Aux Etats-Unis, les sociétés cotées vont être obligées de faire leur mea culpa climatique

OPINION. La SEC, le gendarme boursier américain, va obliger les entreprises cotés à communiquer sur leurs émissions de gaz à effet de serre et sur leur démarche pour gérer le risque climatique. Si la SEC cherche d'abord à protéger les investisseurs, c'est son rôle, cela permet également d'éliminer le greenwashing. Par Frédéric Witmeur, CYC2, Managing Director.
(Crédits : Reuters)

On trouve de tout dans la manière dont les sociétés rapportent leurs risques climatiques aujourd'hui et ce n'est pas bien pour l'investisseur qui veut investir de manière ciblée ou tout simplement estimer l'impact du risque climatique sur les activités de l'entreprise qu'il vise.

L'investisseur ne peut rien comparer : il n'est pas loin d'acheter un chat dans un sac. Le gendarme financier aux Etats-Unis veut changer les règles.

C'est la constatation de cette dernière, l'autorité américaine des marchés, la SEC (Securities and Exchange Commission). Elle  veut rendre obligatoire - dans le bilan que les entreprises doivent transmettre à la SEC - la transmission des émissions de gaz à effet de serre et la manière dont le risque climat est géré. Dans le premier cas, c'est une mesure de l'effort que devra fournir l'entreprise pour atteindre les objectifs climatiques et mener sa transition (ce qui pèsera sur ses résultats). Dans le deuxième cas, c'est une mesure de l'exposition des activités de la société au changement climatique, par sa localisation, par les produits qu'elle fabrique, les marchés qu'elle vise. Sa proposition fait grand bruit depuis sa publication.

La question n'est pas de faire pression sur les entreprises et de les rendre vertueuses. Il s'agit de permettre à l'investisseur de comprendre comment le risque climatique affecte son rendement en investissant dans telle ou telle entreprise. On est un cran plus loin que la standardisation du chapitre ESG d'un rapport annuel. Pour la SEC, la manière dont les risques climat sont rapportés ne protège pas les investisseurs : la précision et la quantité des informations est variable. Le format est varié. Ce n'est pas la même information qui est donnée selon la société. L'investisseur ne s'y retrouve pas.

Plus grave : l'entreprise ne dit, la plupart du temps, rien sur la méthodologie, les données utilisées, les hypothèses. Obliger les entreprises à divulguer les informations « climat » dans la transmission des comptes à la SEC les expose à une obligation légale forte. La SEC considère que les investisseurs ont besoin de cette information puisque le climat fait entendre sa voix dans les décisions d'allocation du capital, pas uniquement sur la gouvernance ou la manière de gérer le risque. Ne voit-on pas les modèles de risques prendre en compte les chiffres climat. Il faut qu'ils soient cohérents. Et puis, les investisseurs, dit la SEC, veulent diversifier leur portefeuille par rapport au risque climatique. S'ils ne peuvent comparer les données climatiques entre entreprises, comment peuvent-ils diversifier ?

La SEC n'est pas là pour sauver le climat

Attention, le mandat de la SEC n'est pas de contribuer au climat mais de protéger l'investisseur. Il est donc important que l'entreprise rapporte comment les risques climat peuvent impacter ou non sa performance financière. La SEC s'inquiète évidemment d'imposer un lourd fardeau administratif aux entreprises : les petites entreprises ne devraient pas rapporter leurs émissions mais, pour les autres, il est important d'imposer de la consistance, de la comparaison, de la robustesse quand les données sont rapportées.

C'est le 15 mars 2021 que la SEC a commencé a consulté le marché. Elle a reçu 600 lettres et 5.800 formulaires de tous les côtés, académiques, experts comptables, auditeurs financiers, citoyens industries, investisseurs et leurs conseillers, instances gouvernementales, sénateurs et représentants du Congrès. La SEC a estimé que les réponses reçues couvraient des trillions de dollars d'actifs. C'est représentatif (c'est le moins qu'on puisse dire). Le constat principal est la multitude des formats des reportings climatiques : il y en a trop, ce qui mène à une fragmentation des résultats. La SEC a aussi trouvé que les informations climat sur les sites des entreprises cotées étaient même plus complets que l'information officielle qui va vers la SEC sous le cadre actuel. Il y a certes eu une augmentation du nombre de sociétés qui rapportent quelque chose mais en ordre dispersé sans régularité. Cela ne sert pas à grand-chose.

Le protocole de Kyoto

Ce qui est intéressant, pour le rapportage des émissions de gaz à effet de serre, c'est le choix de du protocole GHG que fait la SEC. Il est compatible avec le protocole de Kyoto. Il est à même d'évaluer l'exposition au risque climatique d'une entreprise, y inclus les risques régulatoires, technologiques et marché dus à la transition vers une économie à bas carbone (c'est-à-dire les efforts que doit fournir l'entreprise à partir de la photo GHG). La SEC propose d'imposer le reporting des scope 1 et le scope 2 du protocole GHG.

Le scope 1 inclut les émissions qui viennent des sources sous le contrôle de l'entreprise. C'est ce qu'elle émet en direct pour son activité (machines, voitures, etc. ou les émissions de méthane pour les pétroliers). Le scope 2 ce sont les émissions qui résultent de la consommation d'électricité. Ce sont des émissions indirectes (pas dans le scope 1 donc) puisque l'électricité est achetée au producteur pour qui ce sont des émissions directes, scope 1. Le scope 3 c'est tout ce qui reste et qui n'est pas sous le contrôle de l'entreprise : c'est l'usage du produit final fait par le client.

A côté des émissions CO2 et autres gaz à effet de serre, l'entreprise devra rapporter :

- comment la supervision et la gouvernance des risques climatiques sont gérées au niveau du conseil d'administration et du comité de direction (en espérant que c'est le cas...)

- comment les risques climatiques ont un impact matériel sur le business ou sur les chiffres financiers, à court terme, long terme ou moyen terme.

- comment les risques climatiques peuvent affecter la stratégie et le business model de l'entreprise. Devra-t-elle en changer ?

- le process mis en place par l'entreprise pour identifier, évaluer et gérer le risque climatique et comment c'est intégré dans la manière de gérer les risques

- l'impact des évènements climatiques mais aussi des activités de transition sur les dépenses et les chiffres financiers.

- les émissions scope 1 et scope 2 mais aussi scope 3 si l'entreprise s'est fixé un objectif en la matière

- les objectifs climatiques de l'entreprise au cas où.

Voilà une ambition dont on aurait pu douter de la part des Etats-Unis après la période du déni climatique de Donald Trump. C'est une bonne chose pour notre planète. Codifier et mettre au pas la manière de rapporter les informations climat, c'est aussi important pour mettre fin au greenwashing.

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Pour en savoir plus: The Enhancement and Standardization of Climate-Related Disclosures for Investors, , SECURITIES AND EXCHANGE COMMISSION, 17 CFR 210, 229, 232, 239, and 249, March 2022

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Commentaires 2
à écrit le 27/03/2022 à 5:26
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Un coup de pub pour la silicon valley qui ne fabrique rien (hors Intel) mais qui consomme du travailleur détaché...

à écrit le 26/03/2022 à 10:33
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Sachant que même des milliers de mea culpa ça ne mange pas de pain.

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