Ces années 30 qui hantent l'Europe

En forçant à la convergence des économies à la compétitivité notoirement dissemblable, l'euro a affaibli les pays du noyau dur européen. D'où cette crise qui n'en finit pas, semblable à celle des années 30. Par Michel Santi, économiste

Avant l'adoption de l'euro, une nation européenne gagnait en compétitivité par la dévaluation de sa monnaie nationale qui dopait provisoirement ses exportations en donnant au pays en question l'illusion de se mesurer à l'Allemagne. Un pays comme l'Italie aimerait aujourd'hui user de cette arme de la dévaluation afin de tenter de contrebalancer les niveaux de productivité allemands tout en redonnant au passage de l'oxygène à son économie. Car l'argument maintes fois brandi, selon lequel l'euro a été un rempart qui a évité la catastrophe à certaines nations fragilisées et qui a établi une zone de stabilité au sein des pays de l'Union, est désormais caduc. L'abandon des monnaies nationales n'a fait en réalité que déplacer le problème tout en l'aggravant au passage. Le risque devise fut tout bonnement remplacé par le risque crédit avec, en filigrane, le défaut de paiement de certains pays de l'Union.

Le côté sombre de l'Union européenne

Le constat est aujourd'hui sans appel car l'Union ne pourra être maintenue que si l'Allemagne consent à en payer le prix par un transfert de richesses en faveur de certaines nations nécessiteuses. La sempiternelle rengaine du « plus d'Europe » n'est donc plus audible parmi les Européens et la résolution de la crise ne passera certainement pas par davantage d'intégration européenne. Voilà pourquoi les vicissitudes économiques de l'Union déboucheront sur une période de turbulences politiques et démocratiques. Les dirigeants allemands ne répètent-ils pas inlassablement que « ce n'est pas parce que l'on a les extincteurs qu'ils seront forcément utilisés pour éteindre l'incendie »? L'Union européenne dévoile désormais son côté sombre, marqué bien plus par la peur que par la fierté de ses liens commerciaux et économiques générateurs de valeurs ajoutées. L'Europe de l'abolition des barrières douanières et des frontières, celle qui s'était plongée à corps perdu dans un ultra- libéralisme qu'elle croyait salvateur s'efface sous nos yeux devant une mosaïque de pays dont toute confiance en l'avenir s'évapore.

L'échec du modèle ultralibéral européen

Cette crise n'est pas seulement financière car elle consacre l'échec du modèle ultralibéral européen. Les pères fondateurs de la Banque centrale européenne (BCE) focalisèrent toutes les énergies vitales de leur institution sur la quête et sur le maintien d'une stabilité des prix érigée au rang de Graal. L'économiste allemand Otmar Issing, membre du premier conseil d'administration de la BCE, et son premier président le Hollandais Wim Duisenburg prirent le parti d'attacher leur banque centrale au mât de la sacro-sainte lutte contre l'inflation, au mépris de la croissance et de l'emploi. C'est cette tare congénitale qui est responsable du déclenchement de la crise subie par l'Union et c'est cette superstructure qui est aux sources de son amplification.

Comment les fondateurs de la monnaie unique espéraient-ils faire tenir une construction si fragile adossée à des nations économiquement, politiquement et institutionnellement si divergentes, hors de tout mécanisme de compensation et d'entraide ? Par la seule vertu de l'équilibre budgétaire ? En renonçant à la précieuse flexibilité conférée par une devise souveraine (librement imprimable), en abdiquant leur politique monétaire (la définition de leurs taux d'intérêt), en forçant à la convergence des économies à la compétitivité notoirement dissemblable, l'euro a affaibli les pays du noyau dur européen. En outre, il a rendu inévitable la formation de bulles spéculatives dans les pays périphériques qui ne pouvaient plus désormais compter que sur ces excès pour entretenir leur activité économique. Ainsi, les tourmentes financières de l'Union sont-elles le symptôme profond du mal endémique de la construction européenne ayant relégué au second plan croissance et emploi.

Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est conseiller en investissements sur le marché de l'art et Directeur Général d'Art Trading & Finance. Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience", "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique" et de "Misère et opulence".

A paraître en septembre chez « Lignes de repères » : « Plus de Capital au XXI è siècle », préfacé par Philippe Bilger.

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Commentaires 13
à écrit le 28/10/2016 à 18:10
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Petite précision: la taxe de 20% assortie d'un crédit d'impôt serait calculée en 1er et incluse dans l'indexation de la masse salariale, seule la participation effective de l'entreprise étant déductible des 50 %. Cela éviterait le scandale des interm...

à écrit le 28/10/2016 à 18:04
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Récapitulation: Les taux d'intérêt bas permis par l' Euro ne sont plus en cause et ne suffisent pas non plus pour empêcher la déflation qui menace et relancer la croissance en panne. Cette déflation est due à la mondialisation ou libre échange ave...

à écrit le 26/10/2016 à 18:56
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Je ne suis pas d'accord avec Michel Santi sur ce point des dévaluations. Je l'approuve en ce qui concerne l'avantage indu tiré par L' Allemagne de l' euro ou monnaie commune, sans normes sociales et impôts communs. Mais il faut situer le problème bi...

à écrit le 26/10/2016 à 18:50
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Au sujet des 233 taxes ou impôts une correction : c'est "233 prélèvements..." à taper sur la fenêtre en haut à droite sur Google, sujet remontant au 16 Juillet dernier et vu par plus de 8000 internautes, avec encore 50 chaque jour , donc notés en mar...

à écrit le 26/10/2016 à 18:29
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En 1995 Alain JUPPÉ répondit à Giscard et Séguin, pourtant séduits par mes idées, et qui demandaient une dévaluation du Franc, " Un pays qui dévalue s'appauvrit". Cette phrase figurait dans une réflexion sur le commerce international que je lui ava...

à écrit le 06/09/2016 à 11:51
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Santi est à coté de la plaque comme (presque) toujours. Il n'a visiblement pas appris la lécon des années 30 non plus ou l'ancetre de l'euro (l'étalon or) a explosé, provoquant exactement ce que Santi appelle de ses voeux (dévaluation afin de se refa...

à écrit le 05/09/2016 à 15:51
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Hors d'Europe, des économistes de renom tiennent un discours qui va dans le même sens qu'ici. Mais un dogme imbécile, imposé sous la férule germanique par des élites aveugles ou malhonnêtes, un dogme a décrété un "voyage au bout de l'enfer" du maelst...

le 06/09/2016 à 11:56
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Vous parlez de Stiglitz et Krugman? Ce sont tous deux de brillants economistes DANS LEUR DOMAINE DE SPECIALITE. Aucun des deux n'est specialiste de la politique monétaire et aucun des deux ne comprend l'Europe (amusez vous a relire les écrits de Krug...

à écrit le 05/09/2016 à 14:32
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"En outre, il a rendu inévitable la formation de bulles spéculatives dans les pays périphériques " Oui mais on peut vous repondre que cela vaut aussi pour les US et asie, en ce qui concerne les "secteurs péripheriques" comme l'art moderne ( ;-) ) ...

à écrit le 05/09/2016 à 12:20
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Encore une analyse remarquable, merci à vous. Maintenant je ne pense pas qu'il faille montrer les allemands du doigt ils ont simplement profité de la faiblesse désastreuse des institutions européennes afin de faire fructifier leur propre économie...

le 05/09/2016 à 14:04
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Un politicien pense d'abord à être réélu et flatte SON électorat. La seule façon d'arriver à ce que les politiciens se préoccupent de l'intérêt général des européens est de les faire élire par tous les européens.

le 05/09/2016 à 15:37
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@ un physicien : +1

le 05/09/2016 à 16:46
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à physicien: c'est une bonne idée, j'ai toujours dis que je trouverais les élections européennes crédibles que lorsque je pourrais voter pour Syriza ou podemos par exemple. Maintenant j'ai bien peur que nous soyons ayons largement dépassé ce stad...

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