FICTION « Château de cartes » à l’Elysée : Darmanin, ou la malédiction de l'Intérieur

EPISODE 1/8. Dans un "House of Cards", version Macron, La Tribune raconte cet été en huit épisodes sous la plume de Marc Endeweld (*), les secrets du quinquennat sous la forme d’un récit mêlant la fiction et la réalité pour montrer comment le président de la République, élu sur la volonté d’un renouvellement de la vie politique et d’un « dépassement » des clivages, se prépare malgré son impopularité à rééditer le « coup » de 2017 en étouffant à petit feu ses adversaires, droite, gauche et écolos...
(Crédits : SIPA)

À Lyon, de retour chez lui, Gérard Collomb n'arrête pas de ruminer et de se repasser le film du quinquennat. Il jette un oeil à ses cartons tout juste déménagés de la mairie après sa cuisante défaite aux Municipales face aux Verts. Dedans, quelques archives, des photos de lui durant la dernière présidentielle. Il soupire. Le vieux lion est amer. Fatigué, aussi. En 2017, il avait jeté toutes ses forces dans la bataille, au point de se retrouver quelques jours à hôpital après l'élection, pour cause de surmenage. Un an et demi plus tard, l'affaire Benalla éclate en plein été. À l'époque, il « règne » sur la place Beauvau, le ministère de l'Intérieur, enfin le croit-il. Il a surtout l'impression de se faire balader par l'Elysée et son cher ami « Manu ». Jamais, il n'aura d'explication franche de la part de son ancien champion à propos de ce jeune chargé de mission inconnu qui va provoquer une déflagration dans toute la République et semer le doute sur le pouvoir. Il se souvient encore des mots du président de la République qui a encore voulu le retenir en octobre 2018 quand il a annoncé son départ dans la presse : « Je t'ai sauvé la vie, c'est Philippe qui voulait te virer au moment de l'affaire Benalla ! »

Mais le charme est rompu. Gérard n'a plus confiance en son ancien poulain, il claque la porte d'une « maison » qu'il n'a jamais comprise. Quelques jours plus tard, il échange à son sujet avec son ami Bayrou : « Mais tu te rends compte François ? Comment-a-t-il pu me faire ça ? Il m'a demandé de démissionner, pour me faire porter le chapeau de ce Benalla ! » À l'autre bout du fil, le béarnais, toujours exilé à Pau, et mis en examen, compatit : « Oui, Gérard, je sais, il me l'a fait à l'envers à moi aussi. C'est un psychopathe. Et puis, tu as vu toute cette mafia sarkozyste autour de lui, c'est quoi ce délire ? Comment l'expliques-tu ? Je n'avais pas "acheté" cela en 2017. On s'est bien fait avoir ». Collomb a du mal à recoller les morceaux. Il sait que Nicolas Sarkozy poussait depuis le printemps 2018 Emmanuel Macron à le remplacer par Gérald Darmanin avec Frédéric Péchenard comme secrétaire d'Etat. Autant le grand flic sarkozyste a son respect, autant il considère le maire de Tourcoing comme un opportuniste, un "petit" Sarkozy. Collomb sait que cette option a pourtant longtemps tenu la corde à l'Elysée. À l'époque, il lui arrivait souvent d'appeler son vieil ami Michel Charasse, qui avait alors l'écoute du président de la République. « Michel, tu y comprends quelque chose, toi ? »

