Dépense publique, achat de dette, taxation des sociétés : pourquoi le Japon n'a pas réussi à remonter l'inflation

OPINION. Shinzo Abe, Premier ministre entre 2012 et 2020 a failli réussir avec ses programmes énergiques articulés autour d'une trilogie consistant à augmenter massivement la dépense publique, à activer des achats frénétiques de dette par sa banque centrale, et à réduire la taxation des sociétés. Il fut hélas confronté à un secteur privé radin qui ne joua strictement pas le jeu. Par Michel Santi, économiste (*).
(Crédits : DR)

Le Japon est le laboratoire du monde. C'est dans ce pays que furent mises en place pour la toute première fois, en 2001, les fameuses baisses de taux quantitatives ayant tenté de percer la barrière réputée infranchissable des taux d'intérêt nuls instaurée dès 1999. Entreprise révolutionnaire pour l'époque, menée par des gouvernements successifs mobilisés pour ressusciter leur économie, cette politique monétaire résolument hétérodoxe est aujourd'hui pratique commune au sein des banques centrales occidentales.

Elles n'en furent en effet pas avares, nos banques centrales, de la Fed à la BCE en passant par la Banque d'Angleterre et consorts, de ce levier inversé dont l'objectif avoué et limpide était de relancer les pressions inflationnistes. Cette précieuse reflation serait nécessairement au rendez-vous de l'intensification de la dépense publique qui stimulerait la relance de la consommation et des investissements privés. Pour reprendre la très significative expression de Paul Krugman, les banques centrales - au rang desquelles la Banque du Japon fut pionnière - devaient signaler au public qu'elles étaient disposées à perdre si nécessaire le contrôle de l'inflation.

Japon, terre de records...

Pourtant, 20 ans après, le Japon est encore englué dans sa stagnation, se débat toujours dans une soupe faite de croissance anémique, d'inflation négligeable, de salaires déclinants et de productivité en berne. L'implosion calamiteuse de la bulle spéculative nippone des années 1990 conjuguée à la crise financière mondiale démarrée en 2007 couronnée par la crise sanitaire a aujourd'hui pour conséquence que la population japonaise compte désormais 16% de pauvres, que ce pays est le second plus mauvaise élève des pays du G7 de ce point de vue après les USA.

Le Japon est également le terre de tous les records puisque son endettement public est de l'ordre de 265% de son P.I.B., ce qui en fait le champion universel toutes catégories. Là aussi, il est précurseur puisque la dette publique mondiale a surgi de plus du tiers entre 2021 et 2021.

Alors, le cas d'école nippon nous indique clairement que les nations disposant d'une monnaie souveraine peuvent poursuivre leurs dépenses sans craindre l'inflation. Il faut, cependant, affiner ce verdict car le Japon - à l'image de bien des pays à travers le globe - est lesté de problèmes structurels ayant pour effet mécanique de saper reprise, croissance, inflation et confiance.

Bas salaires, retraites en peau de chagrin (à cause des taux négatifs), niveau de l'éducation et de la formation qui se dégrade, population vieillissante qui consomme donc moins, sont autant de fardeaux pesant lourdement sur l'économie du Japon et de bien d'autres dites développées.

Manque d'investissement du privé

Il a néanmoins tout essayé, Shinzo Abe, Premier Ministre entre 2012 et 2020 et a failli réussir avec ses programmes énergiques articulés autour d'une trilogie consistant à augmenter massivement la dépense publique, à activer des achats frénétiques de dette par sa banque centrale, et à réduire la taxation des sociétés. Il fut hélas confronté à un secteur privé radin qui ne joua strictement pas le jeu et qui, trop heureux de constater que le secteur public dépensait sans compter, a ainsi augmenté ses réserves à des niveaux records.

En réalité, cet échec japonais à relancer l'inflation révèle la mentalité déflationniste des entreprises, au Japon comme dans nombre d'autres pays, de ces entreprises qui ne cherchent pas à prendre un peu le relais de la force publique car entièrement centrées sur leurs sauvegarde et sur leurs profits. Jusqu'à preuve du contraire - les multiples crises ayant jalonné notre monde ces 20 dernières années l'attestent formellement - jusqu'à preuve du contraire donc, on ne peut compter que sur les Etats pour sauver leur économie.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaires 3
à écrit le 27/06/2021 à 20:27
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Les pouvoirs forts comme la Chine et la Russie ont encore des marges de manœuvres grâce à leur puissance politique les riches restent attachés, de gré ou de force, à leur pays cela semble définitivement perdu pour les démocraties sauf pour les États-...

le 28/06/2021 à 11:21
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"Lorsqu'un gouvernement est dépendant des banquiers pour l'argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit. L'argent n'a pas de patrie ; le...

à écrit le 27/06/2021 à 18:27
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C'est comme le lancement d'un jeu de grattage, les premier sont "chanceux" pour "le bouche a oreille" et les suivant en font les frais! Forcement la confiance a des limites!

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