Campagne présidentielle : et si l'on s'intéressait à la santé ?

Troisième préoccupation des Français, la santé est la plupart du temps absente des campagnes présidentielles. Pourtant les sujets de débat, les pistes pour une amélioration de la situation, sont nombreux. Par le Professeur Michaël Peyromaure, hôpital Cochin (Paris)

La santé n'est jamais un enjeu majeur des campagnes électorales. Dans une enquête réalisée en 2012, elle représentait pourtant la troisième préoccupation des français, derrière l'emploi et le pouvoir d'achat. Trois quarts des personnes interrogées considéraient que les candidats à l'Elysée sous-estimaient son importance.

En 2017, la santé pourrait cette fois-ci s'inviter dans le débat électoral, car une crise sanitaire s'est rapidement installée en France. Nous découvrons que le pays est truffé de déserts médicaux, que les médecins délaissent l'activité libérale, que nos hôpitaux souffrent et que nos plateaux techniques sont dépassés. Notre système de soins, autrefois considéré par l'Organisation Mondiale de la Santé comme l'un des meilleurs au monde, s'est beaucoup dégradé. Quelles sont les causes du malaise ? Pour les patients, le plus gros problème vient de la pénurie de médecins, dont les départs en retraite ne sont pas remplacés. Pour les médecins, il vient de nos gouvernants, qui n'ont cessé de les rabaisser et de les assujettir à l'Etat.

 Remettre les médecins au cœur du dispositif

Réformer l'organisation et le financement de l'Assurance maladie est une priorité absolue, mais le sujet est techniquement complexe et a peu de chances de passionner le grand public. Les candidats à la présidentielle devront surtout répondre à la question suivante : comment améliorer l'accès aux soins ?

Au lieu de renforcer encore et encore la bureaucratie administrative, si l'on essayait, pour une fois, de remettre les médecins au cœur du dispositif ? Après tout, le redressement sanitaire du pays ne pourra pas se faire sans eux, encore moins contre eux. Trois pistes pourraient être proposées, simples et concrètes : augmenter le nombre de médecins, leur rendre certaines libertés, revaloriser leur rémunération.

Revoir le numerus clausus

La forte baisse du numérus clausus dans les années 80-90, puis le mécanisme incitatif à la cessation d'activité, permettant d'abaisser jusqu'à 57 ans le départ à la retraite des médecins, ont causé beaucoup de tort. Il faut donc avant tout augmenter sensiblement le numerus clausus. Même si le nombre de praticiens n'a jamais été aussi élevé (plus de 280.000 inscrits à l'Ordre), il ne compense pas le vieillissement de la population. Or, le numérus clausus stagne depuis 10 ans autour de 7500, alors qu'il avoisinait les 9000 à la fin des années 70. Certains pays, comme l'Allemagne et les Etats-Unis, ont fait le choix d'un barème beaucoup plus large, voire supérieur aux besoins estimés.

Et pour éviter qu'en fin de cursus les installations ne se concentrent dans les mêmes villes, pourquoi ne pas revenir à un concours de l'internat régionalisé ? Les futurs internes auront davantage tendance, comme c'était le cas avant la création de l'Examen Classant National, à s'implanter dans leur région d'origine.

Moins de 10% des jeunes s'installent en cabinet

Il faut aussi redonner aux médecins le goût d'exercer. Le contrat de «Praticien Territorial de Médecine Générale», présenté par Marisol Touraine, garantissant 6.900 euros bruts par mois et une meilleure protection sociale en échange de 165 consultations par mois, est à la fois méprisant et illusoire. A-t-on déjà vu un projet aussi jacobin, qui infantilise autant le corps médical ? Quel médecin peut croire que dans une zone reculée, il aura besoin de l'État pour gagner sa vie ? La médecine libérale n'a de libéral que son nom : les compléments d'honoraires sont interdits aux généralistes, les charges et les règlementations augmentent. Pour exemple, l'obligation de mettre aux normes « accessibilité » les cabinets pour les personnes handicapées. Objectif louable, mais comment faire ?

