Économie américaine : régler les taux face à une croissance plus fragile

L'analyse de la situation américaine permet de comprendre pourquoi la banque centrale hésite à relever les taux d'intérêt. Par Christine Rifflart, Économiste senior au Département analyse et prévision, OFCE, Sciences Po – USPC.

Jeudi 8 septembre est sorti le Beige book aux États-Unis. Ce rapport, publié par la Réserve fédérale américaine donne un aperçu de la situation conjoncturelle et des déséquilibres économiques à partir d'informations récoltées auprès des banques et grandes entreprises entre le début juillet et le 29 août dans les 12 districts des Réserves fédérales locales. Publié toutes les 8 semaines, il précède de deux semaines la prochaine réunion du comité de politique monétaire. Elle s'est tenue les 20 et 21 septembre et la Fed a décidé de ne pas changer ses taux d'intérêt.

Bien que toujours accommodante, la politique monétaire est entrée dans une phase déresserrement des taux l'année dernière. La reprise de l'activité et de l'emploi ont permis de ramener le taux de chômage de 10 % en 2009 à moins de 5 % depuis mi-2015. L'indicateur d'inflation suivi par les autorités est revenu autour d'une cible de moyen terme fixée à 2 %. Les injections de liquidités ont cessé en novembre 2014 et la réserve fédérale a amorcé en décembre 2015, le premier relèvement de taux d'intérêt depuis juin 2004 en annonçant que le mouvement serait plus graduel que lors des précédents cycles de hausse. Les caractéristiques de la reprise sont différentes et la prudence s'impose.

La situation économique est fragile

Après deux années de croissance à 2,4 % et 2,6 % en 2014 et 2015, l'activité a nettement ralenti depuis l'automne 2015 et le dernier rapport du Beige book n'est guère optimiste :

« Dans l'ensemble, l'activité a continué de se développer à un rythme modeste pendant la période couverte. La plupart des districts rapporte une tendance "modeste" ou "modérée" de la croissance générale. »

Cependant, Kansas City et New York ne signalent aucun changement d'activité, et Philadelphie et Richmond notent que, bien que toujours en expansion, l'activité a ralenti depuis la précédente période. Le marché du travail reste tendu dans la plupart des districts et la croissance des salaires, modérée en général. Les hausses de prix restent faibles. Les perspectives économiques marquent un infléchissement certain. La croissance ralentirait autour de 1,5 % cette année et s'améliorerait légèrement en 2017.

Côté demande, la croissance continue d'être tirée par la consommation des ménages, soutenue à la fois par la baisse récente des prix du pétrole, les créations d'emplois et une confiance toujours au rendez-vous. Mais l'investissement résidentiel a chuté au deuxième trimestre. Les mises en chantier stagnent depuis plus d'un an, malgré des prix immobiliers à la hausse et une pénurie de logements dans l'offre locative. Surtout les exportations reculent depuis début 2015.

La hausse du dollar enregistrée depuis 2014 à laquelle vient s'ajouter le renchérissement des coûts de production plus rapide qu'en Zone euro, finit par peser sur la compétitivité des produits américains. Cela dans un contexte de faible demande mondiale, marquée par le ralentissement de la croissance chinoise, la crise dans les pays émergents et une faible croissance européenne. Cette baisse des ventes à l'étranger combinée à la crise dans le secteur des hydrocarbures depuis la chute des prix du pétrole en 2014 et 2015 conduit les entreprises à ajuster leurs capacités productives. L'investissement baisse depuis trois trimestres sous l'effet de l'insuffisance de la demande. Cette situation devrait perdurer compte tenu notamment des écarts de conjoncture entre l'Europe et les États-Unis, et des politiques monétaires différentes qui y sont menées. Le Brexit ne fait que renforcer davantage ce phénomène.

Un retournement précoce

Le problème auquel est confrontée la Réserve fédérale est que ce retournement baissier de l'activité est précoce par rapport à un retournement cyclique habituel guidé par la nécessité de réduire des déséquilibres accumulés pendant la phase de croissance rapide. Aujourd'hui, la croissance ralentit et les créations d'emplois sont moindres (les chiffres du mois d'août ont d'ailleurs été inférieurs aux attentes des marchés) alors même que les tensions inflationnistes commencent à tout juste à se développer. C'est évidemment le rôle de la Réserve fédérale que d'anticiper les dérapages inflationnistes. C'est aussi son rôle que de stabiliser la croissance et l'emploi. Dès lors, la hausse des taux ne peut être que très étalée.

En effet, malgré le ralentissement de la croissance, l'inflation converge vers sa cible de moyen terme de 2 %. Les prix à la consommation ont progressé de 0,9 % en juillet sur un an, mais si l'on excepte les produits énergétiques et alimentaires, l'inflation sous-jacente a atteint 2,2 % (2,4 % dans les services hors logement), contre 1,8 % un an plus tôt (1,2 %). La baisse des prix du pétrole a certes redonné du pouvoir d'achat aux ménages en baissant l'inflation globale, mais les tensions salariales sont bien présentes. Sur certains segments du marché du travail, des tensions sont apparues, faisant accélérer les salaires (hausse à 2,6 % en juillet contre 2 % entre 2011 et 2015), dans les services, mais surtout dans le secteur manufacturier.

Or cette accélération des salaires va de pair avec une productivité qui ralentit, et des coûts unitaires qui progressent plus vite. Malgré tout, cette inquiétude par rapport aux risques de dérapage inflationniste aux États-Unis est pour l'heure, modérée à en croire les taux d'intérêt à long terme qui poursuivent leur mouvement baissier, en ligne avec ceux de la zone euro.

Une profonde transformation de l'économie

Néanmoins, les autorités doivent rester vigilantes. Car les tensions inflationnistes s'amorcent à un niveau d'activité que l'on pourrait considérer comme relativement bas, au regard des caractéristiques passées de l'économie américaine. Or, l'économie s'est profondément transformée depuis une dizaine d'années. Si le taux de chômage se situe depuis plusieurs mois à 4,9 %, la part des actifs (chômeurs + travailleurs) dans la population de plus de 15 ans est loin d'avoir retrouvé son niveau d'avant 2008. Une des raisons tient au vieillissement de la génération des baby boomers.

Une autre raison tient à l'importance des travailleurs découragés qui ont quitté le marché du travail et dont on ignore combien reviendront. Peu, probablement. La population active progressera moins vite que par le passé. Par ailleurs, la faiblesse des gains de productivité depuis la reprise de 2010 contraste les performances d'avant crise (0,7 % en moyenne sur période 2011-2015 contre 1,7 % avant la crise), d'autant que comme on l'a vu l'accumulation du capital est faible. L'OCDE et le CBO chiffrent désormais la croissance américaine maximale non inflationniste pour les prochaines années à 1,6 %-1,7 %, après 3,2 % pendant les années 90 et 2,3 % avant la crise.

Face à ces fondamentaux, la Réserve fédérale doit redoubler de vigilance pour ne pas trop durcir les conditions financières, déjà très resserrées par la hausse du dollar. Une trop forte hausse pèserait sur la croissance. Un resserrement insuffisant viendrait attiser les tensions inflationnistes. Il est probable que l'appréciation du dollar pourrait continuer encore un peu.

La prochaine hausse des taux aura peut-être lieu lors de la prochaine réunion du Comité fédéral d'open market de la Fed des 1er et 2 novembre.

The Conversation________

 Par Christine Rifflart, Économiste senior au Département analyse et prévision, OFCE, Sciences Po - USPC.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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