Islande : les erreurs conceptuelles fatales du rapport Sigurjonsson

Nathalie Janson, économiste, Professeur Associé à la Neoma Business School et chercheur à l'Institut économique Molinari, poursuit sa critique du rapport Sigurjonsson, qui a été commandé par le Premier ministre islandais, sur la réforme monétaire.
Pour Nathalie Janson, "la deuxième erreur conceptuelle du rapport Sigurjonsson est de croire que l'offre de monnaie est stable dès lors qu'elle est exclusivement déterminée par la banque centrale sur les recommandations d'un conseil scientifique indépendant".

La réforme monétaire préconisée par le rapport Sigurjonsson, remis au Premier ministre islandais, recommande de mettre fin à la création monétaire par les banques commerciales en leur interdisant de prêter sur la base des comptes courants. La création monétaire devrait être le privilège exclusif de la banque centrale, le gouvernement se chargeant de l'allocation de la monnaie nouvellement créée.

Penser qu'une telle réforme mettra un terme aux excès du système bancaire et financier est une illusion. En effet, le rapport commet deux erreurs d'analyse fondamentales : la première relative au fonctionnement des banques à réserves fractionnaires et la seconde relative à la réelle capacité de la banque centrale et du gouvernement à pouvoir créer une monnaie « neutre » et « stable ». Sans les excuser, d'autres théoriciens et non des moindres - comme Milton Friedman - ont commis cette même erreur d'analyse.

Les banques à réserves fractionnaires, un bouc émissaire facile ?

Le mal absolu se trouverait dans la nature même des banques à réserves fractionnaires. Il suffirait donc de les interdire pour que le système monétaire retrouve un fonctionnement sain. Il n'est pas certain que la solution soit aussi simple... Frosti Sigurjonsson revisite ici une tradition (1) qui s'est marginalisée au cours du vingtième siècle et qui considère les banques à réserves fractionnaires comme intrinsèquement instables. S'il est certain qu'elles représentent une source d'instabilité additionnelle, elles n'en ont pas l'exclusivité.
Les intermédiaires bancaires tels qu'ils sont envisagés dans le rapport Sigurjonsson le sont également. En effet, lorsque les banques prêtent sur la base de dépôts à terme, il n'est pas exclu qu'elles prennent des risques en transformant « trop » les maturités, c'est-à-dire en prêtant à long terme des ressources à court terme. En caricaturant à l'extrême, si une banque utilise un dépôt à terme d'une durée de 60 jours pour financer un prêt immobilier, elle s'expose évidemment à un risque d'illiquidité majeur. L'interdiction de prêter des dépôts courants ne garantit pas contre la crise de liquidités.

Par contre, il est vrai qu'un système bancaire uniquement composé de banques intermédiaires éradique le risque de « course aux guichets » puisque les ressources sont à terme. Néanmoins, il convient de noter que dans la majeure partie des pays les déposants sont couverts par une forme d'assurance des dépôts qui prévient tout mouvement de panique - on l'a bien observé pendant la dernière crise.

Par ailleurs, il est faux d'affirmer - comme le fait le rapport Sigurjonsson - que les banques à réserves fractionnaires sont systématiquement source d'excès de création monétaire. Il est vrai que les banques n'attendent pas d'avoir des réserves excédentaires comme l'explique la théorie du multiplicateur de dépôts pour accorder des crédits. Elles prêtent en fonction d'un calcul coût- bénéfice qui tient compte des moyens de se procurer les financements nécessaires. Si les banques à réserves fractionnaires prêtent de façon excessive, c'est parce qu'elles peuvent se procurer des liquidités « facilement » et à un coût inférieur au rendement attendu du prêt. Avant de condamner les banques à réserves fractionnaires, il vaudrait mieux réfléchir au rôle de la banque centrale dans la détermination des taux de refinancement et de la liquidité disponible.

Preuve supplémentaire : la faible augmentation de l'activité de prêts depuis 2007 malgré l'abondance des liquidités apportées par les banques centrales. Enfin, il ne faut pas oublier que les banques peuvent également prendre des risques parce que leur structure de gouvernance à responsabilité limitée les y encourage.

