Forum de Davos : quelles sont les valeurs du leader de demain ?

OPINION. A l'échelle de l'économie globale, la 53ème édition du Forum de Davos, qui a pour thème « Coopérer dans un monde fragmenté », prévient nos dirigeants : « si les risques systémiques ne sont pas traités, la promesse d'une « décennie d'action » pourrait devenir une décennie d'incertitudes et de fragilités ». Le fameux nouveau logiciel économique, politique et sociétal - que nous appelons de nos vœux chez nos leaders - les renvoie finalement à leur propre exercice décisionnaire. (*) Par Camille Fumard, directrice conseil et conseillère spéciale auprès du Président du Groupe JIN, auteur.
Camille Fumard, auteur de Le leader du XXIe siècle. La guerre ne fait que commencer.
Camille Fumard, auteur de Le leader du XXIe siècle. La guerre ne fait que commencer. (Crédits : dr)

Inflation, catastrophes climatiques, « échecs et préoccupations ESG persistantes », confrontations géo-économiques, la fondation de Klaus Schwab - qui s'est donnée pour but « d'améliorer l'état du monde » - donne le climat. Dans un contexte de « permacrise » loin du multilatéralisme heureux, quel choix de leadership se pose désormais à eux ?

Par essence flou et à la mode, le leadership vivra-t-il (enfin) son âge d'or ? Six points qui donnent les raisons d'y croire, et les tensions afférentes.

La montée en puissance d'un leadership collectif

Il faut partir de cette idée de leadership collectif. Cet impératif pour les dirigeants du XXIème siècle de se mettre en ordre de bataille. Loin de la décision solitaire qui conduit à l'hybris, à la démesure, c'est une position de juste place face aux vulnérabilités qui est retrouvée. Peu à peu, les dirigeants de ce mouvement sortent du faux-semblant pour entrer dans l'action collective et « coaliser » autour de projets communs. Cette nouvelle classe de dirigeants doit cependant encore apprendre comment se forme un mouvement et comment se gagne le combat des idées.

L'émergence d'une conscience collective amène à se poser les bonnes questions. Quid d'intégrer, par exemple, les récentes réflexions autour de la comptabilité pondérée par l'impact ? Quid d'un dividende écologique généralisé pour les grands groupes ? Quid d'une gouvernance adaptée au « PICS » (P de pandémie, I d'inflation, 3 C de conflit, climat et cybersécurité, et S de social) dans les conseils d'administration ? Quid aussi de cette idée-force que le progrès est synonyme de puissance de calculabilité, un progrès donc utilitariste et répondant uniquement à des considérations économiques ? Le dirigeant se heurte en effet désormais à un mur : celui de l'effacement de l'avenir.

Attention à ce « peuple au fond du Paradis », comma l'a décrit la romancière afro-américaine Toni Morrison. Dans ses oeuvres, comme Sula, elle a dépeint une fracture sociale particulièrement complexe aux Etats-Unis entre ceux au fond et ceux hors du fond ou, plus précisément, au fond du paradis. Bien que le contexte de l'histoire du livre, celui de la ségrégation raciale, empêche d'utiliser cette métaphore du "Bottom" au risque de pratiquer un anachronisme mal approprié, cette image du « fond »  omniprésente me semble cependant résonner aujourd'hui avec les dangers d'une montée des inégalités sociales. Elle vient exacerber les sentiments d'injustice et faire repousser les racines douloureuses de maux que nous pensions d'un autre temps comme le populisme.

Sans proposer un programme politique, ni une politique sociale, le leader économique se trouve dans la position d'apporter une réponse au nihilisme collectif et à la perte de sens en proposant une direction commune. L'entreprise entre désormais en interaction avec son environnement.

Vers un leadership de la bifurcation - le leader du XXIème siècle

Les leaders (et notamment européens) sont invités à se mobiliser contre le type de leadership le plus diffusé aujourd'hui : celui de la visée exponentielle. Ce dernier, friand des « cygnes noirs » (Nassim Nicholas Taleb), creuse les écarts sociaux et universalise l'indifférence, notamment à l'égard des générations futures. Figures du leadership contemporain, ces « hydres de Lerne » de la tech (Jeff Bezos, Elon Musk, Peter Thiel, Ray Kurzweil...) proposent désormais de fédérer l'opinion au-delà du « système Terre ». Leur contrée se situe dans cette fameuse zone « antifragile » de la triade de Nassim Nicholas Taleb dont nous aimerions pouvoir nous rapprocher. Mais ne soyons pas le Chapelier fou de Lewis Carroll dans cette histoire ! En effet, les oiseaux rares et imprévisibles du leadership de demain ne peuvent être anticipés en regardant le passé. Nos défis d'aujourd'hui ouvrent une nouvelle voie, celle d'un leadership en confrontation directe avec ce modèle : le leadership de la bifurcation.

