Europe : faire le choix de la réforme

L'Europe risque de continuer de s'adapter lentement, procédant à à de mini réformes en réaction aux crise. Mais d'autres voies, plus ambitieuses, sont envisageables. Par Michael J. Boskin, professeur en économie à l'université Stanford

De nombreux Européens sont convaincus qu'ils ont résisté à la tempête économique et financière. Au cours des deux années écoulées, les déficits et l'endettement se sont stabilisés. Le rendement de la dette souveraine des économies fragilisées à la périphérie de la zone euro connaît un repli. Le Portugal et l'Irlande sont sortis de leurs plans de renflouement. On ne parle plus d'un éventuel retrait de la Grèce de la zone euro.

Tout cela est vrai, mais il y a un gros problème : la croissance économique de l'Union Européenne reste anémique. Les PIB de la Hollande et de l'Italie ont connu un recul au dernier trimestre, et celui de la France n'a que très légèrement évolué. Les prévisionnistes revoient leurs estimations à la baisse et envisagent une croissance de la zone euro d'à peine 1% cette année. Le chômage reste à un taux ahurissant de 11,6% dans la zone euro, comparé à celui des Etats-Unis qui était, au pire de la grande récession américaine, de 10%. Il dépasse 25% en Grèce et en Espagne - et est même encore plus important chez les jeunes.

Une Europe prisonnière de trois problèmes

L'Europe reste prisonnière de trois problèmes - la dette souveraine, l'euro, et la fragilité des banques - en dépit des mesures de sécurité adoptées : le Mécanisme européen de stabilité (MES); les politiques de « l'argent facile » et les avoirs en dettes souveraines de la Banque Centrale Européenne ; et la reprise en main en novembre par la BCE de la supervision de quelques 130 des plus grosses banques de la zone euro. Aucune de ces réformes n'a été suffisante pour relancer la croissance dont a désespérément besoin l'Europe.

Les récentes instabilités politiques mettent en lumière un mécontentement économique généralisé. Les élections au Parlement Européen en mai dernier, qui ont vu la montée en puissance des partis d'extrême droite, de différents eurosceptiques, et même gauchistes dans de nombreux pays, nourrie en partie par la frustration populaire conséquente à la concentration des pouvoirs par la Commission Européenne, ont laissé les élites européennes sous le choc. La Grande Bretagne envisage un référendum sur son adhésion à l'UE en 2017 à moins que certains termes de son adhésion ne soient révisés.

 L'incertitude sur les effets de la consolidation budgétaire

Les dirigeants élus sont confrontés à une tâche impressionnante : mettre en place des réformes structurelles difficiles des marchés du travail, des systèmes de retraite, et de la fiscalité. Ces réformes comportaient déjà un caractère d'urgence avant la crise, et elles n'en sont encore qu'à leurs étapes préliminaires dans la plupart des pays, alors que la situation budgétaire des pays les plus endettés ne s'est que très modestement améliorée. Et l'Italie et la France demandent un répit en matière de déficit budgétaire et de réglementations sur la dette.

Les économistes ne sont pas en mesure de déterminer si une consolidation rapide entraîne des coûts ou des bénéfices à court terme. Selon moi, cela dépend des faits et des circonstances, comme l'ampleur, la crédibilité, et la durée de la consolidation ; mais aussi du mélange de dépenses et de réductions fiscales, de si la consolidation est plutôt d'ordre permanent et structurel (par exemple, une modification de la formule de calcul des retraites); et bien sûr, des choix de politique monétaire.

Un rythme de réformes trop lent

Au regard des perspectives démographiques décevantes de la plupart des pays européens, le rythme actuel de la réforme structurelle est dangereusement insuffisant. L'Italie et l'Allemagne se dirigent vers un rapport d'un retraité pour un actif ; en l'absence d'une croissance plus rapide du PIB, de nouvelles politiques d'immigration, d'augmentation de l'âge de la retraite et d'efforts visant à limiter les dépenses de protection sociale, on assistera à une augmentation inexorable des impôts pourtant déjà à des niveaux préjudiciables.

L'Europe a globalement trois options possibles. La première est le statu quo - ce qui impliquerait d'élaborer des mesures en réponse aux mini-crises à venir au fur et à mesure qu'elles apparaissent, suivant le modèle adopté ces dernières années. Compte tenu des divergences d'intérêts et des problèmes auxquels différents pays sont confrontés au sein de la zone euro et de l'UE, et de la lourdeur des structures de gouvernance et des difficultés que posent toute modification des traités, cette option est celle de la facilité - et probablement celle qui sera retenue.

La seconde option serait une réforme structurelle sérieuse et concertée. Cela impliquerait, a minima, des réformes du droit du travail, des systèmes de retraites, et des provisions anti-croissance des codes des impôts. Cela impliquerait aussi de réellement s'efforcer de réduire la dette souveraine qui reste un frein majeur à la croissance et continue de menacer les banques européennes.

