Faut-il plumer les Pigeons pour limiter les rémunérations des patrons du CAC 40 ?

Comment réformer la fiscalité des actions gratuites sans mettre dans le même sac fiscal les startuppers et le PDG de Renault ? Le gouvernement va devoir choisir entre les Pigeons et les Frondeurs. Par Michel Albouy, Grenoble École de Management (GEM).

Les conséquences de l'épisode de la rémunération du patron de Renault ne sont pas terminées sur la vie des entreprises. Après avoir rendu le say on pay contraignant - obligeant ainsi le Conseil d'administration à suivre le vote de l'Assemblée générale des actionnaires en matière de rémunération - la volonté du gouvernement de s'en prendre aux rémunérations jugées excessives des dirigeants a trouvé un débouché avec le vote d'un amendement dans le cadre de la loi Sapin 2 sur l'encadrement des rémunérations des dirigeants. Dans le collimateur du législateur : les actions gratuites distribuées aux salariés, mais également aux dirigeants et leur régime fiscal jugé beaucoup trop avantageux.

La loi Macron et les actions gratuites

Petit rappel historique : dans la nuit du 6 au 7 février 2015, l'article 34 de la loi dite Macron était adopté par l'Assemblée nationale malgré les réticences des députés écologistes et du Front de gauche. L'objet de cet article : assouplir le régime fiscal des attributions d'actions gratuites aux salariés et relancer cette forme de rémunération. En effet, après la loi de finances pour 2013 la fiscalité des gains réalisés dans le cadre de ces plans d'attribution d'actions gratuites a été alignée sur celle des salaires. La conséquence de cet alignement fiscal fut de freiner ce mode de rémunération en taxant plus fortement les plus-values.

L'article 34 de la loi Macron ramenait la fiscalité des gains dans le champ de celle des plus-values de cession mobilières, chèrement défendues par le mouvement des « pigeons ». Grâce à cet article, les salariés revendant leurs actions gratuites bénéficient donc d'un abattement de 50 % sur la plus-value réalisée à condition qu'ils conservent leurs actions pendant plus de deux ans, et de 65 % s'ils les conservent plus de huit ans.

La mesure qui a été adoptée fin mai par les députés, dans le cadre de la loi Sapin 2 porte donc sur l'encadrement des rémunérations des dirigeants et vise la fiscalité jugée beaucoup trop généreuse des plans de distribution d'actions gratuites. Alors qu'il y a un an, Emmanuel Macron, dans sa loi, avait décidé d'assouplir le dispositif, les députés ont décidé de le durcir. Si la mesure est définitivement adoptée, les actions gratuites ne seront plus taxées à 20 %, mais à 50 % !

Les Pigeons sonnent l'alerte

Cette mesure aurait pu passer inaperçue si d'anciens membres du mouvement « Les Pigeons » n'avaient tiré le signal d'alarme. Rappelons que ce mouvement spontané d'entrepreneurs en colère était né du ras-le-bol de l'augmentation des cotisations et de la taxation sur les cessions d'entreprise. Face à cette grogne des créateurs d'entreprises, le gouvernement avait reculé (modestement en fait). Ce mouvement de chefs d'entreprises, inédit en France, avait fait prendre conscience aux responsables politiques de l'importance du rôle de ces entrepreneurs pour la croissance et l'emploi.

Il faut dire qu'il y avait le feu dans la maison, car nombreux étaient ces jeunes créateurs d'entreprises à quitter le navire France et à installer leurs entreprises sous des cieux fiscaux plus cléments. Rapidement le vent tourna en faveur des startups et le gouvernement se fit le chantre de la nouvelle économie et de la « French touch », vantant jusque dans la Silicon Valley la réussite de nos ingénieurs et de nos talents qu'il fallait retenir et même faire revenir à la maison.

C'est dans cet esprit entrepreneurial retrouvé que le jeune ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, intégra dans sa loi en février 2015 cet article 34 allégeant la fiscalité des gains réalisés sur les actions gratuites. Devant la commission spéciale à l'Assemblée nationale, le ministre de l'Économie avait expliqué qu'il voulait "permettre un traitement différencié pour les cadres les plus performants".