La stabilité monétaire garantie par un conseil monétaire indépendant et par l'État

La deuxième erreur conceptuelle du rapport Sigurjonsson est de croire que l'offre de monnaie est stable dès lors qu'elle est exclusivement déterminée par la banque centrale sur les recommandations d'un conseil scientifique indépendant. Par indépendant, on entend indépendant de toute influence gouvernementale. Dans l'énoncé de ce principe, on reconnaît bien l'idée monétariste selon laquelle la stabilité monétaire est garantie par une offre de monnaie qui croît au rythme de la croissance économique.

Mais l'analyse de Sigurjonsson est plus naïve que celle de Milton Friedman. En effet, ce dernier conscient des pressions politiques, recommandait une règle monétaire indexée sur le stock d'or dépolitisant ainsi la question. Après tout ce qu'a écrit et théorisé par l'école Public Choice, il est difficile de se convaincre qu'il existe une vraie indépendance qu'elle soit au niveau de la banque centrale ou bien du comité scientifique indépendant qui déterminerait le taux de croissance de l'offre de monnaie. D'autant que dans le système préconisé par le rapport Sigurjonsson la monnaie nouvellement créée est ensuite allouée à l'État directement afin qu'il la diffuse dans l'économie à travers notamment les dépenses publiques ou encore le remboursement de sa dette ce qui suggère un possible retour à la monétisation de la dette.

Quand on regarde l'histoire des finances publiques en France, on est en droit de nourrir certaines craintes... Si la seule indépendance est garantie par le recours aux experts, il est malheureusement à craindre que les garanties ne soient pas suffisantes. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder le comportement de la Banque centrale européenne depuis le début de la crise en 2007. Pourtant toutes les assurances d'avoir une banque centrale indépendante étaient réunies, en particulier le fait qu'elle est au-dessus des États membres et qu'elle a un mandat hiérarchique avec un objectif de stabilité des prix qui prime en principe sur tout autre. Cela ne l'a pourtant pas empêché d'acheter de la dette souveraine grecque à un prix surévalué par rapport au marché, ni d'adopter le Securities Markets Program qui lui permet d'acheter de la dette des États membres en cas de crise, ni même d'avoir effectué des LTRO jusqu'à 3 ans. Autant de dispositions qui indiquent bien la limite de l'indépendance. Il semble que le rapport Sigurjonsson tombe dans le piège de l'illusion - oh combien contrariée par les faits - d'une administration centrale qui agirait pour l'intérêt commun. Cette approche naïve consiste à penser que dès lors qu'un individu endosse les habits de fonctionnaire d'État, il serait à la fois en mesure et incité à agir pour le bien commun. Or, à bien y penser, il est difficile sinon impossible d'avoir une définition a priori du bien commun.

Comme de nombreux théoriciens monétaires qui voyaient le mal incarné dans les banques à réserves fractionnaires, Frosti Sigurjonsson ne va pas assez loin dans l'analyse des raisons de leur prise de risque excessive. Il aurait été plus intéressant de questionner la responsabilité de la banque centrale et des autorités bancaires plus généralement pour en arriver peut-être à la conclusion que le secteur bancaire ne doit pas faire exception à la règle et doit fonctionner librement... Mais cette idée est sans doute trop dérangeante pour être ouvertement discutée.

(1) Les tenants modernes appartiennent à l'école autrichienne incarnée par Mises. La solution préconisée est de n'avoir que des banques de dépôts à 100% de réserves. Murray Rothbard était l'un des plus ardents défenseurs des banques à 100% de réserves or.

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Commentaires 16
à écrit le 05/04/2016 à 18:40
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Oui cela ne va pas tout sauver mais c est déjà un beau pas en avant Aujourd hui les banques commerciales prêtent de l argent qu'elles créent grace a la confiance dans la monnaie (=dans la banque centrale) Elles empochent les intérêts En cas de...

à écrit le 25/05/2015 à 19:23
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Vu de mon tracteur , les banques prétent des liquidités virtuelles , celles ci peuvent soit accompagner l enrichissement du pays ou préparer des bulles spéculatives . Toutes banques se livrant à la spéculation se doit de mettre à la disposition de la...

