Deviendrons-nous des zombies numériques ?

L'overdose technologique nous guette, nous sommes submergés par les données...jusqu'à l'hypnose collective? Bienvenue chez iFreud! Pourtant, il y a des moyens d'agir. Par Didier Didier Schmitt, ancien membre du Bureau des Conseillers de Politique Européenne, à la Commission Européenne.

Les technologies de communication risquent fort d'engendrer des générations hyper-connectées mais déconnectées. Quand dans un groupe une majorité d'individus consulte un écran sans se parler, cela n'est pas loin du trouble obsessionnel compulsif. D'autres encore sont à la limite de l'autisme, tant ils sont absorbés par les jeux en ligne. Et une forme de schizophrénie guette ceux qui vogueront entre vie réelle et réalité virtuelle augmentée. Une telle dépendance 'affective' à ces technologies fait dire à 50% des Américains qu'ils préfèreraient perdre l'odorat que d'être privé d'iPhone.
A cette faune s'ajoutent les technophiles béats, ceux-là mêmes qui attendent les prochaines révolutions comme le Messie, à l'instar de ce club d'élus qui a pu tester les 'Google glass'. Enfin, à l'autre extrême de ces pseudo-aliénations, il y a les traditionnels ayatollahs du conservatisme inquisitoire. Ceux-là se complaisent dans la psyché du cyber-pessimisme, jusqu'à développer une tendance paranoïaque en se focalisant sur les failles de la cyber-sécurité.


Ingrédients d'une overdose technologique

La facilité avec laquelle nous générons et partageons de l'information est ahurissante ; en un clic des tranches de vie sont mises en ligne à la portée de tous, vidéos comprises. Il en est de même pour tous les media ; c'est ainsi que les hypocondriaques ont de quoi s'occuper avec plus de 100 000 sites web médicaux. Nous sommes donc irrémédiablement englués dans une toile qui grossit et se propage de façon exponentielle, comme une épidémie.
En un jour nous recevons plus de données qu'il n'en existait dans tout le Moyen Âge et 90% de l'information qui existe à ce jour a été créée ces deux dernières années. En 2030, les objets connectés, les vidéos holographiques et les futurs moyens de représentation d'informations complexes, relégueront notre génération actuelle au... Moyen Âge.


Recette pour une hypnose collective

Comme nous sommes des animaux curieux de tout, certains experts en neurosciences se demandent si notre cerveau ne va pas finir par collapser à force de surinformation. Mais le risque réel est plutôt dans une anesthésie cognitive du fait d'une lente et insidieuse dégradation de la capacité de discrimination et d'analyse critique.
Comme si la 'matrix' nous rendait atone, voire décérébré. Se noyer dans ce flot d'information est d'autant plus facile que celui-ci se focalise sur l'instant présent. Cet aspect éphémère participe à la narcose intellectuelle car en allant vite nous négligeons le temps de la décantation qui nous soustrait à la pensée créatrice. D'autant plus que dans cette jungle, trouver des réponses rapides à des interrogations futiles est bien plus aisé que de trouver le temps de se poser des questions utiles. Ceci est d'autant plus difficile que la crédulité est constamment entretenue, car la jeune génération est habituée à ce que la vérité sorte de l'écran, générant de fausses certitudes.


La forêt cache l'arbre

Comment éviter qu'une overdose informationnelle ne nous rende irréversiblement léthargique? La réponse n'est, une fois de plus, pas dans la technologie elle-même mais dans l'utilisation que nous en faisons. Le premier élément est de ne pas se laisser distraire car plus l'information est pléthorique, plus capter l'attention devient difficile. Mais ceci parait de plus en plus irréaliste pour la nouvelle génération qui baigne dans les réseaux sociaux.

Le deuxième est qu'il faut constamment développer des filtres pour extraire un signal du bruit de fond. A chacun le sien, comme un sculpteur qui, partant de la même masse, enlève le superflu pour faire émerger une œuvre chaque fois différente. Mais se faire une opinion avec un esprit critique n'est pas inné.
Néanmoins, faire abstraction de la forêt pour y trouver son arbre s'apprend. Malheureusement le système éducatif est loin d'être au cœur de cette pédagogie, car remplir les cervelles au détriment du jugement reste encore une fausse priorité. Personne ne semble se soucier que le monde change plus vite que les réformes des petits pas. L'enjeu et pourtant de taille car la crédulité est le danger majeur qui guette nos sociétés. Les décideurs politiques feraient mieux de s'assurer que la vraie fracture numérique - celle qui inhibe notre jugement - n'engendre pas à terme un fossé démocratique.


L'intelligence n'a rien d'artificiel


Une information est générée par des données; or nous confondons souvent les deux. La quantité de données n'est pas néfaste en soi quand elle permet d'améliorer la qualité de l'information. Au bout du compte si nous confondons le moyen et le but, la cyber-information ouvre la voie à la cyber-désinformation, voire à la cyber-déformation.
Ajouter de la technologie à la technologie n'est pas la solution non plus, comme d'augmenter les capacités cognitives par stimulation électromagnétique ou développer des algorithmes qui font des synthèses d'information. Mais là encore, pour que le magicien ne soit pas dépassé par la magie, l'intelligence artificielle ne doit pas être un artifice pour l'intelligence. Le 'quoi' peut être trouvé par un moteur de recherche internet, mais le 'pourquoi' reste une interrogation humaine.
Le futile est l'ennemi de l'utile comme la quantité est un poison pour la qualité. La vigilance est donc de mise pour que l'esclavage d'antan des corps ne soit pas remplacé par l'asservissement insidieux des temps modernes, celui des esprits. Bien que les mutations des systèmes numériques de communication se succèdent, le logiciel d'Homo digitalus - notre génome - est toujours le même depuis des milliers d'années. L'innovation la plus innovante reste donc bien l'individu.


Didier Schmitt est un ancien membre du Bureau des Conseillers de Politique Européenne, à la Commission Européenne.
Les opinions exprimées dans le présent article sont uniquement celles de l'auteur.

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Commentaire 1
à écrit le 08/06/2015 à 15:44
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l'intelligence artificielle, ca depend surtout comment c'est programme; meme si on est passes d'un modele if then else aux reseaux de neurones et leurs diverses extensions ( genetique comprise); varsilla a ecrit un bouquin la dessus d'ailleurs ( ' in...

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