Face aux Gafa, revenons aux lois antitrust

OPINION. Pour Barry Lynn, il faut sans tarder des règles qui empêchent les géants de la tech d’agir comme des intermédiaires tout-puissants et dangereux pour la démocratie. Par Barry Lynn, Directeur du think tank américain Markets Institute
Barry Lynn, Directeur du think tank américain Markets Institute
Barry Lynn, Directeur du think tank américain Markets Institute (Crédits : DR)

Aujourd'hui, face à la concentration inédite du pouvoir et du contrôle par Google, Amazon et Facebook, nous devons absolument garder en tête deux idées. Premièrement, ces monopoles font peser toutes sortes de menaces, qui sont des plus graves pour notre démocratie et pour nos libertés fondamentales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Deuxièmement, nous disposons de tous les outils dont nous avons besoin pour affronter ces menaces, tout en gardant la possibilité de profiter pleinement des technologies sur lesquelles ces sociétés exercent leur emprise.

Depuis environ un an, la conviction que les plateformes monopolistiques telles que Google, Facebook et Amazon menacent notre démocratie et nos libertés s'est largement propagée. Aux États-Unis, cette crainte a été exprimée par les candidats à l'élection présidentielle, des membres éminents du Congrès, des régulateurs, ainsi que par un nombre croissant de groupes appartenant à la société civile. Il n'est pas question ici d'une préoccupation principale, mais plutôt d'une liste de motifs d'inquiétude qui ne cesse de s'allonger, dressée par les citoyens, et exposant des menaces de nature fondamentalement politique.

Dans cette liste, on trouve la destruction de la liberté de la presse, l'amplification de la désinformation et des messages de propagande, une censure privée et arbitraire de la parole, la destruction de la liberté commerciale, l'expropriation de masse des activités des citoyens, l'appauvrissement et l'asservissement des salariés, ou encore la destruction de la capacité du public à fonctionner comme un public. La plupart de ces problèmes ne résultent pas de caractéristiques intrinsèques à ces technologies et à ces entreprises. Ils résultent plutôt de notre incapacité à appliquer à ces intermédiaires les mêmes règles de base que celles que nous avons appliquées aux principaux intermédiaires au cours de notre histoire.

Depuis quelques mois, la proposition du démantèlement des plateformes monopolistiques revient régulièrement dans le débat public. Utile politiquement, ce type de rhétorique permet d'attirer l'attention parce qu'elle formule dans un langage simple l'affirmation selon laquelle les citoyens détiennent le pouvoir d'affronter cette menace. Par ailleurs, cette solution reste légitime : la restructuration de ces entreprises constituera une part importante de la solution.

Un contrôle public nécessaire

En réalité, rien ne nous empêche aujourd'hui d'obliger Facebook à rendre distincts WhatsApp et Instagram. Il en va de même pour Google ; il n'y a pas de raison que YouTube et Maps appartiennent au même groupe que Gmail, Chrome, et Search. Pourtant, il est plus facile de réguler verticalement ces entreprises, en interdisant simplement à Amazon et à Google d'entrer en concurrence avec les entreprises qui dépendent de leurs plateformes pour accéder aux marchés, telles que les éditeurs, les services de réservation de voyages ou encore les fabricants de vêtements ; l'Inde avance d'ailleurs dans cette direction.

Néanmoins, il existe des limites importantes aux restructurations. Oui, le pouvoir serait davantage distribué qu'il ne l'est aujourd'hui. Toutefois, des plateformes continueront d'exercer un pouvoir quasi illimité sur les entreprises qui dépendent de leurs services. Dès lors, il convient de revenir à l'objectif premier des lois antitrust, celui d'empêcher ces entreprises, devenues fondamentales, de tirer parti de leur position d'intermédiaire pour influencer les prix et la qualité des services disponibles.

Pour garantir une certaine neutralité, un contrôle public de ces plateformes doit être institué. Cependant, une telle solution fait émerger de nouveaux défis, comme celui de maintenir les informations collectées par ces plateformes éloignées de l'influence de l'État. Il existe néanmoins d'autres méthodes éprouvées pour neutraliser le pouvoir de ces monopoles. Plutôt que de se concentrer sur la structure de ces entreprises et de ces marchés, ces approches alternatives s'intéressent aux comportements, notamment pour comprendre comment ces entreprises déterminent les tarifs des services essentiels qu'elles fournissent, et qui fixe précisément les tarifs d'un produit ou d'un bien auprès du client final.

Les outils les plus puissants en la matière sont les lois sur les transporteurs, qui obligent les fournisseurs de services essentiels à pratiquer la même tarification et à proposer les mêmes conditions de service auprès de tous les clients, quels que soient leur importance ou le pouvoir qu'ils détiennent. En 2015, aux États-Unis, les citoyens ont remporté une victoire éclatante sur ce front, quand la Commission fédérale des communications a imposé le concept de « neutralité du Net » aux entreprises de télécommunications, telles que Comcast et AT&T.

Empêcher la vente à perte

L'histoire des États-Unis a montré que les citoyens étaient capables d'avoir recours à diverses formes de lois de tarification pour renforcer les régimes appliqués aux transporteurs. Parmi les plus efficaces, celui des régimes « Resale Price Maintenance » (RPM) permet au producteur d'un bien ou au fournisseur d'un service de contrôler le prix pour le client final. En empêchant totalement les intermédiaires de vendre à perte et d'adopter d'autres comportements prédateurs, ces régimes réduisent considérablement la capacité des financiers à utiliser les entreprises commerciales pour concentrer leur pouvoir sur des places de marché entières. Combinés ensemble, les régimes appliqués aux transporteurs et RPM rendent la tâche plus difficile aux intermédiaires pour manipuler les interactions entre les acheteurs et les vendeurs, et incitent donc davantage les détaillants à fournir de meilleurs services, et les fabricants à proposer des produits de meilleure qualité.

Il est temps pour les citoyens de toutes les démocraties de dépasser l'idée selon laquelle, pour obliger les plateformes monopolistiques à adopter un comportement respectueux concernant nos façons d'interagir, d'échanger des informations ou nos activités de manière globale, nous ne pouvons qu'exercer de légères contraintes et taxer les plateformes monopolistiques. Comme les générations précédentes l'ont prouvé, nous devons aujourd'hui imposer un ensemble de règles qui garantissent que les actions de celles-ci ne mettront plus jamais en danger nos démocraties ou nos libertés individuelles. Plus tôt nous agirons, plus aisée sera la tâche.

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