à écrit le 25/05/2015 à 15:38
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Oui le rapport "Where does Money Come From" par Charles Goodhart, Professor Emeritus of Banking and Finance, London School of Economics, 19/11/11 est excellent. On ne peut pas continuer de permettre les banques prives d'avoir le droit de controler l'...

à écrit le 24/05/2015 à 23:55
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Nathalie Janson, qui fait partie de ces "économistes" chargés de justifier la dé régularisation et ce envers et contre tout pour le plus grand bénéfice des quelques gagnants de cette organisation économique. Mais il faut reconnaître qu'être du côté d...

le 25/05/2015 à 9:56
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L'effet de "ruissellement" permet au plus pauvre de trouver leur richesse dans les décharges publiques!

à écrit le 24/05/2015 à 23:16
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Quelles que soient les limites possibles du rapport, la séparation entre monnaie et crédit sera un jour inévitable. Dans le système actuel, toute création de monnaie suppose un endettement des agents, tandis que le remboursement des dettes conduit à ...

le 26/05/2015 à 9:28
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Tout à fait, il faut par ailleurs rajouter, pour une vision Française du problème, Maurice Allais, notre seul "prix de la Banque de Suède en l'honneur d'Alfred Nobel" d'économie, qui a, sur la fin de sa vie également milité pour un système tel que ce...

à écrit le 24/05/2015 à 21:55
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Le rapport Sigurjonsson indique : « Pendant des décennies, les banques commerciales en Islande ont élargi l’offre l'argent beaucoup plus rapidement que ce qui était nécessaire pour soutenir la croissance économique en Islande. Dans les vingt années d...

à écrit le 24/05/2015 à 15:21
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On donne beaucoup d'importance aux banques qui ne devraient être qu'un service public sans recherche de bénéfice dont leur seul but est d’accélérer ou de ralentir les échanges!

à écrit le 24/05/2015 à 13:13
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Votre analyse qui relève des évidences, tombe parfois dans le manque de rigueur. Vous prenez pour valides des postulats qui n'en sont pas. Exemple: la stabilité des prix à 2%. En quoi 2% représenterait un objectif de stabilité des prix, en particulie...

à écrit le 24/05/2015 à 12:23
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c'est biuen ce qe je pensais: la science actuelle de la monnaie est bien trop compliquée pour la laisser entre les mains de banquiers. Revoyez votre sujet et représentez moi quelquechose de compréhensible! laissez le sujet monnaie 100% entre les main...

à écrit le 24/05/2015 à 7:13
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Mon idée est simple : Il n'y a pas de croissance sans augmentation de la masse monétaire, car sinon il n'y a pas de liquidité en face des biens produits et pas de "marché" pour les acquérir. Bref, à mon avis la croissance s'accompagne d'une croissanc...

à écrit le 24/05/2015 à 3:27
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Il y a tellement d'avis divergents selon les économistes qu'on étudie, que cela prouve bien que l'économie n'est pas une science, c'est de la politique; pour choisir où va l'argent, on vote tout le temps pour cela. L'économie se borne à étudier les f...

à écrit le 24/05/2015 à 0:57
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Voir le corrigé (sur philomag par exemple) du sujet du Bac L de Philo de 2013 : "le langage n' est il qu' un outil ?" Analogie: Remettrait on le langage entre les mains d' un comité d' experts scientifiques pour définir son emploi "correct" par le...

à écrit le 23/05/2015 à 20:11
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"le secteur bancaire ne doit pas faire exception à la règle et doit fonctionner librement..." Ben voyons! Belle démonstration néo-libérale où il est considéré que les banques n'ont à se soumettre à aucune règle. Trop juteux. Il faut retirer aux banq...

le 24/05/2015 à 7:30
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Oui, car qui finance contrôle. On ne peut pas endetter un peuple sans compromettre sa liberté et il me semble que le poids des dettes actuelles entre en conflit avec l'esprit de la Constitution, ainsi que nos valeurs (droit des peuples).

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