Ou le tiers payant généralisé, mesure purement démagogique, dont personne n'a exprimé le besoin, et qui n'aura aucun effet sinon d'imposer aux professionnels de nouvelles contraintes administratives. Ne soyons pas surpris si moins de 10% des jeunes s'installent en cabinet.

Quant à l'hôpital public, il n'est pas mieux portant. L'obsession des normes a balayé les projets de soins et de recherche. Le regroupement des services en pôles devait créer des liens entre soignants et administratifs, mais les responsables de pôles n'ont aucune marge de manœuvre. C'est la direction qui répartit les budgets, selon son bon vouloir et en toute opacité. A l'Assistance publique, les strates décisionnelles sont tellement complexes que plus personne ne sait à qui s'adresser. Résultat : plus de 20 praticiens quittent désormais l'institution chaque année. Rendre aux médecins un tant soit peu de liberté devient vital. En privé, en cessant de leur imposer des contraintes, et en leur laissant le choix du secteur 2 pour qu'ils puissent au moins embaucher des secrétaires. A l'hôpital, en confiant aux équipes le budget dont elles ont besoin pour recruter, s'équiper, mener leurs recherches.

La consultation à 23 euros, une honte nationale

Enfin, la rémunération. Un généraliste français gagne 2,4 fois le salaire moyen (son confrère allemand, 4 fois). La consultation à 23 euros, l'une des plus basses d'Europe, est une honte nationale, vexatoire et coûteuse : comment ne pas bâcler et multiplier les consultations quand elles sont aussi mal rétribuées ? Il faut relever les tarifs et les adapter à la complexité des cas traités. Serait-il exagéré de payer 40 euros pour une consultation standard, 50 pour une affection lourde, 60 pour une urgence ?

De nombreux pays ont opté pour une rémunération progressive et diversifiée (une partie se faisant par capitation), plus pertinente et moins inflationniste. Mieux encore : dans ceux qui figurent en haut des classements, comme les Pays-Bas, la Suisse ou l'Allemagne, les honoraires sont majorés dans les déserts médicaux. Il faut dire que les caisses d'assurance y sont multiples, autonomes, et souvent excédentaires. A l'opposé de la France, où le régime est centralisé, monopolistique, et constamment déficitaire !

Alain Juppé aura du mal à convaincre les médecins

Le système ne pourra se redresser qu'avec des médecins plus heureux. Ils ne réintègreront les déserts médicaux qu'en étant plus nombreux, moins contraints et mieux payés. Les futurs candidats à l'élection présidentielle doivent comprendre que ni les mesures coercitives, ni les mesures faussement incitatives venant d'«en haut» ne porteront leurs fruits. Pour l'instant, François Fillon est le seul à faire passer ce message. Il est d'ailleurs le seul à avoir élaboré un programme détaillé pour la santé, fondé notamment sur la revalorisation des soignants. Sur ce dernier point, Alain Juppé aura du mal à convaincre les médecins, lui qui les a tellement brimés par le passé.

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Commentaires 5
à écrit le 15/06/2016 à 8:33
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Belle analyse, qu'on aimerait lire et entendre plus souvent, notamment de la part de la "représentation syndicale" des médecins et de l'Ordre des médecins. François Fillon se penche sur la question et s'y intéresse : et bien tant mieux, j'ose même di...

à écrit le 14/06/2016 à 19:24
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C'est vrai que FF a publié un projet pour la santé. Un projet d'ailleurs assez complet mais avec des idées étatiques. Et BLM s'est lancé il y a qq jours avec qq idées. Le projet d'AJ arrivera bientôt, j'en suis persuadé. Voici qq remarques sur le...

à écrit le 14/06/2016 à 15:25
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"Troisième préoccupation des Français" ?. La première et seule préoccupation des politiques, c'est d'être élus. Quelle idée aussi de tomber malade :-)

à écrit le 14/06/2016 à 8:38
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L'article oublie qu'il faut pouvoir bénéficier d'une couverture santé correcte pour moins de 250 euros par habitant et par mois. Est-on prêt à augmenter la CSG pour augmenter à ce point le prix de la consultation ? Toute la question est là...

à écrit le 14/06/2016 à 8:11
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Enfin un bon papier sur l'énorme problème qui touche notre système de santé ! Â diffuser

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