Le leadership de la bifurcation fait le choix d'aller au-delà de notre anthropocentrisme actuel et du régime de l'ère post-vérité. Celui qui saura trancher le nœud gordien qui nous maintient dans l'idée d'effondrement du monde parce qu'il serait devenu « VICA ». Un nouvel ordre mondial hybridant d'une part l'accélération du rythme du changement (Volatilité) et l'absence de prévisibilité (Incertitude), et d'autre part l'interconnexion des forces de cause à effet (Complexité) et le fort potentiel d'erreurs de lecture (Ambiguïté).  Cette doctrine a été ainsi élaborée pour permettre aux dirigeants de réagir efficacement. Mais elle décrit aussi un état de nostalgie.

Les appels au « retour sur terre » sont nombreux et les prémisses d'un discours en résonance avec ce retour sur Terre commencent à fédérer.

L'Occident avait trouvé refuge dans la réalisation de la « société d'abondance » jusqu'à même étouffer sa suffisance intrinsèque : son aristocratie des lumières (domaine intellectuel), son aristocratie libérale (compétitivité et équité). Assurément faudra-t-il à l'Europe retrouver cette « mégalothymie sûre et domestiquée » dont parle Francis Fukuyama qui met au premier plan la notion de risque, la vertu du courage et l'appel au génie humain. Cela peut déjà se traduire dans la vision de l'entreprise de demain, à commencer par les standards sur l'environnement.

La radicalité pour des choix transformateurs

Opérer des choix est nécessaire, or, choisir, c'est déjà exercer un niveau de radicalité. A cet égard, il faudra « panser » la radicalité pour nous libérer de la doxa « du toujours plus » et inventer un nouvel humanisme. C'est cette radicalité vue par exemple chez Yvon Chouinard, fondateur de la marque de textiles outdoor Patagonia, qui a rendu la planète actionnaire de son entreprise en cédant la totalité de ses actions à une ONG. Cela ne pourra se faire sans un travail sur la ligne de foi du dirigeant (celle qui donne le cap), voire même cette foi laïque qui fonde un régime de l'espoir et s'inscrit dans la durée parce qu'elle témoigne d'une honnêteté. Car pour être celui qui marche en avant à découvert, celui qui dit « Suivez-moi », il faut être parvenu à quelques certitudes pour conduire et entraîner les équipes.

Persévérance, risque et dépassement : ces nouveaux attributs du leader

Les attributs comme la persévérance, le dépassement ou encore le risque sont des qualités essentielles à retrouver pour traverser les incertitudes et vulnérabilités et engendrer des possibles qui vont au-delà de notre anthropocentrisme actuel et du régime de l'ère post-vérité.

Le leadership en advenir (celui de la bifurcation) ne se fera en effet pas sans : 1) la redéfinition de nos valeurs, une technologie de la générativité (au sens ericksonien, autrement dit, qui pense toujours dans sa production, ses modèles économiques et son management à la génération future) et une comptabilité à impact fondée sur un « jugement scientifique » attribuant une valeur monétaire aux incidences sociales et environnementales de l'entreprise.

Que pouvons-nous alors attendre du Davos 2023 ? Peu sans les Russes et les Chinois... Et pourtant, ces grands-messes annuelles que sont les Davos laissent espérer une capacité à faire mouvement ensemble. Et une ardente action collective. Après le temps des promesses, de la déception, il y aurait celui de la fondation, celle qui se veut sans préfixe pour établir un commencement. Mais il n'y aura pas de miracle sans révolution des pratiques. Aux leaders de jouer. Aux meilleurs de croire en l'avenir, celui où l'humain retrouve sa Terre. L'avenir se construit dès aujourd'hui.

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*Camille Fumard est directrice conseil et conseillère spéciale auprès du Président du Groupe JIN. Auteur de l'essai Le leader du XXIe siècle. La guerre ne fait que commencer  - Cent Mille Milliards (sorti le 15 janvier 2023). Préface de Bertrand Badré, ancien directeur général et directeur financier Groupe de la Banque mondiale et de Bernard Michel, Président du conseil d'administration de VIPARIS.

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