Fiscalité et numérique : attention aux solutions miracles

L'idée qui monte de taxer la collecte des données est contre-productive. Elle ne ferait qu'alourdir la taxation des grandes entreprises. par Bernard Chaussegros, associé fondateur, Smart Consult

Dans le contexte de lutte contre les déséquilibres budgétaires que connaissent la plupart des pays européens, la sensibilité des Etats aux problèmes de collecte des recettes fiscales est plus forte que jamais. Et cela d'autant plus que ces mêmes Etats se révèlent incapables d'agir efficacement sur leur niveau de dépense. Parce qu'ils bénéficient de l'important transfert de valeur et d'activité permis par les bouleversements numériques, les grands acteurs du Web — les fameux GAFA qu'on ne présente plus — font désormais l'objet de toutes les attentions.

Si l'inadaptation de notre système fiscal au contexte profondément nouveau de l'économie numérique ne fait pas de doute, il ne faudrait pas que des solutions apportées maladroitement viennent créer dans cette nouvelle économie les pesanteurs et les inefficiences trop longtemps déplorées dans l'ancienne. Or, parmi les grandes innovations fiscales dont débattent les experts aujourd'hui, l'idée d'une taxation de la collecte des données est celle qui revient avec le plus d'insistance — comme dans le rapport fameux Colin et Collin de 2013. Il s'agit à notre sens d'une fausse solution miracle : fondée sur une incompréhension économique, ses conséquences pourraient être désastreuses pour l'activité économique dans son ensemble.

Un sorte "d'or binaire"

Dans un univers numérique où les produits deviennent souvent de simples fichiers — pensons à la musique ou à la vidéo — et où la capacité à créer un marché repose sur la maîtrise d'une quantité immense d'informations, la donnée peut apparaître comme une sorte d'« or binaire » pourrait-on dire, la matière première précieuse dont tout dépend. C'est à la fois vrai et faux. Vrai parce que l'économie numérique — c'est-à-dire aujourd'hui l'économie tout court ­— est entièrement innervée de données et repose tout entière sur leur utilisation.

Capter les données ne crée pas de valeur, les traiter oui

Faux parce que l'accès aux données et la capacité à les capter ne suffit pas à la création de valeur. Cette valeur vient au contraire de la capacité à les traiter. Internet, pour le dire autrement, est le lieu où la donnée, parce qu'elle est omniprésente et infiniment abondante, n'a paradoxalement plus de valeur — alors qu'elle en avait dans l'ancienne économie parce qu'elle était rare. C'est se tromper lourdement sur la nature du mécanisme de création de valeur que de penser que la donnée en est la clé de répartition qu'il serait dès lors pertinent de taxer : c'est la capacité à en trier les éléments pour en extraire du sens et les traduire dans un service pertinent — mise en relation d'acteurs du marché, ciblage de communication, etc. — qui détermine la valeur.

Une utilisation massive des données, dans tous les grands secteurs

Fondée sur un diagnostic erroné, la taxation des collectes de données personnelles serait aussi, on peut le craindre, nuisible à l'activité économique. Il est faux de penser que seuls les GAFA utilisent aujourd'hui ces données en abondance : en réalité, la plupart des entreprises font reposer aujourd'hui une grande partie de leur activité sur l'utilisation massive de données en provenance de leurs clients. Avec le développement de l'Internet des objets, ce ne seront plus seulement les achats qu'ils réalisent ici et là qui pourront être utilisés, mais, si les clients le souhaitent, les éléments relatifs à leurs déplacements, leur activité physique, leurs contacts avec d'autres personnes, etc. La plupart des grands secteurs font aujourd'hui une utilisation intensive des données : les constructeurs automobiles, dont Renault et Peugeot par exemple, les banques, les enseignes de grande distribution — pionnières des programmes de fidélisation —, etc.

Taxer les données, c'est imposer encore plus les entreprises

En créant une fiscalité sur la collecte de données, nous créerions en réalité un impôt supplémentaire supporté par les entreprises, accentuant leurs difficultés à investir et se financer. Pourtant, à bien y réfléchir, l'utilisation de ces données a déjà un effet positif sur les recettes fiscales grâce à la consommation supplémentaire qu'elle permet : TVA, profits et charges sociales sur le travail générés grâce aux données sont autant de recettes qui n'échappent pas au système.

Il est certes urgent d'adapter la fiscalité aux nouvelles conditions de création de valeur en se fondant sur une compréhension profonde des nouveaux mécanismes à l'œuvre. Mais, bien plus que de solutions hâtives à la simplicité trompeuse, c'est d'une remise à plat globale d'une fiscalité des entreprises aujourd'hui complexe et inefficace dont nous avons besoin.

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