Son but était de permettre aux entreprises innovantes de bénéficier d'un régime fiscal et social compétitif. Le problème c'est que la loi n'a pas fait de différence entre les entreprises et qu'ainsi les patrons des très grandes entreprises ont pu bénéficier de ce traitement fiscal allégé et arrondir leurs rémunérations nettes d'impôt de façon significative.

Un régime de start-up pour Renault ?

Tout aurait pu bien se passer si l'affaire de la rémunération de Carlos Ghosn n'avait pas emballé la machine médiatique et politique un an après cette mesure. Avec l'affaire de la rémunération du PDG de Renault, qui a défrayé la chronique, la gauche de la gauche tenait sa revanche. Comment justifier que des patrons aussi bien payés puissent bénéficier d'un régime fiscal de faveur ? Il a suffi de reprendre les arguments utilisés à l'époque contre l'article 34 de la loi Macron.

C'est ainsi que sur son blog (13 février 2015) Marie-Noëlle Lienemann dénonçait déjà l'élargissement de la mesure en direction non seulement des start-up, des entreprises de taille intermédiaires, mais aussi de celles du CAC 40 au motif qu'il fallait qu'elles puissent garder des cadres de haut niveau.

On croit rêver ! Comme si, au regard des dividendes conséquents versées par ces grandes entreprises, elles ne pouvaient pas rémunérer directement sans aides publiques ses dirigeants. Où est donc passée l'idée de réduire les inégalités, dans bien des cas scandaleux, de salaires et de rémunération dans les entreprises. Peut-être Emmanuel Macron, qui juge légitime que les jeunes Français pensent à devenir milliardaires, veut-il ranger aux oubliettes ce qui est fait un des objectifs majeurs de la gauche : réduire les inégalités.

Le rapprochement des déclarations d'Emmanuel Macron et de Marie-Noëlle Lienemann sur cette question de la fiscalité des actions gratuites est édifiant et révélateur du gouffre idéologique qui s'est installé au sein de la gauche française. La discussion sur la loi Travail est également une belle illustration de ces deux visions radicalement opposées de l'économie et du monde de l'entreprise.

La revanche des frondeurs

L'occasion était donc trop belle pour que les députés frondeurs ne prennent pas leur revanche. Pourtant, l'idée du ministre de l'Économie était bonne au regard de la nécessité d'attirer et de retenir des talents en France. En effet, favoriser la distribution d'actions gratuites c'est effectivement un moyen efficace pour des startups et des PME innovantes d'attirer et de retenir les talents dans la mesure où elles n'ont pas les moyens d'offrir les salaires et les avantages des grands groupes. Avec une taxe à 50 %, plus aucune PME n'aura les moyens de distribuer des actions gratuites. Pour elles, cela tue tout l'intérêt du dispositif.

Mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y a pas que le sort des PME et de leurs talents qui est préoccupant. Aujourd'hui, la France ne perd pas que des startups, mais également ses fleurons industriels. En moins de deux ans, le CAC 40 a vu quatre de ses membres changer de nationalité. Après le cimentier Lafarge absorbé par le suisse Holcim, les activités énergie d'Alstom reprises par l'américain GE, Alcatel-Lucent avalé par le finlandais Nokia, c'est le parapétrolier Technip qui vient d'annoncer sa prochaine installation à Londres à la suite de sa fusion avec le Texan FMC. À qui le prochain ?

Ceci dit et pour revenir à nos députés frondeurs, il ne s'agit pour l'instant que d'un projet de loi. La discussion est en première lecture. Naturellement, les Pigeons (comme peut-être les patrons du CAC 40 ?), espèrent que le gouvernement ne soutiendra pas une telle mesure. Ils agitent leurs petites ailes pour que ce projet soit très vite enterré. Mais est-ce que le gouvernement déjà empêtré dans le mouvement social lié à la loi Travail dite El Khomry souhaitera affronter sa gauche pour quelques Pigeons ? Rien n'est moins sûr.

The Conversation_______

Par Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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