Accord de Paris : « La France, nous voilà  !  »

En réponse à la décision de Donald Trump de retirer les Etats-Unis de la participation à l'accord de Paris sur le climat, le président français a invité les chercheurs américains qui travaillent sur ce domaine à rejoindre la France pour poursuivre leurs travaux. Au delà de l'invitation, quels enseignements tirer d'un tel retrait? Par Gilles Campagnolo, directeur de recherches au CNRS (1).
Emmanuel Macron s'exprimant à la télévision jeudi en soirée après l'annonce par Donald Trump du retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris sur le climat.

Pour travailler à l'élaboration et à la mise en œuvre des solutions scientifiques et techniques conformes à l' « Accord de Paris », quoi de mieux que de venir travailler à Paris (ou du moins en France) ? C'est le message que le président français a très explicitement entendu faire passer à la fin de son discours en réaction à l'annonce par le président américain du retrait des États-Unis de cet accord.

La « grande Amérique », qui a encore (et encore pour un certain temps, sans trop de doute à ce sujet, rappelons-le) la première économie au monde, s'est dédite ce 1er juin 2017 de la parole donnée lors de la conférence internationale « COP21 » tenue à Paris. Le président américain détricote l'une après l'autre les mesures de son prédécesseur (il tient ses promesses, qu'on les apprécie ou pas) et les commentaires peuvent aller bon train s'il rend ainsi sa grandeur à son pays ou l'enferre dans une attitude à « contre-sens de l'Histoire » (l'on a pu connaître des doutes sur le « sens » de celle-ci, à différentes époques). Mais, faut-il d'ailleurs rendre à tel ou tel État, fût-il le plus puissant, sa « grandeur », et que dire de la France en ce cas - ou bien s'agit-il de la planète entière ?

A vrai dire, cette dernière, la Terre, continuera tout autant à tourner dans le système solaire même si nous, humains, devons jamais en disparaître. A l'échelle de l'univers, notre existence ne change qu'une seule chose : la conscience qui est prise de ce même univers par des êtres pensants lui appartenant. Jusqu'à plus ample informé, nous seuls. Nous la prenons par des cosmogonies et des mythologies, diverses et variées, et en Occident, depuis le cosmos des Grecs de l'Antiquité, premier effort d'explication « physicienne » du réel, en passant par l'univers héliocentré de la Renaissance avec Copernic et Galilée, jusqu'à l'immense espace-temps relativiste présenté par Einstein. C'est par la conscience qui lui est propre que l'espèce humaine se caractérise en se positionnant dans le monde. S'il paraît que c'est du destin de cette humanité que l'évolution du changement climatique d'origine anthropique doit décider, après tout, n'est-ce pas un juste retour des choses si son sort est effectivement dû à la croissance de ses propres activités, notamment depuis la Révolution industrielle fortement consommatrice de ressources carbonées ?

Questions et quiproquos

L'immense majorité des scientifiques a pu établir la réalité de ce changement, qu'il n'y a pas, ou plus guère, de raison de mettre en doute rationnellement : si le questionnement scientifique est de mise, le scepticisme de mauvaise foi, quand il n'est pas appuyé sur des arguments rationnels, ne l'est pas. Les données sont établies au mieux des connaissances actuelles, et elles sont vérifiées selon les critères présentement acceptés dans plusieurs sciences : qu'on n'oublie pas ainsi que la climatologie, certes la première intéressée, n'est toutefois qu'une discipline parmi toutes celles mobilisées à divers titres dans les rapports du GIEC (le groupement international pour l'étude du climat, IPCC sous son acronyme anglais, l'organisation prix Nobel de la paix). Les sciences humaines y sont représentées (par l'économie, la sociologie, l'étude des populations, notamment). Du point de vue scientifique, le cas semble donc entendu. Mais la décision prise est politique ; or c'est de l'interférence des deux qu'émergent questions et quiproquos.

