Effet Macron : la gauche et la droite, même pas mortes !

Se dire de gauche ou de droite correspond à une identité profondément ancrée, qui ne saurait se dissoudre dans le court terme d’une élection. Par Pierre Bréchon, Sciences Po Grenoble.

Depuis déjà près de 30 ans, on entend des observateurs de la vie politique affirmer que les valeurs de gauche et de droite seraient en train de disparaître et que les citoyens ne feraient plus la différence. Cette idée se retrouve aussi dans les réponses à des questions de sondages. Comme je l'ai écrit dans The Conversation France, un nombre croissant de personnes affirment - dès les années 1980 - que gauche et droite n'ont plus de sens.

Et pourtant, les mêmes personnes, dans les mêmes sondages, acceptent de se situer sur une échelle allant de la gauche à la droite, revendiquant une certaine identité politique en terme de droite et de gauche. Et, selon leur position sur cette échelle, les individus répondent aussi différemment à de nombreuses questions politiques.

Ce paradoxe de l'opinion s'explique assez facilement. Beaucoup se sentent plutôt de droite ou plutôt de gauche en fonction de ce qu'ils pensent, tout en estimant que les gouvernants mettent en œuvre des politiques similaires lorsqu'ils sont au pouvoir.

Au cours de la campagne électorale de 2017, ce discours niant l'existence de la gauche et de la droite a beaucoup été repris par les partisans d'Emmanuel Macron puisque le candidat En marche se voulait « ni de droite, ni de gauche », ou parfois « et de gauche, et de droite ». Ce positionnement se voulait critique de ces deux références antithétiques classiques au nom d'un ailleurs ou d'un centre, selon un positionnement idéologique très proche de celui qu'avait adopté François Bayrou en 2007. Au soir du 23 avril, le futur président Macron affirmait qu'une nouvelle ère politique allait s'ouvrir, puisqu'il allait gouverner sans référence à ce clivage.

Nous voudrions montrer ici que l'idée de disparition du clivage gauche-droite est illusoire en considérant des résultats d'une enquête post-électorale (enquête French Election Study, FES 2017), administrée par l'institut Kantar. Ils soulignent en effet que les opinions publiques restent très fortement structurées par ces représentations. Si le pays a porté Emmanuel Macron à la présidence de la République, il n'a pas abandonné son logiciel politique.

Stabilité du positionnement sur l'axe gauche-droite

Premier élément de démonstration : sur une échelle en 11 positions, allant de 0 (« très à gauche ») à 10 (« très à droite »), seuls 8,8 % ne se positionnent pas, ce qui veut dire que beaucoup de citoyens, bien que critiques à l'égard des politiques de gauche et de droite, acceptent de se situer et revendiquent un positionnement et une orientation dans l'espace politique.

Les répondants se répartissent de manière assez équilibrée sur l'ensemble de l'échelle, comme le montre le graphique 1 ci-dessous, très semblable à ceux qu'on a pu construire dans les nombreuses enquêtes menées depuis plusieurs décennies. L'attirance pour la gauche et la droite sont stables, même si le contenu des idées revendiquées à droite et à gauche ont changé.

L'attirance pour le centre de l'échelle est toujours forte, alors que les extrêmes ne mobilisent pas beaucoup. Le centre de l'échelle comporte beaucoup d'individus aux idées modérées, mais aussi des personnes ayant un faible intérêt et une faible compétence politique : 64 % des centristes ont peu ou pas du tout d'intérêt pour la politique contre 53 % chez l'ensemble des enquêtés.

Graphique 1 : répartition sur l'échelle gauche-droite en 11 positions.

L'axe gauche-droite permet toujours de situer leaders et partis

Deuxième élément de démonstration de la cohérence des univers politiques appréhendés avec la logique gauche-droite : la plupart des Français sont capables de positionner sur la même échelle les candidats à l'élection présidentielle (graphique 2). Évidemment, chacun ne situe pas exactement de la même manière les candidats sur l'axe, mais les perceptions moyennes de chaque candidat sont très conformes à leur image, telle qu'elle ressort de leur passé, mais aussi des débats de la campagne.

Les principaux candidats sont très répartis sur tout l'axe et non pas concentrés au centre, ce qui indique que l'opinion a bien conscience qu'il existe des différences entre les programmes des principaux candidats. Si le répondant est, en moyenne, au centre (5 sur l'échelle), les principaux candidats sont situés entre 2,1 et 8,8.

Graphique 2 : positionnement des principaux candidats sur l'axe gauche droite.

Emmanuel Macron se situe à 5,3, donc très proche du positionnement moyen centriste des individus. Au total, il paraît bien correspondre à ce qu'on appelle traditionnellement « l'électeur médian », celui qui est à la confluence des attentes des citoyens. C'est certainement un élément important de son succès : il correspondait aux attentes des électeurs modérés déçus de la gauche et de la droite, prêts à tenter une hypothèse centriste. Dans un contexte de désaveu des partis de gouvernement, il a pu siphonner les électorats de droite et surtout de gauche modérée au premier tour.