Bien sûr, que Michel comprend. L'ancien ministre de Mitterrand connaît sa Sarkozie sur le bout des doigts. Depuis la cohabitation avec Balladur, il s'est rapproché du ban et de l'arrière ban des réseaux sarkozystes de Beauvau. Il connaît les petits arrangements, les combines des uns et des autres. Il est devenu un spécialiste des complots, petits et grands, de la République. Alors, la perspective de voir Darmanin débarquer à l'intérieur, il préfère en sourire. Quand Gérard lui raconte que Macron lui a confié deux jours après l'article du Monde sur Benalla que tout cela n'était qu'un complot sarkozyste, il ne peut s'empêcher de partir dans un grand éclat de rires. « Gégé », comme l'appelle Brigitte Macron, ne comprend toujours pas : « Tu sais ce qu'Emmanuel m'a dit deux jours après l'article ? En réunion de crise ? Que tout cela n'était qu'un coup de Bernard Squarcini, l'ancien patron de la DCRI ! »

Les fauves se jaugent pour 2022

Le « squale », comme il est surnommé par le tout Paris, s'amuse également de l'anecdote. Comme le dit son ancien ami Sarko, "de la mauvaise pub, c'est toujours de la pub". Justement, dans l'entourage de Sarkozy, on s'impatiente. Le tir de barrage mené par Bayrou auprès de Macron contre la candidature Darmanin à l'Intérieur n'a pas été apprécié. L'ancien président pourtant, reste étonnamment calme, serein. « Tout cela va mal finir. Ne bougez pas, pour l'instant », explique-t-il à ses affidés. L'ancien président rumine sa revanche contre François Hollande. Il ne cesse de pester contre la justice, les juges rouges, le Parquet National Financier ! Les premiers ennuis d'Emmanuel Macron ne sont pas pour lui déplaire, il peut ainsi distiller ses conseils auprès de l'intéressé, qui ne manque jamais de l'écouter, consciencieusement, comme l'élève qu'il était à Henri IV : toujours donner l'impression d'écouter l'autre, le mettre en valeur, le flatter. Macron sait comment gérer Sarkozy. Enfin, le croit-il. Les deux fauves se jaugent, se tournent autour...

Il aura donc fallu attendre près de deux ans pour que Darmanin accède enfin à Beauvau. Dès le lundi soir de sa nomination, il n'attend pas une seconde pour appeler son prédécesseur : « Comment tu vas Casta ? Pas trop dur ? ». Castaner bafouille. Lui, comme Collomb, n'a pas le moral. « J'ai tout donné à Emmanuel, et il me vire comme un malpropre », rumine-t-il. « Tu vas voir Casta, les flics, je vais fissa les mettre dans le droit de chemin. Ils ont besoin d'un chef. Je te le dis, tu étais trop sympa avec eux. Et puis, tu vas voir, les rouges, les anars, je vais les casser, ils vont avoir peur de moi ». Castaner encaisse. En même temps, il n'est pas mécontent de quitter le navire au moment où il semble de plus en plus tanguer vers la droite. Il se dit que les vacances pour lui tombent à pic. Il va pouvoir se remettre à s'amuser avec ses amis, loin des caméras, reprendre son vieux scooter sur la Côte d'Azur. Il a quand même une dernier corvée à finir. Alors qu'il commençait à rêvasser à la suite, la voix cassante du nouveau patron des lieux le réveille : « Allo Casta ? T'est toujours là ? Hein, alors, on est d'accord, j'arrive ce soir à Beauvau, et t'assures la passation de pouvoir, avec tout le tralala ? Ok ? ».

En se dirigeant vers la place Beauvau, Darmanin reçoit un coup de téléphone de Nicolas Sarkozy en personne : « Ah mon Gérald, je tenais à vous féliciter pour votre nomination. On va pouvoir travailler ensemble pour le bien de la France. Il y a tellement de choses à faire. Mais la partie va être difficile, même si on a Castex dans la place. Je compte sur vous. En tout cas, félicitations ». Darmanin ressent une joie intense dans tout son corps, comme s'il avait gagné une course. Il a coiffé au poteau tous les prétendants, mis de côté les récriminations du père Bayrou, qui pestait déjà contre les sarkozystes auprès d'Emmanuel Macron. Mais, surtout, il a pu parler droit dans les yeux avec le président de la République. Première fois qu'il passe autant de temps avec lui.... « Cher Gerald, je te le dis, d'homme à homme, aie confiance dans la justice de ce pays, et ce pays te soutiendra », lui lance d'une manière sibylline le chef de l'Etat lors de leur rencontre. Façon Mitterrand.

