Intellectuels : confort de la critique ou critique du confort

CHRONIQUE DU "CONTRARIAN" OPTIMISTE. Qu'est-ce qu'un intellectuel aujourd'hui ? Force est de constater que, dans nos régimes démocratiques qui protègent la liberté d'expression, ce rôle de critique dans l'espace public tend à s'estomper, noyé dans la surenchère des commentaires sur Internet. Cette démonétisation sur le marché des idées n'est pas sans conséquence.
Robert Jules
Le 18 mars dernier, Emmanuel Macron a reçu une soixantaine d'intellectuels à l'Elysée pour une longue soirée de débats sur des sujets comme l'économie, l'environnement, la société, la recherche, la culture.
Le 18 mars dernier, Emmanuel Macron a reçu une soixantaine d'intellectuels à l'Elysée pour une longue soirée de débats sur des sujets comme l'économie, l'environnement, la société, la recherche, la culture. (Crédits : Reuters)

Comment avait-on pu oublier un débat avec les intellectuels au pays de Voltaire et de Sartre lorsqu'il y a un « Grand débat » ? Emmanuel Macron a donc organisé à l'Élysée en toute majesté une session de rattrapage pour 64 intellectuels - certains avaient fait savoir qu'ils ne viendraient pas - pour sonder leurs réflexions sur les « principaux défis et enjeux d'avenir auxquels la France est confrontée », en particulier le mouvement des « gilets jaunes » qui tient le haut du pavé chaque samedi depuis des mois. Et puis le président lui-même n'a-t-il pas étudié la philosophie, jusqu'à être un temps l'assistant d'un éminent penseur : Paul Ricoeur. Mais qu'est-ce qu'un intellectuel aujourd'hui ? Cette figure doit être distinguée de celle de l'expert, qui l'a supplanté dans l'espace public ces dernières décennies. Et à écouter les hôtes élyséens d'un soir, c'était davantage ce qui dominait à travers des analyses et recommandations, par ailleurs intéressantes, qu'ils fussent sociologues, économistes, philosophies, psychologues...

En effet, ce qui distingue l'intellectuel, c'est sa prise de position dans la Cité contre les pouvoirs en place, au nom d'une valeur universelle et non d'intérêts particuliers, par exemple en faisant valoir une certaine idée de la justice. Si l'on évoque souvent Zola et son « J'accuse... » dans l'affaire Dreyfus, celui qui illustre peut-être le mieux cette figure fut Socrate, condamné à mort par le régime démocratique d'Athènes, qui lui reprochait de subvertir la jeunesse.

Mais force est de constater que dans nos régimes démocratiques qui protègent la liberté d'expression, ce rôle de critique dans l'espace public tend à s'estomper, noyé dans la surenchère des commentaires sur Internet. Cette démonétisation sur le marché des idées n'est pas sans conséquence. Ainsi, le psychologue américain Steven Pinker assurait dans son dernier ouvrage Le Triomphe des Lumières (éd. Les Arènes, voirLaTribunedu25janvier) que « les intellectuels détestent le progrès », car selon lui « c'est l'idée même de progrès qui agace les péroreurs - la conviction, issue des Lumières, que c'est en comprenant le monde que nous pouvons améliorer la condition humaine ». Le paradoxe est que les intellectuels qui critiquent le progrès se disent eux-mêmes « progressistes », car, raille Pinker, ils ne détestent pas les fruits du progrès. Les intellectuels, qui souvent se classent politiquement à gauche, seraient-ils rentrés dans le rang ? Aujourd'hui, il serait préférable d'« avoir raison avec Aron que tort avec Sartre ».

En outre, la montée en puissance dans l'espace public des communicants, ces modernes sophistes dont la technique ne vise qu'à l'efficacité des discours pour séduire le public, y a contribué, il est vrai aidé souvent par l'obscurité rhétorique de certains discours intellectuels. On mesurera cet aspect en lisant L'Erreur et l'orgueil (éd. L'Artilleur) du philosophe conservateur - en France, il serait classé chez les réactionnaires britannique Roger Scruton.

En décortiquant le travail d'auteurs aussi divers que les historiens marxistes Eric Hobsbawn et Edward Thompson, Jean-Paul Sartre ou Jurgen Habermas, Alain Badiou et Slavoj Zizek, et les stars postmodernes de la « french theory » comme Michel Foucault, Jacques Derrida ou Gilles Deleuze, il montre combien la puissance conceptuelle de nombre de ces auteurs repose davantage sur une rhétorique séduisante que sur des arguments solides. Avec son ironie mordante, Scruton montre avec le ton modeste de ceux qui lisent sérieusement les textes que le philosophe qui prophétise est souvent nu. Accessoirement, que nos sociétés modernes n'ont plus besoin de prophètes... sinon pour une soirée à l'Élysée.

Robert Jules

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Commentaire 1
à écrit le 31/03/2019 à 9:37
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Prenons du recul et observons les "intellectuels" dont les médias de masse nous affublent... Je peux vous garantir qu'il n'y en a pas un seul qui m'impressionne, je peux en respecter certains (quelques uns...) car comprendre leurs démarches tels Onfr...

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