Chute de Liz Truss : la revanche de l'économie

OPINION. En envoyant un fort signal de défiance face à la soutenabilité de la dette anglaise, le marché financier a poussé Liz Truss qui misait sur une politique keynesienne à la démission. Cette chute pourra servir d'avertissement salutaire aux autres gouvernements. L'inflation est là pour un certain temps. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'Essec.
Marc Guyot et Radu Vranceanu
Marc Guyot et Radu Vranceanu (Crédits : Reuters)

La chute de la Première ministre britannique samedi 21 octobre, au bout de 44 jours de règne, siffle la fin définitive du quoi qu'il en coûte. Les apprentis sorciers qui nous gouvernent l'œil sur les sondages et confondant bien-être collectif et réélection ont usé et abusé de la dépense publique. Depuis le début du Covid-19, ils croient pouvoir dépenser sans compter car sans douleur. Ils n'ont apparemment jamais compris pourquoi ils avaient pu engager des dépenses publiques aussi massives accompagnées de déficits publics aussi importants sans impact sur les marchés financiers. Ils ne semblent pas avoir compris pourquoi, dans la deuxième phase, l'inflation est venue tout gâcher en décollant et en s'installant à un niveau élevé. Enfin, si d'aventure, ils n'avaient toujours pas compris que la fête était finie et que l'austérité budgétaire frappait à nos portes, la chute de Liz Truss va permettre utilement de mettre les choses au point.

Covid-19: le déficit budgétaire était justifié

Lors de la première phase de dépenses publiques massives destinées à isoler la population de l'impact du Covid-19, un déficit budgétaire exceptionnellement élevé était justifié. En effet, une économie mondiale initialement en bonne santé faisait face à un choc externe. Il ne s'agissait donc pas d'une crise financière ou d'une crise due à une faiblesse interne de l'économie. De telles dépenses, dans la mesure où elles étaient ponctuelles, ciblées et recouvrables après la reprise économique étaient pleinement justifiées. Les marchés financiers n'ont donc pas demandé de prime de risque excessive pour les financer.

La situation est devenue dangereuse lorsque les gouvernements ont voulu doper artificiellement la reprise naturelle post-confinement en maintenant leur niveau de dépense voire en l'amplifiant comme Joe Biden aux Etats-Unis. Dans la zone euro et aux Etats-Unis, la demande globale dépassait l'offre potentielle de plusieurs points de pourcentage. Face à l'aveuglement des pouvoirs publics, les banques centrales ont fait trois erreurs majeures. Première erreur, elles ont sous-estimé le choc d'offre subie par l'économie et la grande difficulté des entreprises à rétablir leurs chaines d'approvisionnement. Deuxième erreur, elles ont sous-estimé la pression sur la demande de biens venant du report de la part des dépenses usuellement dévolues aux services dans un contexte où l'offre de services subissait toujours l'impact du Covid. Troisième erreur, elles ont ignoré la chute de l'offre potentielle venant de la disparition d'un grand nombre de travailleurs ayant renoncé à travailler du fait du Covid. Elles sont donc passées à côté de l'énorme écart entre la demande dopée par les relances et l'offre. Conséquence directe, elles n'ont pas vu venir l'inflation, qu'elles étaient censées surveiller et anticiper. Elles ont trop attendu avant d'agir sur le frein des taux d'intérêt, sous prétexte de retour au plein emploi, concept devenu vague. Sur fonds d'erreurs de prévision avérées, le lent processus de dégradation des anticipations d'inflation avait déjà commencé.

