La fin de l'Autriche-Hongrie (5/8) : se répartir les dépouilles de l’ancienne union

Cent ans après le début de la Première Guerre mondiale, La Tribune revient sur une des suites majeures de ce conflit, la fin de l’Autriche-Hongrie, et sur ses conséquences économiques. Aujourd’hui, comment s’est organisée la répartition des dettes et des actifs de l’ancien État austro-hongrois.
Borne à la frontière hongro-roumaine, datant de 1922.

La principale question, souvent oubliée lorsque l'on parle de la fin d'une union monétaire est celle du devenir de la dette libellée dans une monnaie qui soit n'existe plus, soit n'est plus la monnaie d'un État. Voici quelques mois, une polémique juridico-économique s'était ouverte pour savoir si la dette émise par un État qui sortirait de la zone euro sur son territoire pourrait être redénominée en monnaie nationale. Cette question s'est déjà posée concrètement après la disparition de l'Autriche-Hongrie.

La question centrale de la dette

La question de la dette n'est pas anecdotique. Une dette conservée en monnaie forte peut peser sur une économie issue d'un éclatement d'une union monétaire où les devises et l'or sont rares. L'État doit mener alors une austérité sévère et une politique d'amélioration de la compétitivité externe pour récupérer des devises. Dans le secteur privé, les acteurs endettés auront bien du mal à faire face et il faut s'attendre à des faillites.

À l'inverse, une redénomination en nouvelle monnaie dévalorisée peut poser problème. Elle peut être considérée comme un défaut et dissuader les investisseurs de prêter au nouvel État. Elle peut inciter ce dernier à accentuer une politique inflationniste pour rembourser la dette en monnaie de singe. Enfin, elle peut dévaloriser la dette privée et, là encore, conduire à une série de faillites d'entreprises.

La particularité du cas austro-hongrois

Le cas austro-hongrois est un exemple grandeur nature des questions qui se posent lors de ce type de crise. Dans un contexte différent, cependant. L'État austro-hongrois et les acteurs économiques austro-hongrois ont contracté des dettes en couronnes austro-hongroises. Or, ni cet État ni cette monnaie n'existent plus en 1920.

En revanche, pour les dettes contractées avant août 1914, la monnaie austro-hongroise comportait une référence implicite à l'or, même si juridiquement la Double Monarchie n'a jamais été sous le régime de la convertibilité explicite. Faut-il alors calculer intégralement la dette dans son équivalent en or ? Et comment répartir les engagements de feu l'Empire et Royaume ?

Jusqu'en 1918, la Banque centrale austro-hongroise a émis de la monnaie pour faire fonctionner l'économie de l'ensemble des pays successeurs et s'appuyant sur les richesses de l'ensemble de ces pays. Mais, aucun de ces pays n'était représenté au Conseil de cette banque et, entre 1914 et 1918, elle est passée aux ordres de gouvernements dont la plupart des nouveaux États ne se reconnaissent pas les héritiers.

Enfin, l'Autriche-Hongrie a disparu en raison de sa défaite militaire et ce sont les vainqueurs qui vont établir les conditions du règlement des dettes de l'ancienne Double Monarchie.

Les choix de Saint-Germain et Trianon

Les articles 203 à 218 du traité de Saint-Germain avec l'Autriche (10 septembre 1919) et 186 à 198 du traité de Trianon avec la Hongrie (20 juin 1920) traitent intégralement de cette question. Mais dans ces traités, les alliés défendent avant tout leurs intérêts. Le principe adopté est d'abord la priorité donnée aux créanciers étrangers, avant même les créanciers des États successeurs. Les dettes de l'ancien gouvernement austro-hongrois émises avant la guerre sur le marché international sont ainsi divisées entre les États successeurs par la Commission des réparations. Si la monnaie d'émission est la couronne-papier, les États sont autorisés à rembourser dans leur nouvelle devise (sauf si la Commission la juge trop dévalorisée).

Mais si la référence était la couronne-or, alors il faut rembourser la dette en devises. Les alliés, de ce point de vue, n'ont fait aucun cadeau aux États successeurs, dont certains comme la Serbie et la Roumanie, ont combattu à leurs côtés. Mais en finance, on ne connaît guère d'amis. Quant à la répartition de la dette, elle se fait en fonction des revenus produits par les territoires au cours des années 1911-1913. C'est donc la capacité fiscale qui est préférée.

La dette de guerre oubliée... en partie

Les États successeurs sont cependant exemptés du remboursement de la dette de guerre de la Double Monarchie. Mais au prix d'un abandon de l'ensemble des créances de leurs ressortissants, ce qui n'est pas rien car, pendant la guerre, nombreux étaient ceux qui avaient acquis des bons de la défense, y compris dans les futurs États tchécoslovaque, polonais, roumain ou « yougoslave. » L'Autriche et la Hongrie ne seront tenues de rembourser que les créanciers... étrangers. Globalement, cependant, le fardeau de la dette publique - et celle de l'Autriche-Hongrie était une des plus importantes de l'avant-guerre - fut transmis aux États issus de l'éclatement. La fin de l'union monétaire n'aura guère permis aux « États neufs » de lui échapper.

Sur les questions de dette privée, les alliés ne se prononcent pas. L'article 215 du traité de Saint-Germain (article 198 de celui de Trianon) juge que les « ajustements financiers rendus nécessaires par le démembrement de l'ancienne monarchie » devront être réglés par une « entente entre les divers gouvernements intéressés. » Tout juste les alliés demandent-ils un « traitement le meilleur et le plus équitable à toutes les parties » et proposent-ils que la Commission des réparations serve d'arbitre « sans appel » en cas de litige. Souvent, les dettes émises sur chaque territoire seront redénominées dans la nouvelle monnaie de ce territoire.

Comment liquider la banque centrale austro-hongroise ?

Reste un morceau immense : la question de la liquidation de la Banque nationale austro-hongroise. Les États successeurs en attendent évidemment beaucoup, notamment pour fonder leur propre banque centrale qui aura ensuite pour tâche de stabiliser la monnaie dans un contexte de forte inflation et de volatilité extrême des monnaies.

Que faire des réserves d'or de cette banque ? Et des titres de dettes qu'elle détient ? Les traités ont confié à des liquidateurs internationaux la tâche de régler cette question. Son installation fut difficile et contestée. Les travaux ne débutèrent pas avant la mi-1921 et s'achevèrent officiellement en juillet 1924.

Priorité aux créanciers étrangers

Les liquidateurs commencèrent évidemment par rembourser les dettes étrangères de la Banque. Le reste de l'actif de l'ancienne banque centrale, soit près de 200 millions de couronnes-or, dut être réparti entre les États successeurs. Les traités prévoyaient que les États remettent à la Commission les billets estampillés émis avant le 29 octobre 1918.

Les liquidateurs auraient ensuite réparti l'or en fonction de la répartition de ces « créances » sur la banque centrale que sont les billets de banque. Mais distinguer les billets émis avant et après cette date se révéla impossible. On décida donc de se baser sur l'ensemble des billets récupérés et de pondérer cette donnée par la population de chaque État.

La Tchécoslovaquie et la Roumanie reçurent la part du lion (41 et 36 millions de couronnes-or). Pour l'Autriche et la Hongrie qui avaient largement profité de la présence de deux sièges de la banque pour émettre des billets en 1918 et 1919, les 19 millions de couronnes reçus sont une goutte d'eau dans leurs besoins.

>>> Lundi : Le chaos économique (6/8)

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