Comment la science économique explique la réticence vaccinale française

OPINION. Les théories sur les décisions des individus permettent de lier les hésitations à une faible confiance envers les autres, une tendance particulièrement présente en France. Par François Langot, Le Mans Université (*)
(Crédits : Reuters)

La crise du Covid a permis d'observer comment les individus font des choix dans un environnement risqué, voir incertain. C'est en particulier le cas de la vaccination pour lequel deux risques sont en concurrence : être infecté ou subir des effets secondaires de la vaccination. Comment expliquer et donc prévoir ces intentions de vaccination ?

Avant que la population n'ait accès à la vaccination, un grand nombre de personnes n'avaient pas l'intention de se vacciner. Fin novembre 2020, les Français qui étaient très fortement touchés par la pandémie avec 787 décès par million d'habitants, contre 873 au Royaume-Uni et 200 en Allemagne, avaient les intentions de vaccination les plus faibles avec seulement 47% des sondés, contre 77% pour les Britanniques et 65 % pour les Allemands. Ce chiffre est remonté depuis, tout en se maintenant sous le niveau enregistré dans les autres pays.

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Compte tenu de la possibilité de mourir du Covid-19 et de la disponibilité de vaccins, les modèles de choix basés sur l'utilité espérée, outil standard de la théorie de la décision, prédisent toujours que la vaccination est préférée, malgré ses possibles effets secondaires.

En effet, comme le « coût » prévisible des effets secondaires reste inférieur aux coûts prévisibles de la maladie, tout le monde devrait choisir de se faire vacciner. Dès lors, comment expliquer la paradoxale faiblesse des intentions de vaccination ?

Surpondérations des faibles pertes et des faibles probabilités

La théorie des perspectives est capable de résoudre ce paradoxe. Basés sur des traits de caractère très bien référencés en psychologie, les mécanismes déterminant les choix sont intuitifs, surtout lorsqu'on analyse une décision affectant la santé.

Tout d'abord, les individus ont tendance à évaluer leurs actions en écart à un point de référence. Dans le cas de la vaccination, cette référence est la bonne santé, état qu'ils ont avant la vaccination et sans être infecté par le coronavirus. Ils sont aussi davantage sensibles aux pertes par rapport à cette référence qu'aux gains, ce qui amplifie la perception des coûts de toute maladie (infection ou effets secondaires). Mais surtout, les pertes induites par de très faibles détériorations de l'état de santé sont mieux perçues (surpondérées) que celles liées à de très fortes détériorations : les faibles pertes induites par les effets secondaires peuvent avoir un impact plus important sur les choix que la perspective de pertes élevées induites par la maladie, voire la mort.

Au-delà de l'évaluation des pertes et des gains, les individus ont aussi tendance à déformer les probabilités objectives (c'est-à-dire les risques mesurés par les expériences scientifiques), en surpondérant les faibles probabilités, donc en l'occurrence les effets secondaires. Ainsi, si les préférences des agents surpondèrent à la fois l'évaluation des petites pertes et leurs petites probabilités d'occurrence, alors la vaccination peut être rejetée par certains individus, même si les risques concernant effets secondaires restent très limités.

Si la balance « bénéfice-risque » semble biaisée en faveur des risques associés à la vaccination, plus fortement pondérés dans la psychologie humaine, d'autres facteurs peuvent au contraire renforcer l'évaluation des bénéfices et alors expliquer l'acceptation de la vaccination.

C'est en particulier le cas d'une valorisation élevée du bien-être à long terme, ou encore d'une valorisation de la participation à l'immunité collective. Ces deux traits psychologiques peuvent faire pencher les individus qui les ont en faveur du vaccin.

Ainsi, un modèle intégrant le risque, le temps et le goût pour la coopération semble approprié pour prédire les intentions de vaccination.

Un article de recherche récent montrait que ce type de préférences permettait de très bien expliquer les observations d'une enquête originale réalisée par les auteurs sur un échantillon représentatif de Français, fin novembre 2020.

L'utilisation de cette enquête permet d'identifier l'hétérogénéité des préférences au sein de la population grâce aux réponses des sondés à différentes situations de choix financiers. Il est alors possible d'estimer, pour chaque individu, sa perception de la valeur des gains et des pertes, sa patience et son appétence à la coopération.