Erreur d'analyse des banques centrales

Les banques centrales se sont rendu compte de leur erreur d'analyse et ont commencé à durcir leur politique monétaire au premier trimestre 2022. De leur côté, les gouvernements ne se rendaient toujours pas compte du changement de paradigme que le retour de l'inflation venait de provoquer. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a fortement aggravé une situation déjà compromise sur les deux volets monétaires et budgétaires. La crise énergétique a constitué un nouveau choc d'offre qui a ajouté entre 2 et 3 points de pourcentage à la hausse des prix. Face à une inflation qui s'approchait rapidement des 10%, les gouvernements occidentaux se sont lancés dans une lutte effrénée pour stopper l'inflation, sans être ni outillés, ni bien inspirés. Certains gouvernements dont le gouvernement français, ont bloqué les hausses des prix pour les ménages tout en subventionnant les entreprises de distribution d'énergie. Cette politique visant à rassurer l'électeur a l'inconvénient d'inciter à consommer plus d'énergie alors qu'il faudrait plutôt l'économiser. D'autres gouvernements, mieux inspirés, ont mis en place des transferts de revenus ciblés vers les ménages et les entreprises les plus affectés. Aucun gouvernement n'a eu la clairvoyance et le courage de financer ces nouvelles dépenses avec des recettes fiscales équivalentes. Leur logiciel était toujours bloqué sur la possibilité de vivre indéfiniment à crédit comme lorsque les taux d'intérêt étaient nuls ou négatifs. En présence d'inflation, les taux d'intérêt de long terme remontent et l'émission de nouvelles dettes coutent plus cher. Petit à petit, le marché à commencer à imposer sa discipline aux gouvernements.

Baisser le déficit public

Face à une inflation élevée et persistante, les banques centrales n'ont plus d'autre choix que durcir de plus en plus leurs politiques monétaires. Les taux courts contrôlés par les banques centrales ont augmenté à un rythme jamais vu avec l'objectif de réduire l'investissement et la demande globale. La Fed ayant augmenté ses taux directeurs plus tôt et plus fortement que les autres banques centrales, le dollar s'est fortement apprécié. Cette appréciation a pour double effet de ralentir l'inflation aux Etats-Unis et de l'accélérer dans le reste du monde. La contraction de la demande a contracté le PIB américain au premier semestre et va probablement contracter le PIB européen au 2e semestre 2022 et en 2023. La seule chose sensée à faire est d'accepter la situation et de contribuer au ralentissement via une politique budgétaire restrictive axée sur la baisse du déficit public. Cette mesure devrait distribuer le fardeau de l'ajustement entre plusieurs acteurs, et ne pas pénaliser uniquement l'investissement. En effet, l'investissement est le remède au choc d'offre. Mettre en place des nouvelles sources d'approvisionnement en énergie nécessite davantage d'investissements.

Pour nos dirigeants, le passage de l'illusion de toute-puissance à la reconnaissance concrète de leur impuissance est douloureux. Liz Truss au Royaume-Uni a voulu passer outre et a essayé de redynamiser l'économie britannique. Celle-ci est effectivement en phase de ralentissement, avec une croissance trimestrielle à +0,2% au deuxième trimestre 2022, alors même que l'inflation est supérieure à 9% pour le sixième mois consécutif. Pour ce faire, la Première ministre a proposé une relance keynésienne classique axée sur des baisses massives d'impôts. Malheureusement pour elle, l'Angleterre de 2022 n'est pas l'Amérique de Ronald Reagan de 1982. Le Royaume-Uni est un pays de taille moyenne, très ouvert en termes d'échanges de biens et capitaux, et la livre sterling n'est pas une monnaie internationale comme le dollar. Le marché financier a rapidement envoyé un signal de défiance face à la soutenabilité de la dette anglaise. Mi-octobre, le taux d'intérêt à 10 ans est passé de 3,5% à 5%. La claque du marché a été telle que Liz Truss a dû démissionner, sans pour autant rétablir la confiance des investisseurs dans les bons du trésor Anglais. Cette chute pourra servir d'avertissement salutaire aux autres gouvernements. L'inflation est là pour un certain temps, la planche à billets des banques centrales a été remisée et les marchés financiers ne financeront aucune nouvelle politique de relance populiste.

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Commentaires 2
à écrit le 24/10/2022 à 13:09
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Merci pour votre excellent article qui démontre merveilleusement que les marchés financiers dirigent le monde et non pas les personnes que nous élisons. A quand un article sur le réel pouvoir/marge de manœuvre de nos dirigeants sur l'économie ?

à écrit le 24/10/2022 à 11:17
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Il n'y a pas eu erreur d'analyse des banques centrales, il y a eu une manipulation politique de celles ci par le pouvoir américain. Joe Biden a empêché la Fed de relever ses taux pendant plus d'un an, ce qu'elle a fait, résultat, elle a été obligée d...

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