Une décision telle que celle du président américain, qui va faire couler tant d'encre et qui va peut-être couler des pans de l' « économie verte » présente et à venir, tombe sans doute du mauvais côté du savoir. Et l'on se console en pensant qu'heureusement, il reste un bon côté - le nôtre, dit-on à Paris, et Berlin, mais également à Pékin, Dehli - en espérant dans la visite de son Premier ministre ces jours-ci à Paris, ou Tokyo - après tout le protocole de Paris a succédé à celui de Kyoto, l'ancienne capitale d'un Japon cependant légèrement embarrassé par la remise en cause des équilibres diplomatiques qu'entraîne la décision des États-Unis dont il se veut le premier allié.  Toutefois, sauf à trouver des motivations psychologiques personnelles peu tenables au choix du président qui engage les États-Unis en ce 1er juin 2017, que peut réellement défendre le président américain en prenant cette décision ? Par extension, quelle est la nature de l'invite faite par le président français ? Il s'agit dans ce billet d'avancer quelques éléments sur ces deux seuls aspects, et du point de vue d'un économiste.

Externalités positives ou négatives

La théorie économique possède une notion pour expliquer le comportement d'un agent qui profite des retombées des efforts d'autres agents (on parle d' « externalités », qui peuvent être positives ou négatives). Quand il s'agit de bénéficier d'un service sans en payer les coûts mais en profitant effectivement de ses effets, on parle de « free-riding ». Attitude immorale s'il en est. Mais passons car il y a mieux : c'est alors aux autres de faire d'autant plus d'efforts qu'un refuse de jouer le jeu, et qu'il entend continuer, alors qu'ils s'activent, à attendre le résultat de leurs efforts, en fumant tranquillement sa pipe, par exemple  - ou son pipeline : qu'on nous passe le mauvais jeu de mots et qu'on pense au grand oléoduc des Etats du nord du Midwest dont la construction a repris depuis l'entrée en fonction du président américain. Bref, prendre le bateau sans payer son ticket, c'est en somme, quand le navire est la planète, et que ni vents ni marées ne connaissent de frontières, bénéficier du climat ambiant, qui reste la chose du monde la mieux partagée. Certes, tout est fonction des endroits : où frapperont les ouragans ? Où l'air sera-t-il irrespirable ? Où le niveau des océans montera-t-il le plus ? Les effets sont locaux, si le changement est global. Et on souffrira plus ici que là, cependant de manière quasi parfaitement indépendante des efforts entrepris. C'est pourquoi la COP21 devait réunir les États du monde entier (seule la Syrie avant aujourd'hui se tenait à l'écart). C'est pourquoi le « free rider » passe pour un traître. Mais ne pas prendre sa part des efforts pour limiter les dégâts n'empêche pas d'avoir les retombées climatiques, positives ou négatives, au contraire.

Capitaine du navire

En français, la traduction convenue nomme cette théorie le « passager clandestin ». Il est certes étonnant de parler des États-Unis avec ce vocable quand le monde les a longtemps vus plutôt au poste de capitaine du navire. Mais la puissance américaine a déjà renoncé au premier rôle dans plusieurs domaines (ne pas, ou ne plus être le « gendarme du monde », ne plus se présenter comme le chantre du libre-échange mondial, etc.) et a toujours traîné les pieds concernant la lutte contre le réchauffement climatique. Seul le précédent président américain a constitué une exception à l'isolationnisme en ce domaine. L'actuel président américain, et son entourage, très certainement en toute connaissance de cause, joue la carte isolationniste en free rider lorsqu'il dit « défendre Pittsburgh plutôt que Paris ». Que le maire de Pittsburgh ou que le centre de philosophie des sciences que son université abrite (et qui se range parmi les plus avancés, voire le premier, dans le pays) soient en désaccord n'y change rien.