Les accords sur la dette existants ne sont pas suffisants en l'absence d'une croissance forte sur dix ans, ce qui semble pour le moins improbable. Les gouvernements et les banques d'Europe auront à terme besoin d'une solution comme les obligations Brady, qui ont bien fonctionné pour surmonter la crise de la dette sud-américaine dans les années 90 et la menace qu'elle posait aux institutions financières américaines très exposées. Comme ce fut le cas à l'époque, il faudra négocier des options de sortie et des extensions de crédit.

Cette approche implique des mesures difficiles, particulièrement pour les pays riches ; mais correctement structurées, une réforme structurelle concertée pourrait relancer la croissance ce qui, en retour, entraînera des budgets plus sains, plus d'emplois, permettrait d'avoir des bilans plus équilibrés et limiterait les risques financiers.

Repenser  l'UE dans son ensemble?

La troisième option serait de repenser et de retravailler l'UE dans son ensemble, de l'euro à ses institutions fondamentales. En tant qu'arrangement de libre-échange, l'UE a été un très grand succès. Mais l'euro n'a de sens économique que pour une partie seulement de ses membres actuels, et non pour des pays comme la Grèce dans sa présente situation. Certains économistes ont proposé un euro à deux vitesses, par lequel les pays « difficiles » utiliseraient un « euro B » dont la valeur serait annexée à « l'euro-A » jusqu'à ce qu'ils soient en mesure de respecter les réglementations économiques et financières pour être réadmis.

Une meilleure mobilité de la main d'œuvre est un autre grand bénéfice amené par l'UE. Mais les diktats bureaucratiques rigides de la Commission Européenne ont porté certaines réglementations trop loin, et les efforts visant à obliger les pays à faible fiscalité à « harmoniser » leur taux seraient dévastateurs pour leurs citoyens et leurs entreprises.

Bien qu'il soit peu probable que des avancées soient faites concernant la deuxième et la troisième option dans un avenir proche, les dirigeants élus de l'Europe devraient en permanence tester ce qui fait sens et ce qui doit être réformé. La dernière élection était un signal d'alarme ; les dirigeants européens doivent ouvrir les yeux.

Michael J. Boskin, professeur en économie à l'université Stanford et membre de l'Institut Hoover, dirigea le Bureau des conseillers économiques de George H. W. Bush de 1989 à 1993.

© Project Syndicate 1995-2014

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Commentaires 13
à écrit le 11/08/2014 à 17:22
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"Mais les diktats bureaucratiques rigides de la Commission Européenne ont porté certaines réglementations trop loin"...C'est sûr que ce serait mieux si c'était les anglo- saxons qui commandaient! Et pourtant ce n'est pas faute de lobbying, avec toute...

à écrit le 11/08/2014 à 16:34
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Étourderie : "procédant à à de mini réformes en réaction aux crise." un 'à' et crises

à écrit le 11/08/2014 à 16:18
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Hélas, hélas, il faudrait scinder l'EU en deux. l'EU large des 28 , zone de libre échange sur le modèle de feu la CEE et la zone euro intégrée sur un mode fédéral. Hélas , nous n'y sommes pas, voilà pourquoi l'Europe de 2014 ne procure plus aucun esp...

à écrit le 11/08/2014 à 16:03
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La seule réforme rapide pour un retour a la croissance est d'exploser l'euro en une multitude de monnaies (nationales) s'adaptant à l'économie locale et permettre ainsi entre elles, "une concurrence libre et non faussée".

à écrit le 11/08/2014 à 14:54
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Sortir de l'UE au plus vite !

à écrit le 11/08/2014 à 14:13
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Le taux de chomage US est complètement bidon, le taux réel est certainement plus proche du notre voire même au dessus. C'est la mondialisation qui a redistribué les cartes, augmenté les matières premières (qui se souvient du baril à 20$?), déplacé le...

le 12/08/2014 à 8:21
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malheureusement les pays dit riches ont pas le nez là ou il faudrait , la conséquence aux US comme en UE c'est que les consommateurs veulent depuis 40 ans du moins cher que moins cher , ce qui était quelque part justifié avec de l'inflation a deux ch...

à écrit le 11/08/2014 à 14:10
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"L'Italie et l'Allemagne se dirigent vers un rapport d'un retraité pour un actif"... Ah bon, parce qu'en France, si vous retirez les fonctionnaires et les chômeurs de la "population active", j'ai bien l'impression qu'on y est déjà...

à écrit le 11/08/2014 à 13:35
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ll devrait s'appliquer à lui même les "réformes" ultralibérales.

à écrit le 11/08/2014 à 13:35
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ll devrait s'appliquer à lui même les "réformes" ultralibérales.

à écrit le 11/08/2014 à 13:06
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Magnifique plaidoyer d'économie ultra libérale dont nous connaissons les effets qui malheureusement sont toujours négatifs pour la croissance

le 11/08/2014 à 14:21
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@ Jean Datice : la politique sociale menée depuis 30 ans a conduit à diviser par 2 la part de l'industrie, tripler les charges sociales et doubler le nombre de chômeurs... Mais il y a toujours des gens qui pensent que s'il ne restait, en France, que...

le 12/08/2014 à 10:11
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très juste, la rente sociale inégalitaire contribue largement au chômage.

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