Automobile et presse écrite : le « big reset » ?

OPINION. La voiture va devenir un potentiel nouveau support de diffusion des contenus de la presse vers les lecteurs... Explications par Jérôme Doncieux, directeur général d'ETX Studio et Mathieu Gallet, président du conseil d'ETX Studio
Jérôme Doncieux et Mathieu Gallet
Jérôme Doncieux et Mathieu Gallet (Crédits : DR)

Récemment organisé au Grand Rex par La Tribune, l'événement « Tech for Future » avait pour thème « The Big reset ? ». Explication en lisant le programme : « Plus que jamais, la Tech française doit s'engager pour accélérer la transformation numérique de l'économie et de la société, la transition écologique, l'innovation à impact et développer la souveraineté de la France et de l'Europe ».

Un « big reset » qui concerne au premier chef deux industries stratégiques pour la France comme pour l'Europe avec une opportunité historique de les faire converger : l'automobile et la presse.

Le monde a en effet basculé dans la troisième ère du numérique : après l'internet écrit, puis l'internet vidéo, place désormais à l'internet vocal. C'est dans ce contexte que s'opère une convergence entre la presse écrite, en difficulté depuis plusieurs années, et l'industrie automobile qui recèle un marché média gigantesque encore largement sous exploité.

Distribuer la presse en audio

Alors que les conducteurs « particuliers » passent en moyenne 1h par jour dans leur voiture, durée qui s'élève à 5h en moyenne pour les conducteurs « professionnels », ils sont plus de 65% à considérer le temps passé en situation de mobilité comme une pure perte de temps. Imaginez alors que le temps passé à conduire devienne utile pour apprendre, informer, éduquer.

Les constructeurs automobiles (OEM) offrent aux GAFAM la possibilité d'étendre le champ de leur utilisation en mobilité via Apple Car Play ou Google Car. Mais toute la data générée par ces usages leur échappe. Seul Tesla a compris l'enjeu et le marché en développant son propre modèle de distribution et de monétisation des services embarqués. Ce qui explique entre autres sa valeur boursière.

De son côté, la presse écrite poursuit sa mutation vers le numérique. Grâce à la technologie text to speech (TTS), de nouveaux usages et de nouveaux marchés s'ouvrent à elle, notamment celui du temps passé dans les automobiles. Encore aujourd'hui, la radio traditionnelle bénéficie d'une situation de quasi-monopole au sein de l'habitacle, usage qui représente d'ailleurs 40% de son audience totale.

L'objectif des nouvelles plateformes de services embarquées dans les prochaines générations d'automobiles est précisément de transformer l'expérience à bord pour valoriser ce temps captif en situation de mobilité, tant dans l'univers privé que professionnel où l'optimisation du temps perdu devient un enjeu de rentabilité et de management (briefing, formation continue, information, etc.).

C'est dans ce contexte que nous assistons à la montée en puissance du software dans la chaîne de valeur automobile de demain, qui incluant les nouveaux systèmes audios embarqués, ne représentera pas moins de 60% de la valeur d'une voiture en 2030.

Toutefois, si l'audio est en train de devenir un élément clé de l'expérience utilisateur dans les voitures, ce n'est pour le moment pas les constructeurs automobiles qui profitent le plus de cet avènement, mais les GAFAM. Face à ce constat, les constructeurs travaillent désormais à la reprise du contrôle du marché de la data au sein de leurs véhicules, à la manière qu'a par exemple Apple de conserver le contrôle de la data qui transite par ses terminaux mobiles, en les transformant en véritables plateformes médias permettant la monétisation du temps d'attention des passagers.

Ce changement de paradigme crée également des opportunités pour les médias traditionnels, et notamment la presse dont le marché reste encore cinq fois plus important en taille que celui de la musique (112 milliards de dollars vs 26 milliards de dollars), qui peuvent étendre leur offre éditoriale à un univers et un « temps de cerveau » qui leurs étaient totalement fermés jusqu'à présent, en créant de nouveaux modèles économiques basés sur la convergence entre l'écrit et l'audio.

Accompagner la numérisation de l'automobile

Dans un récent et remarquable article intitulé « Course serrée pour le contrôle de la data automobile », le magazine Challenges citait le cabinet d'analystes GP Bullhound qui estime ce marché à 750 milliards de dollars en 2030.

Les raisons sont connues : la valeur de l'industrie automobile est en train de rapidement passer du hardware au software, de l'extérieur à l'intérieur du véhicule, d'une logique mono modale à une logique multimodale. Un complet changement de point de vue amplifié par un triple phénomène :

  • d'une part la banalisation de la motorisation électrique qui pose aux constructeurs la question de la différenciation de l'expérience,
  • d'autre part le fait que l'autonomisation des véhicules grand public prendra beaucoup plus de temps que prévu, favorisant ainsi le décollage des services connectés audio,
  • et enfin le besoin de sens exprimé par les consommateurs qui s'ennuient en voiture, veulent une expérience personnalisée et font désormais de celle-ci un facteur clef d'achat.

L'enjeu : offrir une expérience contextualisée, personnalisée et interactive. Une trilogie rendue possible en capitalisant sur les données - distance, habitudes, humeur, etc. - du véhicule, mais aussi massivement sur l'IA, tant en terme de recommandation que de génération de contenu text to speech d'une qualité telle que nous entrons vraiment dans la « société de la vraisemblance ».

À l'heure de l'IA et de ChatGPT un médium - l'audio - qui passe par un sens qu'on a un peu sous-estimé - l'ouïe - offre une opportunité de faire remonter de la valeur aujourd'hui captée par les seuls GAFAM : la data en situation de mobilité. Tout l'enjeu est désormais de faire converger l'automobile et l'audio numérique grâce à des plateformes.

Reconquérir leurs data, voilà un enjeu de souveraineté pour ces secteurs d'activité si importants pour notre économie et notre société démocratique. Juste sous nos yeux, l'audio leur apporte cette possibilité. Il suffit de tendre l'oreille pour faire ce « big reset !»

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 23/04/2023 à 18:21
Signaler
il y a une dizaine d'années j'avais fait sourire un membre de l'équipe Google qui s'occupait de voiture sans pilote en lui dressant une longue liste des nouvelles libertés que procuraient les VBots et j'en terminait par "honorer la mariée (en françai...

à écrit le 22/04/2023 à 16:17
Signaler
Si, il y a bien une chose qui devrait disparaitre par cet anglicisme de « big reset » c'est : l'automobile et la presse ! ;-)

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.