L'intérêt général national

Le président américain défend sans doute certains intérêts privés (mais pas tous) et s'il parle au nom de l'intérêt général, il précise qu'il s'agit exclusivement de l'intérêt général national. Qu'on doute ou pas de la pertinence de son choix, il manifeste une défense : avant tout celle d'un « mode de vie », où la consommation de masse a fait le succès et la richesse des États-Unis au siècle précédent - et qui, soit dit en passant, n'est pas étranger à la victoire dans la Guerre froide contre le système soviétique impuissant à fournir les biens de consommation et à empêcher ses populations de faire le « rêve américain ». Des voitures, des routes, des usines, des marchandises en veux-tu en voilà : certains disent ce modèle suranné, vieilli, empoussiéré de charbon et gras de cambouis pétrolifère. Peut-être. Sans doute. Mais qui ne bénéficie pas de tout cela en rêve. Partout dans le monde. Et qui en bénéficie n'est pas prêt d'y renoncer. Aussi, on l'annonce déjà : il faudra y renoncer, de gré ou de force. Mais qui emploiera la force ? Et qui souhaitera voir la force employée ?

Dans « défense », il y aussi « protection » et protéger ce mode de vie dans l'isolement est précisément le choix qui a été prononcé - avec le bénéfice supplémentaire que les autres redoubleront d'efforts afin de limiter la casse. Jouer personnel ne signifie pas toujours jouer perdant, à titre individuel du moins. Inversement, jouer collectif entraîne à discuter les conditions dans lesquelles les coalitions sont gagnantes et l'on est de nouveau en pleine théorie économique, de théorie des jeux et de théorie de la décision.  Mais surtout quel rêve économique oppose-t-on à celui qui est ainsi critiqué?

Un rêve économique chinois?

C'est ici que les réactions de Paris (et de Berlin), d'une part, et de Pékin, d'autre part, importent.  Le processus de co-production l'expertise économique et des politiques de gouvernance pour combattre le réchauffement climatique à travers le choix de mélanges énergétiques moins riches en carbone est un chapitre de la science qui a déjà été ouvert depuis quelques décennies, mais dont la dynamique scientifique, technique et politique est au tournant de la massification des efforts. Moyennant des moyens techniques appropriés, construire les outils pour répondre aux défis que pose l'activité industrielle change la donne économique. Le pari qui est fait est celui d'un autre « rêve » économique. Alors demandons-le nous tant que les décisions se prennent : sera-t-il chinois ?

Parmi les buts que se donne le Parti communiste chinois, deux sont majeurs pour sa gouvernance - et son maintien au pouvoir: réaliser une société dans laquelle il sera possible de fêter un « Chinese dream » en 2049, centenaire de sa prise de pouvoir, et rendre l'air respirable, non seulement à Pékin, mais dans de plus en plus des grandes villes qui n'ont plus rien à envier à l'Occident. Une question est de savoir quel type de mesure accompagne le choix d'une société « low-carbon » durable : celles qui seront mises en avant par les gouvernements nationaux en raison de l'accord international le seront-elles par la force ? Qu'est-ce qui est possible ? Et qu'est-ce qui est plausible en ce domaine ? Le philosophe se ferait ici politique, mais si le premier ne donne pas de réponse, il doit au moins rappeler au second que si l'on s'inscrit dans une perspective comparative de scenarii, concernant la transition énergétique dans le cadre du changement climatique d'origine anthropique, alors ces aspects sont à prendre en compte. Tous les autoritarismes se valent à certains égards.

Là n'est toutefois pas (pas encore ?) la question tant qu'il s'agit avant tout de forger les instruments d'un savoir tel qu'il permette de développer les solutions les meilleures, à savoir les plus efficaces au coût le moins élevé possible (économique, social, politique) dans l'objectif de contenir autant que possible le réchauffement : des voitures et des usines qui ne polluent pas, des routes... de l'information immatérielle,  des marchandises qui ponctionnent peu les ressources naturelles. Le progrès aussi sera alors en marche, si l'on n'est point obligé à renoncer aux services procurés par ces biens, tout en étant capable de diminuer leur empreinte sur l'environnement.

