à venir dans la gouvernance de cet immense pays rongé par des sectarismes religieux ou communautaires abscons.

L'absence d'organes de contrôle

Plus qu'une question de système politique, la gouvernance d'un pays est donc influencée surtout par la personnalité des individus mis à sa tête, qu'ils y arrivent par élection ou par cooptation. De nombreux présidents ou premier-ministre des pays en développement ont tôt fait de sécuriser rapidement leur pouvoir dès leur prise de fonction. Des meneurs d'hommes tels que Hugo Chavez, Vladimir Poutine ou Recep Tayyip Erdogan participent ainsi tous à leur façon à la complexité de ce débat, étant élus démocratiquement mais montrant de clairs signes de concentration des pouvoirs.

La difficulté récurrente à définir un système permettant de mettre en place une bonne gouvernance dans un pays en croissance rapide tient donc principalement au fait que les émergents ne disposent pas en règle générale d'organes politiques de contrôle indépendants et forts capables de limiter le pouvoir du leader du pays. Par exemple,  la durée de vie moyenne d'une constitution en Amérique Latine est de 16,5 ans - 77 ans en Europe -, donnant aux leaders la possibilité de modeler les règles du jeu politique selon leur souhait, et instaurant une extrême flexibilité des institutions. Dès lors, le débat entre démocratie et autocratie se révèle inutile, puisque s'attachant à un symptôme de ce problème plus large.

Du dirigeant, dépend la capacité de croissance

Qu'ils soient dans des démocraties ouvertes ou des autocraties verrouillées, les politiciens du monde en développement se trouvent donc dans une situation similaire. Entre les figures paternelles telles que Hun Sen ou Lula, les narcissiques violents comme Chavez ou la dynastie Kim, ou encore les réformateurs complexés (Xi Jinping, Erdogan), les émergents se retrouvent à la merci d'individus au solide appétit pour le pouvoir et déterminés à le garder, par la grâce des urnes, sinon de la Kalachnikov. Mais plus qu'un duel entre ces deux modes de légitimité, c'est la personnalité de l'animal politique à la tête de l'Etat qui définira la capacité du pays à croitre, bien plus que la nature du système dans lequel il évolue.

 

 

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Commentaires 6
à écrit le 25/03/2014 à 19:26
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Où peut être sommes nous juste dans un monde en transition ou les structures hiérarchiques se révélent incapable de résoudre les problèmes actuels (révolution numérique). AU 20ième siècle la structure hiérarchie avait sont sens à l'image des usines d...

à écrit le 25/03/2014 à 13:47
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Tres bon article.On pourrait aussi elire les dificultes democratiques des emrgents a la lumiere de nos propres limites. C'est aussi parce que les democraties occidentales, qui font office de modeles qu'on le veuille ou non, sont en panne que la dynam...

à écrit le 25/03/2014 à 12:43
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tout cela n'est pas la qestion. La question est quand le liberal fascismo va disparaitre, et les regimes populares ils vont par fin connaitre l'espace pour lancer le progres du peuple. on a vu comment la cia a cassé en lybie, syrie et ukraine des rég...

le 25/03/2014 à 14:32
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Hugo, vous dites n'importe quoi. Il va falloir songer à changer de siècle; votre modèle a provoqué la misère et l'oppression de millions de personnes, avant de finir en faillite économique, politique et surtout morale.

à écrit le 25/03/2014 à 9:53
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Il est consultant en stratégie le petit Quentin ? A part nous servir des poncifs éculés ( garder le pouvoir par les urnes ou par la Kalach ) ou être à coté de la plaque ( Poutine fait de la Crimée un enjeu personnel et national et en Russie tout le m...

à écrit le 25/03/2014 à 9:21
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La démocratie en Europe ? Elle n’a pas l’air au mieux de sa forme. La Constitution Française devrait, peut-être, être modifiée car elle ne permet plus de gérer correctement le pays. Une Chine en « crise » avec 7.5 % de croissance, quand les USA fon...

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