2023-2024 : la résilience du commerce mondial

OPINION. Initiée par les États-Unis et leur Inflation Reduction Act, la vague de protectionnisme s'étend progressivement à travers le monde : Green Deal européen, plan Industrie Verte en France, les exemples font légion. Dans ce contexte, à quoi s'attendre sur le front du commerce mondial pour les années futures ? Par Pierre-Antoine Dusoulier, PDG et Fondateur d'iBanFirst
(Crédits : DR)

Un atterrissage en douceur a toutes les chances de s'opérer en 2023 et en 2024. Deux facteurs sous-jacents à l'œuvre plaident pour ce « soft landing » commercial.

Même si une nouvelle donne plaiderait pour un tassement des échanges internationaux...

Premier élément conjoncturel : la « nouvelle guerre de position en Ukraine », entrée dans un cycle long. Au-delà des perturbations classiques engendrées sur les transports mondiaux, les embargos induits par le conflit pèsent, en particulier sur le secteur énergétique. La question du réapprovisionnement pour l'hiver prochain constitue d'ailleurs un enjeu majeur. L'Agence Internationale de l'Énergie n'avait pas totalement écarté le risque d'une possible pénurie de gaz en Europe durant l'hiver 2023 - 2024. Et qui dit pénurie, ou baisse des réserves, dit flambée des prix qui se répercute sur le coût du transport (les ménages français ont pu en faire l'expérience fin 2022).

Le retour de la souveraineté est également au cœur des débats. Les États occidentaux se sont lancés dans une course de vitesse à l'indépendance et l'autonomie stratégique. La crise du COVID et le conflit russe ont fait office de révélateur et amènent les grands blocs - Europe, Chine et États-Unis - à repenser leur autonomie stratégique dans les secteurs clés. Le Green Deal Investment Plan, de même que l'Inflation Reduction Act, ne sont que les parties visibles du nouveau crédo d'autonomisation visant à limiter la dépendance dans le secteur alimentaire, énergétique, ou bien encore dans la tech et les télécoms.

Troisième facteur : la nouvelle donne des taux d'intérêt élevés. Entamée en mars 2022 pour la FED, et en juillet de la même année pour la BCE, la hausse des taux a mis fin à une parenthèse unique. Désormais, il paraît évident que le cycle de l'argent gratuit est fini et pour longtemps. Les taux directeurs vont probablement continuer à augmenter. Une décrue ne serait anticipée au mieux qu'à partir de début 2024.

Un quatrième élément plaiderait théoriquement en faveur d'un ralentissement des échanges mondiaux : la nouvelle combinaison entre l'engagement citoyen et la régulation étatique concernant l'écologie. En effet, la mobilisation citoyenne sur la question climatique se double désormais d'un début de prise de conscience au plus haut sommet des États. Parmi les mesures phares : la fin des véhicules thermiques d'ici à 2035 en Europe. Ce texte s'inscrit dans l'objectif européen de neutralité carbone d'ici à 2050, un engagement d'ailleurs partagé par les États-Unis. Ces nouvelles velléités étatiques gravées dans le marbre législatif sont de nature à durablement reconstruire un modèle commercial à la fois plus local et respectueux de l'empreinte écologique.

Les sous-jacents conjoncturels vont limiter la tendance de dé-globalisation des échanges

Pour autant, malgré ces tendances de fond indéniables, nous pensons que le scénario d'un krach commercial n'aura pas lieu. Selon nous, un atterrissage en douceur va s'opérer en 2023 et en 2024 avec une croissance nulle du commerce mondial ces deux prochaines années. Deux facteurs sous-jacents à l'œuvre plaident pour ce « soft landing » commercial.

Plus qu'une relocalisation, les tendances semblent montrer l'essor du raccourcissement des chaînes logistiques. La volonté de relocalisation post-pandémie dans les pays occidentaux s'est effectivement heurtée à la question des coûts. Plus qu'une tendance de délocalisation à l'autre bout du monde, on observe davantage aujourd'hui un phénomène de nearshoring. L'explosion du prix des transports, les incertitudes quant à l'acheminement des marchandises liées à la pandémie ou encore d'éventuels bouleversements relatifs à la politique de certains pays producteurs sont autant d'arguments en faveur d'une production davantage contrôlée dans des pays plus proches.

Bloomberg avance que 80% des entreprises américaines souhaitent raccourcir leurs chaînes logistiques à l'avenir. En Europe, 60% des entreprises européennes envisagent la relocalisation dans un pays plus proche d'ici à 2025, selon une étude réalisée par Consultancy.eu. Parmi les pays les plus populaires, ceux d'Europe Centrale et Orientale (les PECO), tirent particulièrement leur épingle du jeu en raison de leur proximité géographique et de coûts salariaux qui restent moins élevés qu'en Europe Occidentale.

Deuxième élément à prendre en compte dans ce scénario de croissance nulle : l'inflation grandissante. Si la volonté d'une consommation plus responsable et locale se répand, elle se heurte à l'enjeu persistant du pouvoir d'achat. Les derniers chiffres de l'inflation (en zone euro, l'inflation sur 12 mois est estimée à 7% en avril 2023, et autour de 5% aux US) témoignent de la difficulté majeure des États à revenir à une inflation cible de 2% malgré le resserrement monétaire. Or, cette inflation persistante constitue désormais un enjeu social et donc politique majeur. La crise du pouvoir d'achat qui touche tous les pays occidentaux l'emporte sur la souveraineté, mais surtout oblige les États à concentrer leurs efforts sur des mesures de soutien à la consommation au détriment des investissements d'avenir et du désendettement.

Au sein de l'Union Européenne, de nombreux pays ont ainsi fait le choix d'une politique de soutien à la consommation. L'Allemagne, par exemple, a mis en place une aide substantielle aux ménages et aux entreprises. La France a, quant à elle, multiplié les mesures de soutien face au coût croissant de l'énergie, comme le chèque énergie instauré par le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, un dispositif destiné à atténuer le choc de l'inflation énergétique pour les foyers les plus modestes.

Par ailleurs, face à la question pressante du pouvoir d'achat, c'est l'ensemble de la chaîne de production (industrielle, agro-alimentaire, distribution) qui est désormais engagée dans une course au mieux-disant financièrement, afin de demeurer compétitif. La question de l'origine est reléguée au second rang face à l'urgence sociale.

Autant d'arguments qui vont dans le sens d'un atterrissage contrôlé des échanges internationaux. Le scénario de la dé-globalisation n'est pas pour demain.

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Commentaires 2
à écrit le 03/06/2023 à 8:29
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Je voyais très mal de toutes façons tout ces gens ravagés par la cupidité faire un méa culpa et inverser le mouvement car se cachant sans arrêt leurs immenses responsabilités dans le massacre de la moitié de la vie sur terre.

à écrit le 02/06/2023 à 14:00
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Vous parlez de "protectionnisme", qui est un vocable litigieux, au lieu de résilience locale, rien n'empêche les échanges des surplus ! ;-)

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