Cadres dirigeants : la vie (professionnelle) est ailleurs ?

OPINION. Les cadres ont-ils le blues ? Ont-ils parfois l'impression d'exercer un "bullshit jobs" ? Ces questionnements, qui depuis quelques années traversent le monde du travail et par extension l'ensemble de la société française, méritent sans doute d'être nuancés. Par Anne Cudkowicz et Gwënola Dubois-Dorkel, toutes deux directrices générales Arthur Hunt Transition.
Anne Cudkowicz et Gwenola Dubois-Dorkel.
Anne Cudkowicz et Gwenola Dubois-Dorkel. (Crédits : DR)

C'est en tout cas ce à quoi nous invite la dernière enquête réalisée par l'IFOP pour le compte du cabinet Arthur Hunt en partenariat avec l'agence Bona fidé. Quelque chose dans le climat qui entoure la question du travail a changé, et les cadres et dirigeants n'échappent pas à la règle.

"Je vais bien, mais je m'en vais"...

L'enquête menée auprès de 500 cadres dirigeants et encadrants fait apparaître un certain nombre de résultats surprenants.

À commencer par celui-ci : ils sont 84% à estimer que la transformation de l'entreprise est une nécessité pour adapter cette dernière à un environnement - économique, concurrentiel, technologique - mouvant. 76% jugent que la transformation a été bien menée au sein de leur société au cours de dernières années. Une manière de battre en brèche cette idée reçue selon laquelle le management intermédiaire représente une force de résistance au changement...

Autre chiffre parlant : 84% disent avoir une bonne image de la direction de leur entreprise, et 87% sont satisfaits de leurs relations avec leur supérieur hiérarchique direct.

Bref, le portrait que dresse l'étude est celui d'un cadre investi, épanoui, bien intégré dans son entreprise et en accord avec le chemin sur lequel cette dernière est engagée. Tout semble aller pour le mieux. Et pourtant... Ils sont 58% à confesser être tentés de poser leur démission ! Quelque chose cloche, mais quoi ?

Quand les jeunes diplômés montrent la voie

Le cadres n'ont pas l'air mal dans leur peau et dans leur boulot, mais ils ont tout de même des envies d'ailleurs. C'est donc qu'ils ne sont pas repoussés par leur expérience professionnelle quotidienne, mais plutôt aspirés par autre chose. Par quoi ? Quel que soit leur âge, quel que soit leur niveau de responsabilité, les cadres et dirigeants ne sont évidemment pas imperméables aux débats et aux mutations culturelles qui agitent la société.

Ainsi - et c'est là un autre enseignement surprenant de l'enquête - les qualités valorisées chez un dirigeant d'entreprise sont désormais plutôt d'ordre éthique que technique. Le respect des collaborateurs (69%) et l'éthique et l'honnêteté (68%) se classent en tête des qualités jugées « très importantes », bien avant le leadership, la vision stratégique, les compétences et la capacité d'innovation. Nous n'aurions certainement pas eu les mêmes réponses il y a vingt ans. Aujourd'hui, il existe une véritable exigence morale vis-à-vis des entreprises, qui n'émane pas uniquement des consommateurs, mais également des collaborateurs et collaboratrices appelés à exercer des responsabilités de premier plan.

C'est que la « grande démission » est sans doute avant tout le symptôme d'un nouvel imaginaire du monde du travail. Les 58% de cadres et dirigeants qui songent à aller voir ailleurs ne sauteront certainement pas tous les pas.

Mais ils sont manifestement gagnés par le doute. La preuve ? 77% disent comprendre les diplômés des grandes écoles - Polytechnique, HEC, Sciences Po, etc. - qui ont manifesté haut et fort leur refus de suivre une carrière toute tracée dans des entreprises jugées responsables de la crise climatique actuelle. Ce chiffre n'est pas anodin : en temps normal, on se figure plus facilement des jeunes engagés, parfois radicaux, appelés à rentrer dans le rang à mesure qu'ils avancent en âge, et jugés comme tels par leurs aînés. Rien de tout cela ici : ce sont les jeunes qui redéfinissent les représentations liées au travail, et les plus expérimentés qui suivent... Un signe des temps, sans doute.

Partir oui, mais pour quoi faire ?

Si les motivations des cadres et dirigeants à changer de voie sont à peu près claires, c'est leur destination qui l'est moins. Il est peu probable qu'ils rêvent de partir dans une ville moyenne pour se reconvertir dans l'artisanat comme les premiers de la classe révoltés décrits par le journaliste Jean-Laurent Cassely.

Plus sages, ils envisagent plutôt de créer une entreprise (40%) ou de continuer à exercer leur activité en free-lance (39%). Et comme la perspective de se lancer seul quand on fait toute sa carrière dans un grand groupe peut avoir quelque chose d'intimidant, devenir manager de transition peut alors devenir une option attractive. D'où les transformations en cours du métier de manager de transition. Autrefois, un manager de transition était plutôt un cadre expérimenté, en fin de carrière, qui faisait bénéficier à l'entreprise en difficulté de sa longue expérience.

Aujourd'hui, le métier se rajeunit, et n'est plus perçu comme une activité liée aux seules situations de crise (40% estiment qu'ils sont « autant utiles pour une entreprise en période de croissance qu'en période de crise », contre 18% qui jugent « qu'ils sont d'abord utiles pour une entreprise en période de crise ») mais comme un vrai levier de développement. Dans un contexte où le rapport au travail se modifie, où les carrières ne sont plus linéaires, où l'éthique compte, le management de transition se constitue en une solution d'avenir, tant pour les cadres et leurs aspirations individuelles à une vie professionnelle « plurielle » que pour les entreprises, en palliant leurs difficultés de recrutement.

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(*) Biographies :

  • Anne Cudkowicz - Elle a débuté son parcours professionnel au sein d'un cabinet de chasse spécialisé en recrutement de cadres Dirigeants puis pendant sept ans, a créé et développé, en tant que manager la division Marketing & Commercial au sein d'expectra (Groupe Randstad).
  • Gwenola Dubois-Dorkel - Après 10 années comme consultante puis manager chez Expectra (Groupe Ranstand), elle devient Partner en 2017 et prend la Direction Générale de l'activité en 2019.

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