L'ennuyeuse embellie du marché du travail, caillou dans la chaussure de la Fed

OPINION. Comment interpréter la modeste hausse des taux, de 0,25 point de la Fed, lors de sa dernière réunion? Signe de prudence de l'institution pour déterminer si le pic de l'inflation est en vue? Les analystes sont partagés d'autant que la bonne tenue du marché du travail brouille les cartes. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

La décision de la Fed de mercredi 01 février d'augmenter son taux directeur de 0,25% à 4.50-4,75% traduisait une position à mi-chemin entre ce que voulaient « colombes » et les « faucons ».

Côté colombes, la satisfaction vient de ce que la hausse est la plus faible depuis 3 mois et de ce que la Fed a annoncé qu'il y en aurait au maximum deux de plus. Les chiffres sur lesquels la Fed appuie cette partie de sa décision est l'observation que le pic d'inflation des prix et des salaires a bien été dépassé et qu'il y a bien décrue de l'inflation. En effet, si le taux d'inflation était de 9 % en juin 2022, il n'est plus que de 6,4% en décembre (données BLS). Pour les colombes, cela signifie que les six hausses des taux précédentes ont bien été suffisantes pour ralentir la demande en l'alignant enfin avec la production potentielle.

La partie « choc de demande » de l'inflation demeure

Côté faucon, la satisfaction vient de ce que la hausse des taux continue et que la Fed a annoncé que les taux allaient rester élevés le temps nécessaire pour que l'inflation retourne vers la cible des 2%. Cela signifie que le ralentissement de la demande et de l'activité économique sont encourageants mais nettement insuffisants pour une baisse rapide et organique de l'inflation. Pour les faucons, la baisse actuelle de l'inflation vient de causes externes comme la disparition des goulets d'étranglements de la supply chain (chaînes d'approvisionnement) et la baisse du prix de l'énergie. Le moteur de l'inflation étant la tension sur le marché du travail, tant que celui-ci est tendu le moteur inflationniste tourne et la hausse des taux ne doit pas s'interrompre. En clair, c'est la partie « choc d'offre » de l'inflation qui a disparu, il reste la partie « choc de demande », associée au plan de relance et aux restructurations pharaoniques de l'administration Biden.

Côté Fed, il y a la volonté cette fois-ci de ne pas se tromper après son erreur d'appréciation de l'inflation en 2021 générant une hausse des taux trop tardive. Cette volonté se traduit par une totale soumission aux chiffres de l'économie. En conséquence, ce sont les chiffres qui permettent d'anticiper ce que va faire la Fed à condition bien sûr de ne pas se tromper d'interprétation. La vraie question est donc ce que disent les chiffres en termes de lutte contre l'inflation. Le bilan est mitigé.

L'économie réelle ralentit

Il y a un ralentissement indéniable de l'économie réelle. La consommation et la production ralentissent, avec un PMI du secteur manufacturier à 46,9 en janvier 2023 (un indicateur inférer à 50 indique une contraction de l'activité), après 46,2 en décembre. Il y a un ralentissement indéniable aussi de l'inflation sans que l'on puisse encore établir si la décrue va se poursuivre et à quelle allure. Le consensus des économistes est qu'il faut entre 6 et 8 trimestres ordinairement pour qu'un resserrement des taux ait un impact sur les prix, hors anticipations qui déraillent et comportement auto-réalisateur des agents. Basé sur ces chiffres moyens, l'impact de la hausse du taux « officiel » de 0% à 4,50-4,75% n'a pas encore donné sa mesure et se fera sentir plutôt au printemps et à l'été 2023.

Il est donc délicat pour la Fed de savoir si elle a atteint le niveau nécessaire. D'après les déclarations de Jérôme Powell, le taux d'intérêt « naturel », c'est-à-dire le taux nécessaire pour stabiliser les prix, serait de 5,25-5,5%. Il faudra ensuite attendre plusieurs mois à ce niveau avec l'œil sur le marché du travail.

Cela dit, un taux d'intérêt à 5% est suffisamment restrictif à condition que les chefs d'entreprise et les investisseurs anticipent un retour rapide de l'inflation vers la cible de 2%. Mais toute hésitation de part de la Fed, tout choc nouveau, toute nouvelle dépense publique pourraient anéantir les efforts de la Fed. En effet, si les chefs d'entreprise commencent à anticiper une inflation persistante à 6%, un taux d'intérêt à 5% ne serait plus assez restrictif, bien au contraire. Or il y a une grande incertitude aujourd'hui quant à l'évolution future de ces anticipations.

Le taux du chômage au plus bas depuis 1969

Dans ce contexte, la baisse pour le troisième mois d'affilé du PMI manufacturier a été perçue par les colombes comme une nouvelle encourageante. En revanche, la nouvelle baisse du chômage annoncé vendredi 3 février pour le mois de janvier, à 3,4% de la population active (données BLS) est une véritable douche froide. Le chômage se trouve à son niveau le plus faible depuis 1969, tandis que le taux de participation est presque au niveau d'avant la crise du covid-19. La durée de travail hebdomadaire augmente aussi. En janvier, l'économie américaine a créé un demi-million d'emplois soit le double de sa tendance séculaire. Avec un marché du travail plus tendu que jamais, les salaires augmentent rapidement, mais moins que l'inflation. Ceci créé un cercle vicieux où la hausse des salaires nourrit l'inflation et en même temps, la baisse du salaire réel soutient une forte demande de travail.

Le fait que la hausse accélérée des taux d'intérêt n'a pas encore eu d'effet visible sur le marché du travail ne veut pas dire que la politique monétaire ne fonctionne pas mais bien qu'elle va prendre du temps. Personne ne sait encore quelle hausse du chômage et quel ralentissement de la demande et du PIB elle va impliquer, car rien n'est sûr concernant l'évolution des anticipations d'inflation.

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