Chute du Credit Suisse : la gueule de bois pour les actionnaires... et les Suisses

ANALYSE. Le sauvetage du Credit Suisse, et son rachat par sa compatriote UBS, est l'épilogue d'une succession de dérives et d'accumulation de pertes depuis des années. La chute de cette institution jadis prestigieuse va peser sur les actionnaires, les employés et les contribuables suisses mais aussi entacher la réputation financière du pays. Par Jean-Jacques Handali, directeur et administrateur de Cosmopolis Conseil (Genève).
(Crédits : Reuters)

Lorsqu'on se penche sur la récente trajectoire du Credit Suisse (CS), la première chose qui interpelle est son casier judiciaire ! Aussi étrange que cela puisse paraître, cette banque, jadis considérée comme solide et fiable, voire prestigieuse, n'a cessé de se fourrer dans les coups les plus tordus et d'acquitter les amendes les plus salées.

Ainsi, l'avait-on vu enfreindre les embargos iraniens et soudanais, blanchir l'argent de la mafia bulgare, détourner plusieurs milliards du fonds souverain malaisien, manipuler le cours des devises, contribuer à la corruption de la société pétrolière brésilienne Petrobras, etc.

Le CS s'était également distingué - toujours pour les mauvaises raisons - dans les fonds spéculatifs du type Archegos, avec une perte de 5 milliards de dollars. On se souvient, par ailleurs, que la banque avait pris des risques excessifs dans le marché immobilier américain, qui s'est effondré en 2008, avant de provoquer une crise financière mondiale. En 2019, le CS avait lancé une entreprise de prêts appelée Greensill Capital. Cette société était censée utiliser les fonds avancés par la banque pour financer des factures en souffrance de grandes entreprises. Cependant, il est apparu que les factures étaient en réalité fictives ou falsifiées ! De quoi creuser davantage encore le déficit de la banque.

Que faisaient donc les contrôles internes ? Comment ne pas mettre en parallèle ces décisions fantasques au sommet de l'institution, avec les dispositions d'un compliance souvent exigeant et tatillon envers ses clients ? Il y a manifestement deux poids deux mesures dans la manière d'imposer des contraintes à autrui, et celle de les mettre en pratique pour soi.

Huit restructurations en 12 ans

Pourtant, la banque avait tenté de réagir : huit restructurations en 12 ans et des annonces de lendemains prometteurs à chaque métamorphose ! Une succession d'administrateurs, de pedigree différents, s'est pressée à sa tête. Or, au lieu de se focaliser sur les activités bancaires traditionnelles et la sécurité à long terme de ses clients et investissements, les dirigeants du CS semblent avoir poursuivi leur quête de profits à tout prix et de profits à court terme. D'aucuns vont jusqu'à accuser la direction américaine d'avoir « poussé les règles à l'extrême, triché et empoché des bonus. » Si ces managers de l'étranger avaient dans l'idée d'affaiblir cette institution, vieille de près de 170 ans, ils ne se seraient pas pris autrement !

Si le rachat par l'UBS peut (momentanément) rassurer certains quant à l'endiguement de la crise financière, le nombre de lésés demeure important. Au premier rang, les actionnaires. En 5 ans, leur titre aura cédé 95% de sa valeur. Ils n'ont pas eu le loisir de s'exprimer sur ce rachat. Il semblerait que seuls quelques actionnaires de poids (Saudi National Bank) ait été consultés avant l'annonce de fusion.

Ensuite, il y a les caisses de pension. On estime la diminution de valeur de leurs portefeuilles à plusieurs centaines de millions de francs. Elles non plus n'ont pas été alertées sur ce qui se tramait dans les coulisses du Conseil fédéral. Elles, ou plutôt leurs assurés, devront supporter la décote.

Les détenteurs d'obligations AT1 ont vu le cours de leurs titres chuter à zéro. Leurs pertes sont estimées à quelques 16 milliards de francs. Ces instruments hybrides, entre titres de propriété et titres de dettes, furent lancés durant la crise financière de 2008. Ironie de l'histoire, leur vocation devait permettre aux banques de lever du capital, selon leurs besoins.

