La fin de l'Autriche-Hongrie (4/8) : la fin de la couronne austro-hongroise

Cent ans après le début de la Première Guerre Mondiale, La Tribune revient sur une des suites majeures de ce conflit, la fin de l’Autriche-Hongrie, et sur ses conséquences économiques. Aujourd’hui, les derniers soubresauts de l’ancienne monnaie impériale et royale.
Le traité de Saint-Germain-en-Laye, signé le 10 septembre 1919, établit la paix entre les alliés et l'Autriche, et consacre l'effondrement de la monarchie austro-hongroise.

Le problème autrichien demeure donc, malgré la sortie du pays de l'union monétaire le 12 mars 1919. Une masse de près de 4 milliards de couronnes non tamponnées en Autriche et en Tchécoslovaquie risque de se diriger vers les pays où la couronne est encore acceptée.

S'ouvre alors une course à l'échalote dans les États successeurs pour éviter de voir arriver ces couronnes. En avril, l'Italie convertit les couronnes (sans tamponnage préalable) en lires. La Roumanie tamponne ses couronnes entre juin et août.

Des tampons yougoslaves falsifiables

Dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (SCS), les couronnes non tamponnées continuent d'arriver pendant toute l'année 1919. Pour une bouchée de pain, on trouve un tampon factice quasiment indétectable. On peut ensuite aller échanger contre des devises à un taux largement supérieur à celui qui a cours en Autriche. Sauf que, du coup, la monnaie « yougoslave » s'effondre.

Les autorités de Belgrade essaient - sans succès - un deuxième tampon jugé plus difficile à falsifier. Puis, en décembre, on appose un timbre orné d'un sceau sur les billets en couronnes. Mais le pays a perdu l'avantage de la vitesse qu'il avait cru acquérir.

Le gouvernement a dû accepter de « timbrer » nombre de billets falsifiés. En compensation, Belgrade imite Prague et impose une retenue de 20% sous forme de « prêt forcé » lors du timbrage. Dès lors, le Royaume cesse de devenir une destination de couronnes non tamponnées.

En janvier, une Banque nationale est créée qui organisera en février 1920, puis en mars 1921 une conversion des couronnes timbrées en dinars à un taux très désavantageux. Ce qui ne manquera pas d'irriter Croates et Slovènes qui y voient une discrimination...

La fin légale de la couronne austro-hongroise : le traité de Saint-Germain

Lorsque le traité de Saint-Germain-en-Laye, signé avec l'Autriche le 19 septembre 1919, demande dans son article 206 l'estampillage national des couronnes austro-hongroises, mettant une fin légale à l'union monétaire de la Double monarchie, le travail est donc pratiquement achevé.

Seules la Hongrie et la Pologne sont les seuls États successeurs où les couronnes austro-hongroises sont encore en circulation. Sans frontières communes, dans un contexte révolutionnaire et de désorganisation complète des économies, ces deux pays forment une union monétaire de facto qui n'a en réalité aucun sens. Mais leur lenteur leur coûtera cher. Car c'est bien vers ces deux pays que va se diriger la masse monétaire non tamponnée de l'ancienne Double Monarchie.

La lenteur hongroise

La Hongrie est dans une situation particulièrement difficile. Le pays a été paralysé par la révolution de Bela Kun qui ne lui a pas permis de réagir aux opérations de « nationalisation » de la couronne dans les pays voisins. La chute de la République des Conseils en septembre 1919 est suivie par une difficile occupation militaire roumaine. Mais il est vrai aussi que les autorités hongroises ne sont guère pressées de réduire une masse monétaire qui permet de pallier à l'absence d'investissement étranger et qui pèse sur les salaires réels dans l'agriculture. Ce n'est donc que le 18 mars 1920, un an après l'Autriche, que la Hongrie organise le tamponnage de ses couronnes austro-hongroises. A la masse monétaire présente dans le pays en 1918 s'ajoute celle venue d'Autriche et celle émise depuis par le gouvernement, notamment, et celle imprimée sur une face dans la hâte par le régime de Bela Kun (les « billets blancs » dont le montant s'élève à 3,5 milliards de couronnes). Pour réduire la masse monétaire, le gouvernement impose un emprunt forcé de 50% des montants à tamponner. Puis taxe à 20% les dépôts bancaires en décembre. En avril 1921, de nouveaux billets en couronnes hongroises sont émis. Mais la Hongrie a hérité d'une grande partie de la masse des billets non tamponnés.

La Pologne ferme la marche

C'est donc la Pologne qui va clore l'histoire de la couronne austro-hongroise en échangeant en avril 1920 les couronnes non tamponnées contre des marks polonais. La masse monétaire héritée de l'Autriche-Hongrie pèsera lourd dans la chute de ces deux pays dans l'hyperinflation. Alors qu'entre mars et juin 1920, le marché des changes semble se détendre et que même la couronne autrichienne se redresse, la couronne hongroise et le mark polonais perdent respectivement 53% et 89% de leur valeur. Une chute qui vide les maigres réserves de devises et d'or de ces deux pays, ce qui les mènera en 1923-1924 à une hyperinflation sévère.

Le prix de la fermeté

Le 20 juin 1920, lorsque les alliés signent le traité de paix avec la Hongrie, la « nationalisation » de la monnaie austro-hongroise est achevée. Cette longue guerre des tampons a été une longue course pour échapper (ou parfois attirer) les masses de monnaies austro-hongroises dévalorisées. Les arbitrages se sont révélés d'autant plus complexes que les politiques économiques et budgétaires étaient désordonnées, l'époque était politiquement chaotique et les mesures souvent prises dans la hâte. Mais la fermeté dont ont fait preuve les autorités tchécoslovaques, imitées plus tard par les Yougoslaves, en taxant fortement l'ancienne monnaie leur aura permis d'échapper à ces masses de couronnes et a rapidement acquérir un contrôle de fait rapide de leur monnaie. Plus tard, cette fermeté permettra d'échapper à l'hyperinflation.

>>> Demain : Se répartir les dépouilles de l'ancienne union (5/8)

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