Entre les candidats des partis de gouvernement et ceux de la gauche et de la droite radicale, l'opinion établit une distinction assez nette : 1,1 point d'écart sépare Mélenchon et Hamon, 1,3 point Le Pen de Fillon. Par ailleurs, Hamon est considéré comme plus à gauche que le PS et Fillon plus à droite que Les Républicains (LR).

Au fond, situer les responsables politiques et les partis selon la métrique de l'axe gauche-droite permet de résumer, de façon simple, la perception que l'on a de chacun d'eux. C'est un langage particulièrement utile parce que simplificateur par rapport à la complexité des idées que chacun peut soutenir dans des domaines très variés.

Des identités de gauche et de droite profondément ancrées dans le vécu familial

Troisième élément de démonstration : quand on observe quelles sont les relations entre l'orientation politique et les variables objectives de statut des individus, on découvre que le fait de se dire de droite ou de gauche est très lié aux origines familiales, comme le montre le graphique 3. L'effet de la socialisation familiale apparaît très fort.

Si on a baigné dans une famille clairement orientée politiquement, il y a de bonnes chances que l'on adopte le même positionnement politique ou un positionnement voisin. Et pour ceux qui vivent en couple, l'homogamie des orientations politiques est encore plus nette. Tout ceci montre que se dire de gauche ou de droite correspond à une identité profondément ancrée, qui ne saurait se dissoudre dans le court terme d'une élection.

Graphique 3 : orientation politique du répondant (en %) en fonction de celle de son père, de sa mère et de son conjoint.

Les évolutions de ces identités existent mais elles sont assez lentes. On sait, par exemple, que les liens avec les groupes sociaux, très forts il y a une cinquantaine d'années, sont aujourd'hui plus faibles. Même si les professions indépendantes restent nettement orientées à droite et les professions intellectuelles ou artistiques à gauche.

Si l'insertion familiale est très structurante pour nos identités politiques, ce n'est pas le cas de la psychologie individuelle. En effet, on n'observe aucun lien significatif entre l'orientation politique et le profil psychologique que les individus tracent d'eux-mêmes. Que l'on se dise extraverti, critique, discipliné, anxieux, ouvert, réservé, sympathique, désorganisé, calme ou conventionnel, on n'est pas davantage orienté à gauche ou à droite.

Dans les principaux domaines de valeurs, un fort clivage entre gauche et droite

Dernier élément de la démonstration : une forte cohérence existe entre le positionnement à gauche ou à droite et toutes les questions d'opinion. Tout d'abord, le vote exprimé est évidemment fortement lié aux identités de gauche et de droite (tableau 1 ci-dessous). Les personnes de gauche qui votent pour des candidats clairement de droite sont très minoritaires. Et l'inverse est vrai.

Ce tableau montre aussi que l'électorat d'Emmanuel Macron est le plus composite : il a réussi à attirer de nombreux électeurs de gauche et de droite. Celui de Marine Le Pen, du fait de son orientation populiste et protestataire, comporte aussi une certaine diversité d'identités politiques.

Les identités de gauche et de droite ne se reflètent pas seulement à travers le vote. Elles se manifestent aussi - plus ou moins fortement - dans les réponses à à peu près toutes les questions d'opinion (tableau 2).

Sur les questions de politiques économiques, les personnes de droite se montrent beaucoup plus libérales que celles de gauche, qui veulent davantage de justice sociale et de redistribution. Elles sont aussi plus favorables au nucléaire alors que les opinions de gauche se montrent plutôt sensibles à la décroissance.

Les conceptions sur l'immigration et la sécurité sont, bien sûr, aussi nettement clivées politiquement. L'ordre est toujours une valeur de droite. Ce que devrait viser l'école est donc très différent selon son positionnement politique : pour la droite, l'école doit inculquer la discipline et l'effort, alors que, pour la gauche, elle doit former des esprits éveillés et critiques. Enfin le libéralisme des mœurs est clairement revendiqué par la gauche.

Tous ces résultats d'enquête montrent que le positionnement sur un axe entre la gauche et la droite n'a rien d'un artifice. Il exprime, de manière synthétique, la manière dont les individus se situent. À l'aide de cet outil et de ce vocabulaire - souvent contesté mais jamais abandonné -, les individus se disent et se repèrent dans l'univers politique, ils se distinguent aussi des autres camps politiques.

Le clivage gauche-droite peut certes changer de forme et d'intensité, mais pour l'instant, son existence - attestée depuis la Révolution française - n'est en rien menacée par le nouveau quinquennat. Les réformes annoncées sont, d'ailleurs, régulièrement jugées selon la métaphore spatiale de l'axe politique : le Président fait-il une réforme de gauche ou de droite ? Autrement dit, la gauche, le centre et la droite ont encore un bel avenir devant eux.

The Conversation _______

 Par Pierre Bréchonprofesseur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaire 1
à écrit le 23/09/2017 à 11:58
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L'espoir fait " vivre".... Si ils avaient été vivants , ils ne seraient même pas " morts"...😂 Les meubles qui ne servent à rien , n'intéresse même pas l'antiquaire...

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