Il ne faut pas oublier les milliers d'employés susceptibles de perdre leur emploi suite à la fusion des deux groupes. De tristes déraillements de carrière.

Enfin, le contribuable est mis à contribution, si l'on peut dire. La Confédération a garanti les 100 milliards de francs suisses mis à disposition par la BNS pour parachever le projet de rachat. Face aux naufrages financiers des grands groupes bancaires, le contribuable est toujours le dindon de la farce. Il doit systématiquement mettre la main à la poche pour éviter le risque systémique qu'il n'a pas provoqué. Il demeure l'éternelle victime de la formule « face je gagne, pile tu perds ».

Gardons-nous de jeter la pierre au Conseil fédéral. Sa mission était d'éteindre le feu. Un feu qui avait commencé avec la déroute de la banque SVB en Californie et qui menaçait d'emporter le réseau bancaire international dans sa course, dans un vent de panique. Le Conseil fédéral a agi vite et au mieux de ses capacités. Il était animé par la sauvegarde des intérêts du pays.

Des bonus sans faire de bénéfices

Le management a commis des fautes graves. Il a retenu des modèles d'affaires incompréhensibles. Il s'est fait une spécialité de distribuer des bonus sans faire de bénéfices. Dans la Rome antique, un architecte était tenu de dormir sous le pont qu'il avait construit pendant six mois. En cela, il était garant de son travail et associé au résultat. Durant plus de 20 ans, la direction du CS n'a pas su mettre en place une politique d'entreprise. Elle s'est contentée d'une culture de sables mouvants. Le conseil d'administration a remanié les personnes à la tête de l'entreprise. C'est à un remaniement des enjeux qu'il aurait dû s'atteler.

Par leurs attitudes et politiques successives, ces mêmes dirigeants semblent avoir aggravé davantage le schisme qui les sépare des salariés. Autant l'élite s'est révélée mobile, lointaine, cynique, obsédée par le court terme, autant le personnel était attaché à un certain enracinement, à certains idéaux immuables, à une respiration à long terme. L'élite était prête à sacrifier la poule pour s'octroyer un morceau de blanc. La troupe privilégiait son œuf à la coque tous les matins.

Au-delà, ce sauvetage réalisé dans l'urgence, porte la marque d'un revers affligeant. C'est l'image de stabilité de la Place financière suisse qui sort abîmée de cet épisode. La perte de cette institution légendaire est une catastrophe économique pour le pays. La perte du mythe qu'elle véhiculait en accentue la défaillance. Cette dernière est perçue comme un drame identitaire. Comme une entaille. Le CS n'était pas seulement l'un des traits qui décoraient le paysage de l'économie suisse. Il était l'un des monuments qui en définissait le contour. Le pays semble saisi par le vertige. Il doute. Il pressent comme une rupture de contrat. Jusque-là, ses réflexes et ses principes séculaires l'avaient protégé de ce genre de catastrophe. Aujourd'hui, il s'interroge sur les repères qui cèdent autour de lui.

Oscar Wilde avait un jour écrit : « L'erreur de Louis XIV, c'est qu'il a cru que la nature humaine serait toujours la même. Le résultat de son erreur s'appelle la Révolution française. » Les mauvaises gestions portent toujours en elles quelque chose d'inexorable. La chute du Credit Suisse aura-t-elle entamé le crédit de la Suisse ?

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Commentaires 2
à écrit le 06/04/2023 à 8:15
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Je suis dans les perdantes .. 10’000 francs à la trappe! Pas beaucoup en comparaison avec d’autres mais je suis retraitée alors vous comprendrez ma déception ! Je félicite l’auteur de l’article qui donne un bilan objectif de cette déroute ! J’en veux...

à écrit le 05/04/2023 à 5:10
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Excellent article. Très informatif et compréhensible.

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