Comment repenser l'enseignement expérientiel au-delà de l'écran

OPINION. Avec la crise du COVID-19, le modèle habituel d'enseignement s'est trouvé ébranlé par le confinement forcé des jeunes élèves. Si les modes d'apprentissage pouvaient intégrer une plus forte composante technologique avec succès, les outils en ligne peinent à combler les besoins tactiles, sociaux et affectifs des plus jeunes. Il importe d'adapter les programmes, les formats et les ressources pour composer l'enseignement de demain, dans un climat de précaution sanitaire accrue. Par Sylvia Gallusser, futuriste basée à San Francisco, fondatrice de l'initiative Silicon Humanism dédiée au devenir du travail, de l'éducation et de la santé, avec pour préoccupation de préserver l'humain au cœur de notre futur.
(Crédits : Annie Spratt)

A travers le monde, les jeunes apprenants ont été propulsés du jour au lendemain dans une scolarité nébuleuse, perdant tout ou partie de leurs repères spatio-temporels, de leurs attaches affectives, ainsi que leur expérience de première main du monde, au profit d'une pédagogie en pointillés. Selon les pays, les régions et les écoles (privées, publiques), les élèves ont eu la possibilité ou non de poursuivre un enseignement encadré.

Dans les établissements les plus technologiquement propices, à l'exemple de l'ISTP en Californie, l'enseignement est devenu principalement virtuel, guidé par des enseignants à distance, avec des heures de connexion pluriquotidiennes. Dans les classes de primaire, les élèves ont été équipés de tablettes pour communiquer avec leurs professeurs via des applications de messagerie (Toodle, Seesaw), de visioconférence (Zoom) et des outils de gestion de classe (Classroom). Ils ont pris l'habitude de poster leur travail préalablement photographié, filmé ou enregistré. Dans l'alternance de temps connectés et de temps asynchrones, ils ont pu poursuivre le programme tout en maintenant une sociabilité avec leurs pairs.

Nécessité d'une forte implication des parents

Dans d'autres cas, la pédagogie était principalement asynchrone avec des envois d'instructions, de documents, de feuilles d'activité, ceci nécessitant une forte implication des parents pour assurer le relais de l'enseignant, la logistique (impression de documents), le soutien scolaire et la préservation d'un emploi du temps structuré.

Dans les zones faiblement connectées, les individus se sont retrouvés encore plus isolés, parfois mal informés, souvent désespérés.

Dans les cas les moins favorables, de jeunes élèves soudainement déscolarisés ont dû affronter un monde adulte abrupte : des parents surmenés, absents ou directement mobilisés par la crise sanitaire ("essential workers"), en chômage partiel ou total, en souffrance physique ou mentale. La cohabitation forcée d'individus aux rythmes différents, le stress exacerbé par la crise sociale, ainsi que la montée des tensions domestiques ont exposé les enfants à davantage d'angoisse, voire à des violences. De plus, certains parents se reposaient sur les cantines scolaires et les "hot lunch programs" comme principal apport nutritionnel. Cela, ajouté aux difficultés de ravitaillement générées par la crise, a entraîné de nombreux cas de malnutrition.

Pour la catégorie des jeunes apprenants, les séquelles risquent d'être profondes, avec un ralentissement cognitif, une perturbation de la socialisation, des déficits socio-émotionnels et une anxiété accrue. On anticipe des signes de stress post-traumatiques dans la durée.

Chez les plus jeunes (classes maternelles), des phénomènes de technophobie et de rejet de l'écran ont été observés. Sur les forums et dans les groupes de parents improvisés sur WhatsApp ou Wechat, beaucoup évoquent leurs enfants refusant d'interagir avec leurs enseignants en visioconférence, rabattant brusquement leur écran, maintenus assis face à l'ordinateur par l'appât de snacks ou de jeux.

Demande d'ancrage socio-émotionnel

Alors que la fin du lockdown se profile en Californie, les établissements réfléchissent non seulement à la réouverture à court terme, mais également à recomposer un enseignement hybride en prévention de futures pandémies. Le cas des jeunes élèves est d'autant plus complexe qu'ils sont la catégorie la plus en demande d'ancrage socio-émotionnel par l'école, mais aussi la plus risquée si les routines d'hygiène ne sont pas respectées et que les gestes tactiles spontanés ne sont pas abolis.

Il s'agit bien entendu d'adhérer aux recommandations officielles en matière d'hygiène et de sécurité, avec le port du masque, les gestes barrière de distanciation sociale et le monitoring des symptômes des individus. Les plannings sont adaptés pour de groupes réduits d'élèves en alternance. Du gel hydroalcoolique est disposé aux endroits stratégiques. Les routines (toilettes, repas, sieste) sont adaptées pour éviter les frictions.

Au-delà des préconisations par les institutions officielles de santé et des mesures pour rassurer les parents sur le redémarrage, se pose une réelle question quant au maintien des bases pédagogiques. Un équilibre doit s'établir entre sécurité et pédagogie. Comment enseigner le langage si l'enfant ne peut lire sur les lèvres de l'enseignant ? Comment lui apprendre à décrypter les émotions sur un visage quand celui-ci est masqué ? Comment lui transmettre le sens du partage quand il ne peut plus échanger de jouets avec son prochain ? Comment le rassurer quand on ne peut l'approcher physiquement ?

Solutions créatives

Pour répondre à ces problématiques, les établissements d'enseignement réfléchissent à des solutions créatives : masques avec découpe transparente autour de la bouche, supports d'écriture auto-décontaminants, projets créatifs autour des sujets sanitaires.

De la même façon que la pandémie a contribué à redessiner nos intérieurs, elle accélère l'avènement d'une "smart school" avec ses espaces aérés, ses murs émettant des lumières décontaminantes pour les chaussures, ses porte-manteaux stérilisés, ses moquettes antibactériennes, ses emplois du temps repensés pour petits groupes en rotation, ses programmes hybrides, son enseignement à distance pour les sujets à risque, ses classes vertes virtuelles. Sans oublier des enseignants à la pointe de la technologie qui nous rappellent l'importance des rituels, des mascottes et des travaux manuels à l'exemple de La-Maitresse-Part-en-Live qui a digitalisé son métier d'institutrice et récolté 100.000 inscrits en deux mois sur sa chaine Youtube.

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