Investisseurs et asset managers se mobilisent sur la biodiversité

OPINION. Alors que s’ouvre la COP15 biodiversité à Montréal, à l'heure où la sixième extinction du vivant est en cours, Aude Verriès, responsable du département gouvernance et ISR chez CNP Assurances, et Joséphine Chevallier, responsable de l'intégration, stratégie ESG chez OSTRUM Asset Management, témoignent de l’urgence pour les marchés financiers à intégrer la biodiversité et ses immenses enjeux, dans les stratégies d’allocation d’actifs.
Plus de la moitié du PIB mondial est lié à la biodiversité.
Plus de la moitié du PIB mondial est lié à la biodiversité. (Crédits : Reuters)

Sur neuf limites planétaires avant que l'humanité n'assiste à un changement d'état irréversible de l'écosystème, six sont désormais dépassées. Pourtant, par rapport au climat, la prise en compte des enjeux de biodiversité a 10 ans de retard. Elle est plus complexe à appréhender, multifactorielle (pollution des eaux, surexploitation des espèces, appauvrissement des sols...), plus locale, et la perte de biodiversité est bien moins spectaculaire que l'effet des dérèglements climatiques.

Les chiffres sont néanmoins sans appel : plus de la moitié du PIB mondial est lié à la biodiversité. Les risques induits par son appauvrissement sont majeurs et matériels : risques dits « physiques » (35 % de la production alimentaire mondiale dépend de la pollinisation), de « transition » (changements de normes ou d'habitude de consommation, de viande porcine ou bovine, par exemple), mais aussi des risques règlementaires ou réputationnels pour les entreprises manifestement nuisibles.

Actionnaires ou porteurs de dettes d'États ou d'entreprises, les investisseurs et les gestionnaires d'actifs disposent d'un puissant levier pour inciter les entreprises à intégrer la biodiversité dans leur stratégie, tout en ciblant en priorité les secteurs les plus sensibles (agroalimentaire, BTP...).

Double matérialité

Cependant, pour prendre le sujet de la biodiversité à bras le corps, les investisseurs doivent d'abord pouvoir l'appréhender de manière complète en maîtrisant les enjeux liés aux 5 pressions identifiées par l'IPBES (1) : artificialisation des sols, surexploitation des ressources, changement climatique, pollutions et espèces exotiques envahissantes ; ils doivent aussi pointer les urgences et les investissements les plus concernés.

Par ailleurs, les entreprises ne payent pas encore le prix des services rendus par la nature, ni des pressions qu'elles exercent. C'est tout l'enjeu de la double matérialité : l'effet de nos investissements sur la biodiversité (mesuré par le MSA (2) - nombre moyen d'espèces au m²) et parallèlement, la dépendance de nos actifs aux services écosystémiques rendus par la nature. Cette notion n'a cours pour l'heure qu'en Europe, alors qu'elle est majeure pour obtenir des résultats.

Bien évidemment, il n'y a pas de recette miracle sur un sujet où tous les acteurs sont dans une courbe d'apprentissage. La clef pour obtenir des résultats repose donc sur la coopération, la transparence et... de réelles ambitions. Les investisseurs ont besoin de la collaboration des entreprises pour fixer un cadre et exploiter des données profondes et fiables.

En attendant de disposer de toutes les données scientifiques qui nous permettront de calculer la « trajectoire biodiversité » des portefeuilles, plusieurs initiatives peuvent être engagées dès à présent sur des points clés, notamment des politiques sectorielles durables sur les forêts, sur les actifs immobiliers avec une charte verte pour les travaux réalisés ou pour limiter l'étalement urbain par exemple.

Aujourd'hui, même si la biodiversité est de mieux en mieux intégrée dans nos décisions d'investissement, ce chantier extrêmement complexe reste largement devant nous. Nous avons besoin d'une mobilisation de toutes les parties prenantes (pouvoirs publics, régulateurs, fournisseurs de données, investisseurs ou citoyens). Aux prémices d'une approche holistique de la biodiversité, Il est crucial aussi que les investisseurs soutiennent la filière data européenne pour partager les solutions.

Concrètement, à ce stade, peu d'entreprises cotées offrent des solutions de restauration de la nature, mais nous sommes optimistes sur l'évolution rapide des business modèles car le besoin existe. La réglementation européenne et le développement d'outils d'évaluation comme l'empreinte de biodiversité constituent aussi de puissants accélérateurs, de même que les travaux de la COP15.

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(1) IPBES : Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services ; https://ipbes.net/

(2) MSA : Mean Species Abundance

(3) Corporate biodiversity footprint : vise à couvrir les principales pressions exercées sur la biodiversité telles que résumées dans les rapports de l'IPBES (terre et océans, pollution, changement climatique, surexploitation des ressources naturelles, espèces invasives).

(4) Source : CNP Assurances - septembre 2022.

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