Question de confiance

Une fois estimé, ce modèle permet de prévoir 85 % de l'évolution des intentions de vaccination entre novembre 2020 et mars 2021, à la suite des évolutions des taux de mortalité, et donc des risques entre ces deux dates.

Au-delà de la France, et en supposant que les préférences des individus des grands pays de l'OCDE sont les mêmes, ce modèle montre qu'une valorisation de la vaccination comme bien commun, spécifique à chaque pays, permet d'expliquer les écarts d'intentions de vaccination observés entre la France (47 %), l'Allemagne (69 %), l'Italie (65 %), l'Espagne (64 %), le Royaume-Uni (79 %), le Canada (76 %), le Japon (69 %) et les États-Unis (64 %).

Cette plus faible valorisation du bien commun en France, par rapport à ce que l'on mesure pour l'Allemagne, le Japon ou le Canada, est à rapprocher de la faible part des Français ayant confiance dans les autres individus, en comparaison avec ce qui est observé en Allemagne, au Japon ou au Canada.

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La part inexpliquée des différences internationales peut alors être due à la polarisation des opinions politiques, exacerbant la méfiance envers les experts. En effet, en France, ceux qui avaient voté pour un candidat d'extrême gauche ou d'extrême droite à l'élection présidentielle de 2017 étaient 67 % à déclarer qu'ils refuseraient le vaccin, contre 19 % pour ceux qui ont voté pour les partis de centre-gauche et de centre-droit.

Aux États-Unis, 44 % des Républicains contre 81 % des Démocrates accepteraient la vaccination contre le Covid. Au Canada, en Allemagne ou au Japon, ces oppositions liées aux opinions politiques extrêmes restent beaucoup moins vives.

Communiquer sur une action collective

En termes de politique publique, ces résultats indiquent que les autorités doivent faire très attention à la formulation de leur communication, en particulier lorsque la notion de risque est au centre des choix.

Ainsi, une baisse significative des intentions de vaccination apparaîtrait si les médias évoquent la « controverse sur la sécurité des vaccins » plutôt que s'ils affirment qu'il n'y a « aucun effet indésirable observé ».

La première formulation utilise en effet l'impossible absence d'erreur statistique inhérente à toute expérience scientifique pour mettre en scène une pseudo-controverse, alors que la seconde sous-entend que tout résultat scientifique doit être compris avec la mention « statistiquement significatif ».

Mais il est clair qu'avec les préférences présentées plus haut, un doute, même infinitésimal, peut conduire au rejet de l'action.

La communication menant à la prise de conscience d'une initiative visant le bien de la collectivité reste aussi primordiale. On observe ainsi une augmentation significative des intentions de vaccination lorsque l'on précise que « la plupart de vos collègues sont vaccinés », ou que « en me vaccinant, je participe à la lutte contre l'épidémie », ces deux formulations éveillant l'intérêt de participer à une action collective.

The Conversation ______

 (*) Par François Langot, Professor in Economics, Le Mans Université

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 19
à écrit le 17/10/2021 à 4:04
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Plus de 67 % des francais approuvent les vaccins pass et les chaines qui vont avec. Pays de breles.

le 18/10/2021 à 10:33
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Vous ne l'avez peut-être pas remarqué, mais les chaines, ce sont les non-vaccinés qui les portent. Les vaccinés font absolument tout ce qu'ils faisaient auparavant et en plus gratuitement.

le 19/10/2021 à 8:57
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@Eric "Les vaccinés font absolument tout ce qu'ils faisaient auparavant et en plus gratuitement. " Gratuitement ! , la campagne de vaccination contre la Covid-19 aura coûté presque tout autant que les tests de dépistage à la Sécurité sociale, s...

à écrit le 16/10/2021 à 16:27
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Selon votre analyse, les extrêmes (droite et gauche) définis par le carcan républicain ne réfléchissent pas et sont plus égocentrique et ne pense pas à l'intérêt général contrairement aux centristes (positionnement politique du « je vote ce que me di...