Une incartade de bonne guerre

Or, si, à travers l'influence du gouvernement fédéral américain, les conditions devaient devenir moins favorables à la recherche aux États-Unis (ce qui n'est pas encore démontré), les portes de nos laboratoires sont grand-ouvertes, a dit le président français. Ainsi les scientifiques américains viendront-ils en France... Il y a certes peut-être un peu d'indélicatesse dans ce racolage en fin de discours en anglais (au passage : la France est bien l'un des rares pays où l'on s'ébaubit qu'un président parle anglais !) Mais au vu de l'inélégance du partenaire, cette incartade au bon ton diplomatique apparaît de bonne guerre. Et nombreux semblent de tout cœur française les collègues universitaires américains avec nos positions, en premier lieu ceux qui nouent de multiples échanges dans le monde.  Car, s'il est bien un milieu où rencontrer un partisan de l'actuel président américain relève de la gageure, c'est dans l'université américaine, et plus largement dans le monde de la recherche scientifique. La « Marche pour la science » du 21 avril[1] est née aux États-Unis sur cette base. Nos collègues américains parlent à cœur ouvert et pas seulement lors des conférences qu'ils viennent donner en Europe. Et, oui, certains se réjouissent de passer quelque temps loin de leur pays.

De là à les voir migrer en masse vers nos laboratoires de France... ces laboratoires qui ferment, ou qui manquent de matériel, ces unités de recherche dont les « crédits récurrents » ne sont plus, contrairement à leur nom, renouvelés, et où les tâches administratives ou de poursuite de crédits fuyants consomment une part croissante du temps dû à la recherche, tout cela pour des salaires que nos collègues trouveraient divisés par trois ou quatre (parfois plus)... Certes, leur rappellera-t-on, chacun bénéficie en France de la « Sécurité sociale » alors que les soins coûtent si cher aux États-Unis ; mais si la population qui va se voir privée d' « Obama-care » aurait là de quoi rêver, au vu des plans d'assurance dans les institutions et les fondations où officient nos collègues, cet avantage paraît, disons, moins grand. Quant à la compétition pour des financements de projets de l'Agence Nationale de la Recherche et autres institutions françaises auprès desquelles remplir toujours plus de paperasserie pour toujours moins d'élus est une nécessité, elle bien récurrente, dans les laboratoires, disons en outre que les sommes en jeu pourraient leur paraître, disons, dérisoires (il s'agit ici chaque fois d'éviter le mot « ridicule »).

Aussi l'invite du président français a-t-elle également en quelque sorte également quelque chose d'un « rêve ». Ce rêve est différent de ceux que pensent défendre le président américain et le secrétaire général du Parti communiste chinois, certes. La grandeur de la France demeure - et sa douceur de vivre. Nonobstant ces qualités renommées, venir exprès faire de la recherche en France relèvera pour nos collègues d'un acte courageux de pur militantisme. Mais c'est précisément cela qui laisse un certain espoir de  les accueillir : « la France, nous voilà ! », diront-ils ?

 (1) Gilles Campagnolo a dirigé de 2013 à 2016 pour l'Union européenne le réseau LIBEAC (« Liberalism In Between Europe And China ») et le volume collectif paru en 2016 : Liberalism and Chinese Economic Development : Perspectives from Europe and Asia (London & New York: Routledge, « Frontiers in the World Economy »). Directeur de recherches au CNRS (Groupe de recherche en économie quantitative d'Aix-Marseille), il est fréquemment invité pour son expertise au Japon, en Chine, en Corée du Sud. Il publie dans diverses revues internationales, notamment sur les sources des théories économiques (libéralisation, modernisation), leurs soubassements philosophiques et leur transfert entre mondes occidental et extrême-oriental. Il a récemment donné un grand entretien à La Tribune (22 février 2017).

[1] Voir notre billet précédent à cet égard dans La Tribune.

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