Le piège se referme sur la droite

Ah, cette fameuse justice ! Elle qui le pourchasse depuis le début du quinquennat pour ce qu'il appelle, auprès de ses proches, ses « écarts de jeune homme ».  Alors, forcément, le dernier coup de fil avant son arrivée lui fait l'effet d'une douche froide : « Allo monsieur le ministre, c'est le Premier ministre à l'appareil. Je voulais vous prévenir : d'un commun accord avec le président, on a décidé de nommer auprès de vous comme directeur de cabinet l'actuel coordonnateur du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Pierre Bousquet de Florian. Je pense que c'est la meilleure solution. C'est un homme d'expérience. Il connaît bien la maison ». Silence du côté de Darmanin : il a beau être un jeune, il  sait que Bousquet, ex patron de la DST sous Chirac, déteste de près ou de loin tout ce qui ressemble à la Sarkozie. Cela date de l'affaire Clearstream 2, et de son éviction par Bernard Squarcini. Pourtant, les choses ne sont pas encore faites.

À l'Elysée, Emmanuel Macron rencontre au même moment celui qu'il avait nommé en 2017 et qui n'a pas du tout envie de reprendre du service à l'Intérieur, pas à son âge : « Monsieur le président, cette proposition m'honore, mais j'ai également peur de vous laisser seul avec certaines personnes de votre entourage... » Ce à quoi le chef de l'Etat répond, martial : « Je vous arrête, Pierre. Prenez le comme un ordre. Et puis, j'ai besoin de vous, pour la suite ». Décidément, le chemin risque d'être long jusqu'en 2022. Mais pour Jupiter, le temps presse. En regardant Bousquet s'éloigner de son bureau, le président repense à ce blanc bec de Darmanin : « Au premier écart, je lui balance une balle dans la tête, se dit-il. Comme tous les autres, il sera mort avant de pouvoir s'envoler... » Pas sûr que les manifestations de féministes contre le ministre de l'Intérieur ne lui déplaisent vraiment. Le piège peut se refermer.

(*) Auteur de « L'ambigu Monsieur Macron » puis de « Le grand manipulateur, les réseaux secrets de Macron », Marc Endeweld tient depuis 2019 chaque semaine dans La Tribune une chronique Politiscope.

Retrouvez vendredi 24 juillet, l'épisode 2/8 de notre fiction d'été : 'le gang des 3 B".

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Commentaires 5
à écrit le 22/07/2020 à 8:35
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a ceux qui remette en cause le ministre de l'intérieur fasse de même avec la plaignante salir une personne est trés facile alors déballé sur la plaignante. la on auras une magouille qui vas ce tarir

à écrit le 21/07/2020 à 9:50
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Empêcher "les autres" de se présenter a nos suffrages est la meilleure manière de se faire élire! A quand la reconnaissance du "vote blanc" qui leur font... si peur? Car "le vote blanc", c'est un retour aux urnes des citoyens au lieu de défilé da...

à écrit le 21/07/2020 à 9:27
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c'est vrai que choisir un ministre qui a une telle accusation, renforcé par la reprise des investigations trois semaines avant, c'est comme pouvoir finalement s'assurer de l'impunité ! Si cela n'avait été que la seule fois, et pour autant que l'on pu...

à écrit le 20/07/2020 à 11:43
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La France ce pays qui se croit encore importante aux decisions du monde n'est plus rien.

à écrit le 20/07/2020 à 10:13
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Une fiction ? Bah vous avez bien raison, c'est de toutes façons tout ce que nous proposent nos médias de masse comme information, autant la personnaliser du coup hein, au moins ça change de refrain.

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