à écrit le 16/10/2021 à 14:52
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Pour le comprendre y a juste a regarder les effets secondaires a court et long terme dû a ces vaccins. Tout ces effets ont bien entendu été ignorés et personne les prends en compte volontairement... Après deux vaccins sur le prochain rappelle, moi j...

à écrit le 16/10/2021 à 14:07
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Je ne suis pas d’accord avec cet article car le refus de la vaccination vient de l’incohérence de la communication des autorités à rassurer ou à obtenir la confiance des populations, ceci n’a rien à avoir avec le choix des votes aux élections ( qui s...

à écrit le 16/10/2021 à 11:48
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1/ science économique: oxymore 2/ Un modèle mathématique n'est aucunement une démonstration. Les modèles ça s'ajuste et on peut leur faire dire n'importe quoi. C'est même la spécialité des économistes.

à écrit le 16/10/2021 à 10:29
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Au départ, pour diverses raisons, j'étais contre le vaccin. Ensuite, pour éviter la vaccination des jeunes, je fus pour. Et désormais, je suis pour la vaccination obligatoire qui réglerait tous les problèmes liés au passe sanitaire et aux gestes barr...

à écrit le 16/10/2021 à 10:18
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Article sans intérêt, nous ne sommes pas des machines alors que la classe productrice trop bête et donc trop faible pour nous diriger aimerait tant que l'on soit aussi stupide qu'elle c'est sûr. Et après ?

à écrit le 16/10/2021 à 9:19
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La "démobilisation générale" effectué par nos politiques en début d'épidémie, finalisé en "conversation secrète", n'a pas pu rassurer !

à écrit le 16/10/2021 à 9:12
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Quand on pense qu'il y a eu une proposition de loi déposée par le groupe socialiste visant à instaurer la vaccination obligatoire contre la Covid-19 y compris un vaccin obligatoire aux bébés ajouté aux onze vaccins imposés depuis 2018 par buzyn parti...

le 16/10/2021 à 10:04
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Sur les 11 vaccins devenus tous obligatoires, il parait que ceux qui étaient facultatifs mais conseillés, les parents les faisaient déjà faire, avant. Ça n'a donc "pas changé grand chose" de façon pratique, dans la réalité vraie, celle qu'on vit. Ma...

le 18/10/2021 à 15:40
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"il parait que ceux qui étaient facultatifs mais conseillés, les parents les faisaient déjà faire, avant. Ça n'a donc "pas changé grand chose" de façon pratique, dans la réalité vraie, celle qu'on vit." Il "parait" ,tu ne vois donc pas la différen...

à écrit le 16/10/2021 à 9:01
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Tu parles, la plupart des vaccinés l'ont fait par contrainte de perdre leur emploi ou de ne plus pouvoir accéder pour eux ou leur enfants à des activités ,resto,ciné etc .et non par enthousiasme.

le 16/10/2021 à 21:29
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Peu importe. L'essentiel était d'arriver à un taux de vaccination élevé. Si l'âne a besoin d'une carotte pour avancer, va pour la carotte. Mission réussie.

le 18/10/2021 à 9:40
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@polaris "Peu importe. L'essentiel était d'arriver à un taux de vaccination élevé. " Occupe toi de ton corps et de ta santé et laisse les autres tranquilles.Tu as pris le vaccin H1N1 en 2009 comme les 6 millions de français a l'époque ?, moi no...

à écrit le 16/10/2021 à 8:59
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Quelle réticence vaccinale ? Il n'y a pas plus de réticence vaccinale pour le COVID, que pour la grippe. Au contraire, les français ont bien plus massivement accepté les vaccination anti-covid qu'ils n'ont accepté les vaccinations anti-grippe

le 16/10/2021 à 14:53
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Ce sera bien différent pour les prochains rappelles vu les effets secondaires qu'on a subit...

à écrit le 16/10/2021 à 7:47
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Est ce que la science économique pourrai m'expliquer pourquoi les deux recombinants astra et janssen ont été éjectés (et je vous parle même pas du spoutnik),et que le moderna vient de l'être pour les rappels. Quand on se souvient des 1.8 Mds de doses...

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